Un essai par l'un des plus fervents défenseurs de la RPDC qui sous-estime l'ampleur des réformes à conduire dans le domaine économique mais également sur le plan social.

La littérature occidentale analysant les politiques publiques nord-coréennes d'un point de vue bienveillant est peu abondante. Il est vrai que les thuriféraires du régime et les associations pro-Pyongyang se font discrets. Si les services de renseignement, notamment sud-coréens, s'intéressent à leurs activités militantes voire à leurs actions de "solidarité", les relais de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) n'en existent pas moins et rassemblent en France quelques centaines de sympathisants. Ils ne sont pas seulement des propagandistes. Ils jouent également un rôle économique prépondérant comme pourvoyeurs de devises convertibles voire de technologies comme on a pu le constater longtemps au travers de la puissante Chosen Soren au Japon.

Dans l'hexagone, les défenseurs de la RPDC s'articulent autour du groupusculaire Parti juchéen de France et de quelques associations de la mouvance communiste au premier rang desquelles figure, depuis la fin des années 60, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC). Benoît Quennedey est un des acteurs les plus visibles de ce courant. Au titre de vice-président de l'AAFC, il ne cache pas qu'il s'emploie dans les médias français et lors de conférences publiques à changer l'image de la Corée du Nord. Il y fustige les reportages de journalistes se contentant à longueurs de colonnes de valider leurs préjugés, sans toujours se rendre sur place. Son livre s'inscrit donc dans cette démarche de rétablissement de la vérité sur la RPDC.

Dans l'étude sous titrée la "Naissance d'un nouveau dragon asiatique" point d'interrogation, B. Quennedey se montre toutefois discret sur ses choix et objectifs politiques. Ses références récurrentes aux statistiques des études "pays" de la C.I.A. pourrait même laisser penser à une approche idéologique plus neutre alors qu'il s'agit tout simplement de remédier aux carences des statistiques publiques d'un État qui récuse, depuis des années, de publier toute information sur lui-même. Une défaillance embarrassante pour un auteur qui veut démontrer méthodiquement que la Corée du Nord n'est pas un pays en voie de sous-développement rapide depuis près de trois décennies.

Sans prendre pour argent comptant tous les travaux de recherches du ministère sud-coréen de la Réunification et les études académiques sudistes, B. Quennedey aurait pu faire un usage plus abondant de leurs enquêtes. Séoul est si obnubilé par le coût financier de la réunification qu'elle s'est dotée de nombreux moyens d'appréhension dé-idéologisés des réalités macroéconomiques de son voisin. Par affairisme, nombre de groupes industriels sudistes (chaebols) en ont fait de même. Depuis le début des années 2000, ils s'intéressent aux zones économiques spéciales qui ont été instaurées avec forte publicité (ex. Rajin-Sonbong (1991), Kumgang (1998), Sinuiju (2002), Kaesong (2004), Hwanggumphyong et Wihwa (2011)). Ils auscultent par mercantilisme tous les atouts qu'elles peuvent offrir pour la compétitivité de leurs groupes (ex. coûts du travail réduits, encadrement administrativo-policier des salariés, exonération des droits de douanes,...). Ils en ont étudié, ainsi que leurs bailleurs de fonds, tous les avantages et inconvénients. Toutefois, à lire leurs rapports, ils ne dépeignent pas les mêmes réalités micro et macroéconomiques que B. Quennedey.

Quelques visites de terrain ne suffisent pas à appréhender les réalités d'un système politique totalitaire qui se complet à cacher les réalités aux étrangers mais également à ses dirigeants. Dépeindre la Corée du Nord comme toujours seule face au reste du monde entraîne des approximations historiques telle celle qui fait oublier à l'auteur que la RPDC fut un État observateur du Conseil d'aide économique mutuelle (COMECON). En outre, les difficultés rencontrées par l'appareil de production ne sont pas seulement le fruit des sanctions internationales aussi prégnantes soient-elles ces dernières années.

A vouloir cacher tous les soubresauts du régime, B. Quennedey voudrait nous convaincre que la ligne réformatrice depuis dix ans est constante et qu'elle ne saurait plus être remise en cause. Un pari, pour le moins ! S'abstraire de références aux fondements idéologiques qui guident le Parti des Travailleurs et l'État nord-coréen s'est oublier une peu vite les luttes d'appareils qui les traversent. La politique économique a pourtant été souvent au cœur des affrontements de factions. L'actuel premier ministre Pak Pong-ju, limogé en 2007, le sait ô combien. Certes, il est extrêmement difficile de bien cerner les doctrines économiques des dirigeants du premier cercle mais leurs penchants ne seraient pas si souvent commentés à l'étranger s'ils ne jouaient aucun rôle dans les jeux politiques pour ne pas dire politiciens (ex. la sœur de Kim Jong-il, Kim Kyong-hui, est régulièrement présentée comme une défenseure des industries légères).

