Le thème de cet ouvrage est fortement d'actualité. Il est question en effet de la massification de l'information et de ses conséquences, notamment sur la vie en commun. L'auteur le souligne dès son introduction : la confiance étant au cœur de l'ordre social, celle-ci ne va-t-elle pas se trouver mise à mal par la prolifération anarchique de "l'offre" d'information ?

Les deux premiers chapitres décrivent quelles ont été les révolutions successives dans le domaine de la fabrication et la diffusion de l'information, que l'auteur appelle la "révolution sur le marché cognitif", et les dangers possibles. On ne reviendra pas ici sur le premier point, bien décrit dans d'innombrables ouvrages consacrés à la "société de l'information", son histoire et ses enjeux   . Venons-en tout de suite à ce qui nous paraît être l'apport du livre : la mise en évidence de diverses formes de biais qui peuvent se manifester dans l'acquisition de connaissances, en tant qu'elles se distinguent des croyances.

Nous sommes tout d'abord sujets à ce que les psychologues appellent les "biais cognitifs" (p. 239), que l'auteur étaye au moyen de plusieurs exemples convaincants. S'ajoute le " biais de confirmation ", qui vient de ce que les tentatives que nous mettons en œuvre pour tester une croyance tendent en général à privilégier les expériences vérifiant la croyance, plutôt que celles qui pourraient l'infirmer. Le "théorème de la crédulité informationnelle" énonce qu'internet, proposant une masse énorme d'informations non structurées, facilite l'enfermement des individus dans une sphère de croyances dans laquelle les informations rencontrées ne cessent de confirmer les hypothèses (ou préférences politiques) de départ. Un autre élément est la "taille de l'échantillon" : si quelqu'un vous dit qu'il a tiré dix fois un "12" aux dés, il est important de savoir combien de fois il a lancé les dés... Ainsi peut aussi s'expliquer que parmi les innombrables formes qu'ont pu prendre les masses noirâtres de fumée issues des Twin Towers en feu, l'une d'entre elles ait pu prendre l'apparence d'un visage, assimilable à celui du diable. Occulter que les tours ont brûlé de longues heures rendrait cette irruption totalement improbable.

L'auteur liste ensuite un certain nombre "d'effets". L'effet "râteau" rappelle que l'individu a une représentation du hasard qui est toujours plus organisée que le hasard véritable, il tend donc à "trier" (comme un râteau) dans les occurrences qu'il voit se répéter et y voit un ordre, qui n'y est pas forcément lorsqu’on l’objective statistiquement. L'effet "Othello" souligne le rôle de la narration dans la crédibilisation d'une conclusion potentiellement improbable, ainsi le personnage de Shakespeare se trouve-t-il à tuer la femme qu'il aime, manipulé par un individu qui a peu à peu instillé la suspicion dans son esprit. L'effet "de cascades d'informations" ou "de réputation" explique qu'il est plus facile d'adhérer à la croyance la plus répandue, car s'en écarter serait coûteux, puisqu’il faut alors se singulariser. Enfin s'il est parfois exact que nous sommes plus intelligents à plusieurs, dans de nombreux cas c'est l'inverse qui se produit. Une communauté entière peut se tromper, mais voir la confirmation unanime des autres comme une preuve du bien-fondé de ses croyances (p. 262). Le dilemme du prisonnier, décliné au marché actuel de l'information, conduit les médias à chercher rapidité avant la qualité, d'où un phénomène de mutualisation des erreurs.

D'où diverses conclusions. Tout d'abord, limiter la concurrence (p. 186). La concurrence doit jouer bien sûr mais au-delà d'un certain point elle se retourne contre l'objectif qui est attendu d'elle : la fiabilité de l'information. Miser sur l'éducation, oui, mais cela ne suffit pas, car le problème est d'abord celui de la structuration du marché de l'information, qui, pour l'auteur, amplifie les effets néfastes pointés du doigt. Plus important est de "faire reculer en nous le savant d'illusion" (p. 304), ce qui passe notamment par une refonte de l'ingénierie de la communication, notamment scientifique, qui tiendrait compte des divers obstacles pointés dans l'ouvrage. D’où par exemple la suggestion d’intégrer ces réflexions dans la formation des journalistes.

