Excellente nouvelle que la toute récente parution en Pléiade de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, ouvrage fondateur du discours naturaliste (et esthétique) en Occident.

Un tel monument a de quoi déconcerter : Pline affirme avoir compilé pas moins de deux mille volumes afin de livrer (en 77 ou 78 de notre ère) cette Histoire en trente-sept livres, dont le premier est consacré à la présentation du projet et au sommaire – très détaillé, mais plutôt déroutant pour le lecteur moderne.

Dans sa vaste ambition, l’auteur tâche d’explorer les multiples interactions entre l’homme et son environnement, et de couvrir tous les champs du savoir disponible en ce premier siècle : cosmologie, géographie, ethnologie, zoologie, botanique, pharmacologie, minéralogie, sans oublier le fameux livre XXXV consacré à la peinture (qui contient le mythe de Dibutade sur l’origine du modelage des figures). Au total, “vingt mille faits dignes d’attention” (livre I), dont certains devenus célèbres : les rites religieux des éléphants (livre VIII), ou l’épisode du pari d’Antoine et Cléopâtre, remporté par cette dernière grâce à une perle dissoute dans le vinaigre (livre IX).

Confronté à une telle profusion, Stéphane Schmitt procède avec méthode. Le chercheur au CNRS, à qui l’on doit déjà l’édition en Pléiade d’œuvres de Buffon (admirateur de Pline), nous livre une introduction d’une grande clarté, qui s’attache à l’unité d’intention de l’ouvrage sans chercher à en occulter les incohérences. De plus, “en en faisant une lecture conforme à ses propres enjeux, en y apportant sans cesse de nouvelles strates d’interprétations, chaque époque a contribué à perpétuer et à transformer, à enrichir et à brouiller tout à la fois le projet de Pline”   .

Il en ressort que l’Histoire naturelle, inclassable et inédite en son temps, est tout ensemble une somme à caractère encyclopédique, un recueil de “merveilles” et une apologie de la nation romaine teintée de conservatisme moral. On décèle “une tension entre, d’une part, une conception très unitaire de [l’]ouvrage et la volonté d’en permettre une lecture suivie, et, d’autre part, une logique de consultation qui, grâce aux divers renvois et à la table des matières, autorise, au moins en théorie, le lecteur à ne prendre que ce dont il a besoin”   .

Le texte est ici intégralement retraduit et annoté par Stéphane Schmitt, tâche colossale. Le regroupement de l’ensemble des livres en un seul volume est évidemment très pratique pour le lecteur. L’appareil critique facilite grandement l’investigation ponctuelle et rend l’objet plus maniable ; il comprend quelques jalons chronologiques (d’août 14 à août 79, date de l’éruption du Vésuve et de la mort de Pline), deux index (des notes et des noms de personnes) et une “Table des sujets abordés” particulièrement bienvenue. L’édition s’adresse à la fois au grand public – “qui ne souhaitera sans doute pas voir sa lecture alourdie par une surabondance de notes érudites mais sera demandeur d’explications sur l’histoire et la civilisation antiques” – et aux étudiants et chercheurs intéressés par des “informations plus pointues”   . D’où un savant dosage entre pédagogie (définition des termes scientifiques, éléments biographiques dans l’index des noms, tableau d’équivalences des poids, mesures et monnaies) et érudition déployée par le spécialiste d’histoire des sciences de la vie.

Dans la préface du livre I, Pline déclarait : “C’est chose ardue que de donner de la nouveauté à ce qui est ancien.” Stéphane Schmitt s’y emploie néanmoins, non sans souligner, dans sa “Note sur la présente édition”, la difficulté du travail d’établissement d’un texte maintes fois “trituré” par les copistes depuis le Moyen Âge. Sa traduction se veut aussi fidèle que possible, soucieuse d’éviter la tentation interprétative et de respecter les ambiguïtés, voire les obscurités, de l’original latin. Il s’agit ainsi de restituer “quelque chose de l’univers mental qui sous-tend cette terminologie vague”   , c’est-à-dire l’esprit même d’une civilisation. Gageons que cette publication deviendra rapidement l’édition de référence du fascinant texte antique