L'arrivée du numérique, pour les revues papiers, s'est d'abord traduit par une évolution en terme de poste de travail. Les équipes des revues, souvent réduites, ont dû intégrer de nouvelles compétences, tout en conservant le savoir-faire "papier".

Pour les revues hybrides, "le numérique est avant tout un outil de valorisation du papier", avec le souci "d'éviter tout risque de cannibalisation entre numérique et papier", selon le directeur de la revue Esprit. Cette stratégie, plutôt mesurée et prudente vis-à-vis du numérique s'explique par l'absence à ce jour de modèle économique de remplacement à l'abonnement papier. D'autant plus que le numérique implique des coûts non négligeable de remises à jour régulières du site internet. Les sites internet de ces revues sont ainsi des "sites 1.0" faisant essentiellement office de vitrine commerciale pour la revue papier. Cet usage a minima du numérique n'est pas remis en cause par le lectorat qui n'a à ce jour pas spécifiquement fait entendre de revendications telle que l'ouverture de forums en ligne et autres espaces de débat numériques.

Le numérique, plus qu'une simple vitrine

Le numérique offre toutefois d'autres fonctionnalités que la simple vitrine. Il est particulièrement utile pour la revalorisation des archives. Les revues peuvent ainsi faire "remonter" un ancien article qui retrouve une actualité. Le numérique permet également d'offrir un espace de publication supplémentaire. Les revues hybrides signalent une augmentation des publications 100% numériques, qui d'ailleurs ne semblent plus poser aujourd'hui de difficulté de la part des auteurs. Les publications numériques originales correspondent souvent à des articles rapidement périssables et pour lesquels la rapidité de la publication est un critère important pour le succès d'audience. Le numérique doit également correspondre à l'enrichissement multimédia, avec la publication de cartes, de vidéos et sons liés à l'article. Mais de manière générale, les revues sous-exploitent encore ces possibilités.

Sur les nouvelles méthodes de commercialisation permises par le numérique, la vente d'article à l'unité semble aujourd'hui acceptée, malgré les résistances d'hier. Certaines revues ont également adopté la politique de mise en ligne gratuite immédiate d'une sélection d'articles du dernier numéro papier. La revue Multitudes expérimente le numéro papier accompagné d'une clé USB remplie de contenu numérique propre. Le numérique pose toutefois des questions spécifiques de droit d'auteur, du fait qu'il n'y a généralement pas de contrat entre l'auteur et la revue.

Le numérique ouvre également des nouveaux enjeux comme celui du "droit du lecteur", notamment défendu par la revue Vacarme. L'abonnement à une revue peut souvent s'interpréter comme un geste militant, de soutien à un courant de pensée politique ou esthétique. Quid d'un tel geste militant avec le numérique ?

Le numérique pose également des questions plus fondamentale, d'ordre anthropologique avec les modes de lecture impliqué par le format numérique, notamment en terme de rapport à l'intégrité d'un numéro (beaucoup de revues pensent chacun de leur numéro comme un tout en soi qui ne peut se découper à la carte) et au temps de lecture ; le numérique étant souvent critiqué pour la lecture "aplanissante" et "fragmentée" qu'il induit. Le numérique serait la cause d'une "hémorragie du rapport au temps long." Cela dit, un certain nombres de participant veulent être optimistes et recentrent la problématique sur le lecteur, et non sur l'éditeur de revue, avec l'enjeu de l'éducation des lecteurs à la lecture numérique.

Le tout numérique, pas à l'ordre du jour pour beaucoup

Sur la question d'un passage au tout numérique, l'ensemble des revues s'y refusent. Maintenir le papier revient, selon eux, à préserver l'unité de la revue et donc son identité. La question se pose toutefois aujourd'hui pour les revues scientifiques, où la pratique de lecture se fait aujourd'hui davantage via des accès à des bases de données en ligne ; et pour lesquelles l'intégrité d'un numéro se pose moins, la majorité de leurs numéros étant des numéros varia.

Les participants ont soulevé le défis de la circulation des publications en Europe, avec la problématique de la traduction. Les participants soulignent l'importance du droit à s'exprimer dans sa langue, droit d'autant plus important pour les productions intellectuelles qui nécessitent un véhicule linguistique fin, à la hauteur du propos développé. Les participants suggèrent au CNL de prendre en charge cette question, notamment en organisant un réseau d'aide à la traduction regroupant les revues européennes ou en portant le projet d'un pool de traduction européen

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr : 
- Les comptes-rendus des autres ateliers de la journée d'étude sur les revues, "Revues en stock", organisée au CNL
- Le compte-rendu de cette journée par Livres Hebdo
- Le programme et les intervenants de cette journée d'étude