Disons-le d'emblée : les problèmes pointés par l'auteur dans la formation des croyances sont réels. Chacun a pu constater leur existence, et le mérite de cet ouvrage est de les pointer d'une manière assez systématique. Dans bon nombre de cas, la démonstration est convaincante. On ne peut sans plus d'analyse conclure, après avoir vu la figure du diable se dessiner dans un nuage de fumée, en déduire que l'attentat a été l’œuvre du Malin. L’apport des statistiques et plus généralement de " a méthode", comme le soutient Bronner, est indispensable à la transformation des croyances (ou hypothèses) en connaissances validées. La rationalité au sens d’un établissement universel du vrai est une pierre angulaire de la démocratie, car sans elle on ne voit plus comment il serait encore possible de se mettre d’accord sur quelque chose. On pourrait même ajouter que le rationalisme est la pierre angulaire du sécularisme. Que les faits soient vérifiables par tous est une condition de la démocratie. Les arguments sont de nature théologique à partir du moment où ils s’appuient sur des éléments qui exigent la foi. Le partage est donc extrêmement important à délimiter, et l’on ne nous verra pas céder un pas sur ce terrain.

Cependant d'autres démonstrations sont plus critiquables. Que les sites évoquant positivement l'astrologie sortent en premier sur Google ne prouve pas forcément qu'Internet diffuse davantage les connaissances erronées que les faits dûment attestés, mais peut-être que le moteur de recherche vous renvoie ce dont vous avez envie, ce qui est bien la destination de ce genre d'algorithme. Il serait plus ennuyeux que des encyclopédies comme Wikipédia, que chacun peut amender s'il le souhaite, présentent le même type de biais. Or apparemment tel n'est pas le cas, puisque Wikipédia semble être aussi fiable que l'encyclopédie Britannica   , contrairement à ce que prétend Bronner (p. 294). L’auteur prête trop peu de rationalité aux usagers, et en tout cas ne donne pas d'éléments sociologiques permettant de confirmer qu'il a raison de le faire. L'analyse des témoignages de Thomas ou la lettre de "l'un des animateurs" du site ReOpen 911 (qui met en doute les conclusions officielles sur les attentats du 11 septembre) sont passibles des mêmes critiques : ils pourraient être lus de manière très différente, et d'ailleurs une lettre sur le second site indique que cet "animateur" ne s'est pas reconnu dans la présentation que Bronner a fait de son attitude. Les tests réalisés par l'auteur à propos du "finalisme" en biologie sont soit insuffisamment présentés dans l'ouvrage, soit trop confus (p. 312). Soutenir que le darwinisme, c'est accepter que si la girafe à un long cou, c'est parce qu'elle est seule à avoir survécu est une tautologie qui n'explique rien de l'évolution   . Aucune thèse aujourd'hui ne peut éviter de faire appel à une forme ou une autre de finalisme philosophique, au sens où comme le soutient Hans Jonas, la vie se caractérise par une préférence de l'être sur le non-être   . Autre chose est d'en donner une explication par la religion, ou de soutenir que la question ne doit pas entrer dans le champ de la biologie en tant que discipline constituée. Enfin faire du nombre de requêtes pour "Illuminati" sur Internet un "marqueur de l'imaginaire conspirationniste" est clairement très excessif.

Les démonstrations les plus critiquables penchent à peu près toutes du même côté, incitant à lire l’ouvrage sous un autre angle, moins scientifique et plus engagé. Gérald Bronner met en scène un pouvoir "militant" qui semble être omniprésent, et dont la cible serait l'individu irrésolu, avec l’objectif de le faire basculer dans le sens de la résolution. Et Internet amplifierait cette tendance, donnant une prime non pas à la rationalité, aux connaissances, mais au militantisme, c'est-à-dire aux personnes qui sont animées d'un fort souci de convaincre. D’où par exemple le fait qu’une requête sur l'astrologie mène sur des sites pro-astrologie. Dans les débats publics "l'effet d'ancrage" donne une prime au contestataire, contre les institutions (p. 232), de même que sur Internet via "l'effet d'Esope", où ceux qui crient au loup sont les plus entendus (p. 257). Les théories du complot bénéficient quant à elles d'un "effet de dévoilement" (p. 99) qui est très séduisant, car donnant l'impression d'avoir accès à une cohérence qui semblait jusque-là absente. Le militant s’appuierait sur une conception de la démocratie où les droits n’auraient plus les devoirs en contrepartie. Pourtant le droit de s’exprimer n’implique pas le droit de mettre sur un même pied croyance et connaissance ; le droit de décider ne m'autorise pas à travestir les faits ou à estimer que je suis compétent sur tous les sujets.