Faire une analyse économique distanciée du champ politique comme tente de le faire le militant de l'AAFC, c'est fermer les yeux sur le développement de la corruption qui gangrène les institutions depuis la "Dure marche". C'est occulter la discrimination sociale fondée sur les origines de classes des citoyens ou encore la violence pénale qui entoure les soubresauts de la sphère économique (p.m. l'artisan de la réforme monétaire de novembre 2009, Pak Nam-ki aurait été exécuté l'année suivante pour avoir "ruiné délibérément l'économie").

Contrairement à l'exposé de l'étude, certaines réformes sont conduites avec des changements très brutaux d'orientation et sans que les populations y soient associées d'une manière ou d'une autre. De ce point de vue, il aurait été très intéressant de développer plus longuement les circonvolutions des politiques relatives aux marchés privés (ex. ages et sexes des marchands autorisés, bien tolérés, pratiques monétaires, circuits d'approvisionnements,...).

Enfin, s'abstraire, dans une analyse sur l'économie de la Corée du Nord, du contexte stratégique et des enjeux de la prolifération des armes de destruction massive est un parti pris réducteur. Certes, l'information n'est guère disponible sur cet instrument de souveraineté. En outre, de trop nombreux ouvrages ne décrivent la RPDC qu'au travers du prisme polémologène mais l'outil guerrier n'en demeure pas moins au cœur de l'économie. Il absorbe l'essentiel du budget d'investissement de l'État. Il lui assure par ses exportations des revenus non négligeables même si le nombre de partenaires se réduit un peu plus chaque année.
Les entreprises militaires ne se contentent pas de produire des équipements létaux mais également des produits de consommation courante y compris agricoles. A l'heure de l'ouverture, elles seront des passages obligés pour investir et commercer. Certains industriels étrangers, chinois ou mongoles par exemples, l'ont d'ailleurs déjà compris. Ils tirent ainsi avantages de leur main d'œuvre bon marché et importent sur leurs sols de nombreux travailleurs. L'État chinois l'a tout aussi bien saisi.

Aujourd'hui, pour faire pression sur le régime de Kim Jong-un et le convaincre d'adopter une politique de moindre confrontation avec la Corée du Sud de Mme Park Geun-hye, la Chine vient d'adopter discrètement tout un train de mesures économiques qui risque de peser lourdement sur la RPDC et ses habitants. La Banque de Chine a réduit toutes les facilités offertes jusqu'ici à la Banque nord-coréenne du Commerce extérieur. Des postes frontières sont ponctuellement fermés. Certains biens de consommation sont interdits temporairement d'exportation. Les contours de ces mesures sont mal connus. Pékin veille à ne pas les rendre publiques dans le détail mais elles n'en sont pas moins pénalisantes depuis quelques semaines. Cette nouvelle donne va rafraichir un peu plus tous les industriels étrangers susceptibles de s'intéresser aux marchés nord-coréens. Une glaciation que les Nord-Coréens entretiennent eux mêmes depuis leur décision de couper les ponts avec le Sud et la fermeture des entreprises mixtes sises sur le parc industriel de Kaesong.

Dans ce contexte de tensions géostratégiques, d'informations tronquées et parcellaires, pour comprendre la Corée du Nord contemporaine, il faut certes ne pas l'examiner avec des œillères idéologiques mais l'accumulation de séries statistiques aux fondements incertains ne décrit pas plus la "réalité vraie". A l'avoir oublié, B. Quennedey nous offre un essai qui sous-estime l'ampleur des réformes à conduire dans le domaine économique mais également sur le plan social. Vanter le système éducatif nord-coréen en évoquant le rang de la RPDC aux Olympiades de mathématiques ne doit pas cacher les carences éducatives, sociales d'un régime qui fait trop peu pour le bien-être de ses habitants.

Si la Corée du Nord ne change pas radicalement sous l'impulsion de Kim Jong-un, contrairement aux aspirations de l'auteur, on ne voit pas comment les investissements croisés entre la RPDC et le reste du monde pourront progresser de manière très substantielle, tout au moins à court terme