Une véritable somme qui couronne les travaux d'un projet de recherche conséquent et marque une nouvelle étape dans l'historiographie du gaullisme.

* Cet article est l'objet d'un disclaimer dont vous pouvez prendre connaissance en cliquant sur le lien en bas de page.


Cet ouvrage collectif rassemble à la fois les actes du colloque de Bordeaux (30 novembre-2 décembre 2011) et des séminaires organisés à Paris (23 séances) par l'équipe "Gaulhore" (Gaullistes, hommes et réseaux), dirigée par Bernard Lachaise, entre 2008 et 2011   . C'est dans ces deux villes gaullistes historiques que se sont ainsi réunis les meilleurs spécialistes de l'histoire des droites, plus spécifiquement du gaullisme, mais pas uniquement – puisque dans l'avant-dernière partie du livre   , Noëlline Castagnez analyse par exemple les relations entre gaullistes et socialistes entre 1958 et 1981.

Les trois directeurs de publication affirment d'emblée ne pouvoir prétendre à l'exhaustivité face à un sujet si vaste   , mais les 34 auteurs nous offrent une énorme synthèse de plus de 600 pages se révélant d'une extraordinaire richesse sur le(s) gaullisme(s) de la Ve République, d'autant plus qu'il faut y ajouter quatre autres ouvrages collectifs   et quatre numéros de revue   publiés dans le cadre du programme ANR Gaulhore. On mesure alors beaucoup mieux l'ampleur des travaux effectués par cette équipe de chercheurs.

En s’articulant autour des approches qui participent du renouvellement de l’histoire politique depuis plusieurs années (culture politique, réseaux, prosopographie, mémoire...etc) et en suivant le chemin tracé par Jean Touchard   , le livre postule un gaullisme pluriel, notamment dans son organisation militante – un aspect longtemps négligé au profit d'études sur les figures illustres du courant (de Gaulle, Pompidou, Debré...etc) – mais aussi dans le temps, dans l'espace, et in fine dans son identité propre. Au fil des six thématiques de l'ouvrage, est ainsi battue en brèche la traditionnelle mais désormais caricaturale lecture monolithique de ce phénomène politique, par ailleurs alimentée par l'image des "godillots", tandis que les notions de "nébuleuse" (multitude des mouvements, comités, amicales), de "famille" (cohabitation d'une multitude des sensibilités : pompidoliens, chabanistes, debréistes...etc) et de "milieux" gaullistes (diplomates, patrons, universitaires, journalistes, sportifs...etc) ainsi que la culture politique de cette droite – déjà repérée par René Rémond   – sont mises en avant, sans remettre en cause sa principale caractéristique : le charisme du leader dans l'animation du mouvement. Il s'agit même d'un "marqueur génétique" du mouvement gaulliste selon Jérôme Pozzi qui, dans la première partie du livre consacrée aux organisations gaullistes ou proches des gaullistes, s'intéresse au fonctionnement de l'UDR et du RPR. Sa conclusion est d'ailleurs éclairante, si on pense l'histoire récente de la "machine gaulliste" : "L'analyse du processus décisionnel dans le fonctionnement interne du parti montre que la nomination et la cooptation l'emportent sur l'élection. […] les figures de proue du gaullisme prirent toujours une certaine distance avec les statuts qu'ils avaient pourtant rédigés."  

Après trois chapitres consacrés au "gaullisme d'ordre"   et à la presse gaulliste   , une dizaine de contributions se penchent, dans un second temps, sur les figures gaullistes éclipsées, qu'elles soient individuelles – comme Maurice Schumann, gaulliste social venu du MRP (Christian Hocq), Jean-Marcel Jeanneney, gaulliste d'inspiration clémenciste (Eric Kocher-Marboeuf), Louis Jacquinot, notable indépendant et "gaulliste de cœur" plutôt qu'homme de parti (Julie Bour), Roger Frey, gaulliste historique mais oublié (David Valence), Jacques Foccart, autre "baro"n et conseiller des Présidents de Gaulle et Pompidou – ou collectives, à l'image du groupe mal connu des sénateurs gaullistes de 1958 à 1980 (David Bellamy) et des entourages présidentiels, élite gaulliste et antichambre de la politique (Sabrina Tricaud).

Un troisième chapitre étudie les réseaux gaullistes dans la société civile : des réseaux diplomatiques forgés dans la Résistance et ayant durablement marqué la diplomatie française jusqu'à l'alternance de 1981 (Matthieu Trouvé) et des réseaux du renseignement (Sébastien Laurent) jusqu'aux réseaux sportifs (Luc Robène) et universitaires gaullistes (Emmanuelle Picard), en passant notamment par les couples gaullisme-patronat, "loin d'être fusionnel" (Sylvie Guillaume) et gaullisme-journalisme (Christian Delporte). La quatrième partie cartographie les espaces du gaullisme : Paris, le bastion gaulliste (Philippe Nivet), le Midi toulousain "allergique au gaullisme" (Eric Chiarida), ou encore la Bretagne où s'opère, comme souvent, une nette distinction entre la force du gaullisme national (présidentiel, référendaire ou législatif) et les limites du gaullisme local et partisan. Les rapports des gaullistes à l'altérité (libéraux, centristes et socialistes) éclairent aussi grandement la complexité du jeu politique. Le sixième et dernier temps de l'ouvrage analyse la culture politique "syncrétique" (Serge Berstein) et les mémoires gaullistes au prisme de l'improbable chiraquisation du mouvement gaulliste ou comment "tout changer pour tout conserver" (Annie Collovald), des générations gaullistes (Jean-François Sirinelli), des antigaullismes (Mathias Bernard) puis du consensus et des enjeux mémoriels autour de Jacques Chaban-Delmas dans la classe politique bordelaise depuis 1995 (Gwenaël Lamarque).

Au final, le gaullisme, outre sa diversité, apparaît comme un écosystème, c'est-à-dire un ensemble vivant que les crises ont à chaque fois redéfini, en 1940, en 1958, en 1969, en 1974...etc. Un tel ouvrage aurait peut-être mérité une conclusion, même si l'avant-dernier chapitre résonne comme un épilogue : "Tous gaullistes aujourd'hui ?" (Jean-Louis Matharan). A la fois synthèse et borne d'étape historiographique, cet ouvrage termine une quasi-révolution dans l'historiographie du gaullisme et restera comme une référence obligée