Le problème est qu’on ne sait pas précisément qui sont ces "militants" ni quels sont leurs arguments, ni s’ils ont effectivement le pouvoir que Bronner leur prête. Les "militants" de l'astrologie sont mis dans le même sac que celui des "militants" anti-OGM ou des "militants" de l'homéopathie. Sociologiquement, cela n'a guère de sens. Les travaux sur l'écologisme montrent par exemple que ce courant politique est plutôt plus rationaliste que la moyenne, et moins "croyant"   . L'ensemble fait donc un peu théorie du complot. Il y aurait le vertueux citoyen, qui doute, et le militant aveugle qui s'apprête à l'assaillir. Aucun argument sociologique ne vient à l'appui de cette thèse selon laquelle "les militants" sont animés par des croyances, aveugles et irrationnelles, plutôt que des raisons. Chacun constatera pourtant, en s’intéressant aux écrits desdits " militants ", qu’il y a lieu d’être plus nuancé que cela, et que si tout n’est pas bon à prendre, tout n’est pas à jeter non plus   . Parler de "convictions" au lieu de "croyances", pour traduire "belief", au sens de Rawls, pour qui la pierre de touche en matière de jugement est "nos convictions bien pesées"   , aurait permis d’être un peu moins excessif.

D’où plusieurs problèmes. Le premier est une articulation déficiente voire une confusion entre science et politique. Des questions politiques sont présentées comme de purs enjeux de connaissance. Ainsi des suicides à France Télécom (2006-2009) l'auteur ne pose que la question statistique de l'existence réelle d'une "vague". Des OGM il ne retient que l'exagération médiatique qui a fait suite à la publication de l'étude Séralini. Ces "informations" ne sont pas remises en contexte. Les sciences politiques savent pourtant que la mise à l'agenda d'un sujet peut avoir recours à toutes sortes de prétextes dont le but est d'abord performatif, pour mettre un problème dans l'espace public et qu'il devienne un objet de débat sociétal. "Les militants" ne sont pas les seuls à utiliser la ficelle du prétexte, loin de là. Les hommes et les femmes politiques y ont sans cesse recours – une phrase nous revient en tête, selon laquelle la France ne peut pas accueillir "toute la misère du monde". L’enjeu était-il, à ce moment-là, de porter toute la misère ? Bien sûr que non. Le politique, lieu de la rhétorique, qui comporte ses règles et ses codes, ne peut pas sans erreur être compris comme un processus scientifique déficient. Ou alors il faut assumer la thèse, et non pas en vouloir uniquement aux "militants". Bronner s’y refuse et donne l'impression d'une très forte partialité, dans sa manière d'établir qui " croit " et qui " connaît ". Se refusant à admettre que la controverse soit politique l’auteur est conduit à étendre très loin le domaine de " la science ", incluant les agences chargées de l'expertise – ainsi l’European Food Safety Agency est-elle purement et simplement identifiée à "la science" (p. 213). Bronner confond science et technique, il confond ce que Bourg et Whiteside distinguent comme "science éclairante" et "science agissante"   , ce qui lui permet par la même occasion de "démontrer" l'inanité de tous les processus de type " conférence de citoyens ", au motif qu’il serait évidemment absurde de débattre de la science, puisqu’il n’y a qu’une vérité (p. 206). L’auteur est mal informé sur le contenu de ces processus, qui n’ont jamais cherché à remplacer les scientifiques mais à ouvrir les possibles techniques, ce qui est bien différent. Il est mal informé sur l’usage que les militants font de la science : leur posture minoritaire les conduit au contraire à devoir asseoir plus fermement leurs arguments – ce qui ne veut pas dire avaliser les solutions qu’ils préconisent. Ils ne contestent pas la science en général, puisqu’il y ont massivement recours   . Confondant science et technique, il est amené à s’inscrire dans une posture platonicienne, peu compatible avec la démocratie, récusant comme "populiste" toute intrusion des citoyens dans la gestion des affaires publiques, mis à part les moments électoraux.

