Une histoire très introductive du rapport des féministes à la pornographie.

Vie, mort et résurrection du porno ?

Le livre de David Courbet repose sur un double constat. D’une part, la pornographie a longtemps été le lieu d’expression le plus évident de la domination patriarcale, réduisant l’image de la femme à celle d’une béance, toujours prête à satisfaire le désir masculin. Mais, d’autre part, face à l’arrivée des nouvelles technologies, des webcams et des sites exclusivement dédiés à des pratiques de plus en plus spécialisées, ce même cinéma pornographique - le plus souvent, strictement orienté de façon très stéréotypée par la seule et unique référence au sexe hétérosexuel -, est à l’agonie, prêt à disparaître définitivement de la carte du tendre.   

Avec l’arrivée d’Internet, le porno aurait donc subi une sorte de "dénaturation" devant faire face à une accélération vertigineuse tant de sa consommation que de sa production : toujours plus, plus vite, avec toujours moins de moyens. En dérivent des productions "cinématographiques" consternantes tant du point de vue de la qualité des images que de la narration. C’est ce que les usagers appellent le phénomène "gonzo" ou "all sex" : que de l’action, rien que de l’action, du reste, on s’en br… !
 Loin de se réjouir de cette crise ou, pire, de déplorer l’appauvrissement diégético-moral qui s’ensuit, David Courbet en a profité pour mener une enquête originale sur les rapports qu’entretiennent les féministes avec la pornographie. D’un côté, il s’intéresse à l’histoire des revendications féministes contre la pornographie classique afin de montrer les limites du genre grossièrement réducteur dans sa conception d’un plaisir masculiniste, hétéro-centré, virant à l’exploit à la fois sportif et obscène …. De l’autre, il  décale son regard sur des productions en marge de ce porno mainstream et met en lumière des réalisations bien plus expérimentales. Ces films, faits par des femmes pour des femmes (voire plus, si affinités !), ne se veulent nullement édulcorés ou érotiques mais tentent de faire valoir une autre pornographie. Bref, pour reprendre les mots introductifs de la célèbre réalisatrice pornographique Ovidie, citant Annie Sprinkle, si "le porno est mort, vive le porno !"


Le porno comme laboratoire micro-politique

Nombre de lecteurs considèreront que la recherche de Courbet est des plus anecdotiques. Cependant, la prise en compte de la pornographie à partir des revendications, des conflits et des créations féministes vient questionner de manière fondamentale l’image  et ses incidences sur nos corps et nos manières de vivre la sexualité. La pornographie apparaît alors comme une sorte de laboratoire dans lequel des expériences micro-politiques peuvent être tentées pour questionner la construction de nos identités sexuelles et de genre.  

Ainsi, l’étude du rapport conflictuel qu’entretient le féminisme avec la pornographie depuis la révolution sexuelle des années 60 est aussi l’occasion de mettre en lumière des pratiques pornographiques, passées et présentes, aussi originales qu’innovantes. L’auteur s’intéresse à des figures combattantes et engagées, Annie Sprinkle, Madison Young, … : des femmes qui ont choisi de vivre leur féminité comme un défi aux normes que (et qui) cadre(nt) le regard des hommes ; des femmes qui ont décidé non plus d’endurer leur sexualité mais de se l’approprier de manière active. Le livre ne manque pas de souligner les différentes polémiques qu’ont pu susciter (et suscitent encore) les réalisations de celles que l’on peut appeler des "activistes du sexe" au sein même du mouvement  féministe.  En effet, au lieu de vouloir abolir la pornographie, ultime avatar de la domination masculine, ces militantes ont choisi de plonger yeux et corps dans l’explicite, afin de construire les formes d’un plaisir qui leur correspondrait enfin.       

L’ouvrage de Courbet est très introductif, parfois (beaucoup) trop. Il a cependant le mérite de donner directement la parole à certaines des réalisatrices concernées dans une série de courts entretiens tout à fait passionnants. A lire le récit des héroïnes de la pornographie d’hier et d’aujourd’hui, l’on s’aperçoit que l’image pornographique au-delà de son contenu, pour le moins explicite, contribue aussi à la fabrique de nos inconscients visuels. Elle promulgue des modèles, banalise telle ou telle pratique, en oublie ou en bannit d’autres, conditionne certains réflexes esthétiques. Ou, si elle n’a pas ce pouvoir, elle peut au moins être envisagée comme une loupe agrandissante de la grammaire majoritaire de nos jouissances. Les réalisations et les réflexions minoritaires des protagonistes "du hard version femmes" (le pluriel a ici toute son importance) s’efforcent donc de miner pareille grammaire à la place de la subir. Leurs tentatives montrent à quel point la lutte -contre l’Idéal hétéro-normatif-machiste-dominant, parce qu’il étouffe la profusion des possibles, parce qu’il oblitère la créativité de nos existences et parce qu’il les conforme trop strictement à un, et un seul, modèle- s’avère toujours aussi nécessaire que réjouissante

 

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