Une synthèse introductive sur un des grands enjeux de la réflexion sur le cinéma : son rapport à l'Histoire.

"Le cinéaste conduit le spectateur dans le cabinet de l’historien", écrit l’historien italien Carlo Ginzburg. C’est aussi le geste de ce bel ouvrage de Guillaume Evin, qui présente 100 films mettant en scène l’Histoire au cinéma. Nulle ambition théorique derrière ce projet, mais un ensemble d’idées pertinentes qui permettent d’y voir plus qu’une compilation, et ouvrent un certain nombre de pistes de réflexion. En préface, Costa-Gavras pointe ainsi avec justesse combien "nous avons besoin d’images, de récits, d’histoires inventées ou vraies, et des histoires de l’Histoire pour rendre plus clair et ordonner le chaos", et pose pour seule exigence "le respect de l’éthique des personnages, de leurs actes, (...) des situations mises en scène et en images". Des films incontournables, tels que Les Dix Commandements de Cecil B. de Mille (1955), Docteur Jivago de David Lean (1965) et Rome, ville ouverte de Rosselini (1945) croisent ici d’autres films un peu moins canoniques, comme 1900 de Bernardo Bertolucci (1976), L’Assassinat de Trotsky de Joseph Losey (1972), ou encore le très beau Une journée particulière d’Ettore Scola (1977), dont l’histoire se déroule à Rome lors de la rencontre entre Mussolini et Hitler en 1938.


Guillaume Evin a organisé sa sélection en quatre larges périodes (et plusieurs sous catégories) : la Préhistoire et l’Antiquité, le Moyen-Age, les Temps Modernes, et l’Epoque contemporaine - cette dernière étant la plus richement nourrie, de la révolution française à la guerre en Irak, en passant par les révolutions russes, les deux guerres mondiales, ou encore la guerre du Vietnam... Le western est étrangement absent, mais, bien que très européano-centrée, cette Historie au cinéma laisse une place au Japon médiéval (Ran, de Kuroswa), à la naissance de l’Amérique (de Naissance d’une nation de Griffith à Lincoln de Spielberg) ou encore à la dictature Khmer au Cambodge (La Déchirure, de Joffé).


Cette répartition en sections permet de confronter les films de plusieurs nationalités, époques et réalisateurs sur une même période historique: par exemple, comment l’Europe médiévale est-elle vue par les cinéastes américains (Les Vikings de Fleischer), russes (Andreï Roublev de Tarkovski) et français (La passion Béatrice de Tavernier)? On a ainsi la possibilité de comparer plusieurs interprétations de l’histoire de Jeanne d’Arc, ici celle de Dreyer (1927) et celle de Fleming (1948), et de voir l’écart qu’il peut y avoir entre une interprétation à la fois christique et scrupuleuse de l’histoire, celle de Dreyer (qui donna à Jean Tullard "l’impression que le procès de Jeanne d’Arc a été tourné à l’époque et que le film a été retrouvé au XXème siècle"), et une version plus spectaculaire, celle de Fleming, portée par un solide budget hollywoodien. Chacun a sa manière, ces cinéastes ont cherché à s’attacher des sources de légitimité : pour Dreyer, l’historien Pierre Champion qui avait exhumé quelques années auparavant les textes du procès de condamnation ; pour Fleming, le révérend père Paul Doncoeur, susceptible de valider l’authenticité de la mise en scène, et ainsi d’épargner au cinéaste les foudres du clergé !


Pour un cinéaste, l’inscription d’un film dans une période historique est parfois moins l’expression d’une ambition de reconstitution que le résultat du choix de déployer de manière détournée un discours sur le présent, appelant donc les spectateurs à exercer une double lecture. Ainsi, le genre du péplum a souvent été un puissant vecteur de discours sur l’Amérique, ses valeurs, ses ambitions. Quo Vadis (Leroy, 1951) serait ainsi l’allégorie d’une Amérique engluée dans le maccarthysme, et La Chute de l’Empire Romain (Mann, 1964) incarnerait une version antique de la real politique américaine, dans un contexte de guerre froide.


Plus qu’un prétexte à un jeu des sept erreurs (que l’auteur s’amuse aussi à relever), l’Histoire au cinéma intéresse également pour ce qu’elle dit du réalisateur et de l’époque de la conception du film. Le cinéma d’Eisenstein en est une illustration : la réhabilitation d’un héros de la Russie médiévale dans Ivan le Terrible plait à Saline tant elle exalte un certain culte du chef ; la seconde partie du film, en revanche, qui dépeint "les mécanismes de l’isolement du chef parvenu au sommet de la pyramide et l’inéluctable paranoïa de celui qui a assis sa domination sur la terreur", subit les foudres de la censure et ne sort au cinéma que plusieurs années plus tard... "A l’arrivée, regarder Ivan, c’est voir Staline et... ses dérives".


"L’Histoire au cinéma" constitue un ouvrage intéressant et accessible, idéal pour une première approche du sujet. Pour les curieux à la recherche d’analyses plus approfondies, l’auteur a essaimé des références au fil des textes : on lira par exemple le classique Cinéma et Histoire de Marc Ferro, L’historien et le film de Christian Delage, ou encore Les biopics du pouvoir de politique de l’Antiquité au XIXème siècle, sous la direction de Barnier et Fontanel