C’est donc à une défense en règle des choix techniques établis que se livre en réalité Gérald Bronner. Le ton est donné dès l’introduction : qui n’accepte pas tout de "la science", sans aucun tri, oublie que c’est elle qui nous a sorti du Moyen-âge et sauvés d’une mort assurée avant l’âge de 30 ans (p. 8). Il faudrait donc lui rendre grâce, plutôt que de la soumettre à la question. Pourtant un certain nombre de dangers ont bel et bien été construits par "la science", au sens où Bronner emploie ce terme : dépendance au pétrole, changements climatiques, effondrement de la diversité biologique etc. Toutes sortes de risques reconnus par des instances officielles, sans doute pas celles que l’auteur consulte. Bronner construit un discours extrême qui fait miroir à celui des plus radicaux critiques de "la science", et interdit tout débat sérieux, comme l’avait pointé Jean-Pierre Dupuy à propos des nanotechnologies   . Tout à sa croisade, Bronner, s'il s'inquiète de l'influence des " militants ", ne cherche jamais à mesurer l'influence d’intérêts puissants et bien équipés pour le " marketing cognitif " qu’il appelle de ses vœux : les firmes qui vendent les produits dont le consommateur est prié d'ignorer les effets négatifs. Nous avons pu pour notre part dans le cas des technologies de l'information mesurer à quel point les usagers n'ont aucune connaissance précise de la dimension écologique des produits dont ils dépendent pourtant, et à quel point les usagers, contrairement à ce que dit Bronner, font confiance aux institutions, estimant que s’il y avait un problème, c’est précisément de leur ressort d’y faire face   . On peut pourtant se demander si la fuite en avant dans le " tout-numérique ", c’est-à-dire le "tout-épuisable", est bien raisonnable, et s’il n’y a pas lieu d’en faire un débat public avant de s’engager dans une voie que nous pourrions bien regretter par la suite, de même que l’on regrette aujourd’hui de n’avoir pas mieux isolé les bâtiments. Gérald Bronner n'évoque pas le cas de ces "vérités qui dérangent" qui mettent des décennies à remonter le courant informationnel activement entretenu par des organisations qui n'ont pas seulement la bonne volonté bénévole mais aussi des financements extrêmement importants à leur disposition, et dont l’Agence Européenne de l’Environnement, autre agence officielle, a pourtant retracé l’histoire   .

L'auteur semble donc succomber à ses propres critiques. Biais de confirmation, puisqu'il est inutile de vérifier ce qu'il en est de l'utilité des OGM ou de l'usage réel de l'argument de la "vague" à France Télécom. Effet de communauté, puisqu'il ne fait manifestement pas partie du monde " militant ", bien que ses convictions soient affirmées. Taille de l'échantillon, avec des conclusions sociétales qui semblent hâtivement tirées de quelques expériences éparses de psychologie (ce qui n’ôte rien à leur intérêt, à l’échelle de l’individu). Si l'on ajoute la charge politique du livre contre la démocratie participative (p. 201) et le "populisme", défini comme "toute expression politique donnée aux pentes les moins honorables et les mieux partagées de l'esprit humain" (p. 266), l'ensemble sonne comme une défense en règle de l'ordre établi, voire de la "République des Savants", faisant fi de l'histoire récente, notamment dans le domaine écologique, où il existe un consensus pour estimer que ce sont les "lanceurs d'alerte" qui ont mis sur la place publique la quasi-totalité des sujets dont les agences se sont saisies par la suite : changement climatique, perturbateurs endocriniens, épuisement des ressources fossiles etc. À l’évidence Gérald Bronner ne fait pas partie des personnes qui doutent. Il ne se demande pas non plus quels effets sur la confiance peut avoir l’irresponsabilité des autorités, qui semblent à le lire être toujours à la hauteur des enjeux. Pourtant les faits sont là, pour qui veut les observer et si besoin les discuter. Ainsi par exemple des rapports World Energy Outlook, de l'Agence Internationale de l’Énergie. Le rapport 2004 estimait que le prix du baril de pétrole serait de 30 dollars, en 2030 ; il est estimé à 215 dollars, dans le dernier rapport (2012). Ces chiffres sont vérifiables. L’agence est une référence mondiale en la matière, elle était pourtant massivement dans l’erreur, en 2004. On peut aussi se demander si l’argent dépensé dans ITER, les nanotechnologies etc. l’est à bon escient, et ceci même du point de vue de Bronner, qui semble être particulièrement soucieux de préserver "les intérêts économiques" (là aussi, lesquels ?). Pensons au Concorde, à la navette spatiale   et à bien d’autres promesses dont certaines se sont effondrées avec l’éclatement de diverses bulles spéculatives. Puisque l’auteur aime à citer Christian Morel   , il a aussi pu lire sous la plume de cet auteur comment des projets pharaoniques peuvent être menés sur des décennies en pure perte, avec la bénédiction des autorités.

L’auteur, quand il affirme que dans un monde idéal chaque spécialiste devrait être employé en fonction de sa compétence (p. 320) et que cela devrait suffire, ignore complètement un problème récurrent dans les questions qu’il aborde de manière trop superficielle   : le fait que les problèmes publics (les OGM, les ondes, le changement climatique etc.) ne sont pas configurés en fonction des catégories produites par la division scientifique du travail. Un climatologue ne peut pas trancher à lui seul sur la question de la dangerosité du changement climatique. D’où des processus d’expertise extrêmement élaborés tels que le GIEC, qu’il faut sans doute encore améliorer mais encore faut-il pour cela admettre que l’expertise ne se confond pas avec la science. C’est là tout l’enjeu de la "démocratie technique", terme que l’on doit à des auteurs que Bronner brocarde   . On peut sans doute suivre l'auteur dans sa mise en cause de l'astrologie ou dans sa critique du droit de telle ou telle conviction "militante" à s’imposer, sans débat. On ne peut le suivre quand il s’en remet aveuglément aux rapports officiels, ou qu’il se refuse à poser la question des procédures de l’expertise, commettant des confusions grossières entre science et technique, science et expertise.

Tout porte à croire dans ces conditions que l'accusation de "militantisme", n’étant pas étayée, est utilisée d’une manière purement rhétorique, destinée à disqualifier les parti-pris politiques qui ne sont pas ceux de l’auteur. L’accusation de "militantisme" peut alors être retournée, car il y a aussi un militantisme de l’ordre établi. Bronner s'inscrirait ainsi dans une entreprise de défense de l'ordre moral, à la manière d'un Luc Ferry   .

On ne peut toutefois que rejoindre son souci de restaurer les "sociétés savantes", dont il déplore la quasi-disparition. Notre hypothèse est toutefois assez différente de la sienne. Loin de ramener la population à la raison, ces sociétés pourraient participer à réduire l’écart qui se creuse, et que Bronner souligne avec raison, entre science et société. Crise de la science agissante, dont la rationalité n’est plus la mieux partagée du monde. Mais aussi crise de la science éclairante, qui laisse les questions que les citoyens se posent sans réponse convaincante, arguant de leur "irrationalité". Ce qui montre au passage qu’une attitude comme celle de Bronner peut tout-à-fait faire le lit de tous les irrationalismes. Les associations écologistes tant brocardées par l’auteur sont d’ailleurs les descendantes de ce genre de société, auxquelles elles sont parfois encore étroitement liées. C’est le cas de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature ou de France Nature Environnement, descendante des sociétés naturalistes. (Re)mettre les sciences en société n’aurait donc pas automatiquement pour effet de ranger les indécis du côté du "bon" côté