Lorsque Jacques Attali publia ses derniers Verbatim des années Mitterrand en 1995, il suscita l'indignation. Une quinzaine d'années plus tard, la littérature de quinquennat est en passe de devenir un genre.
Quand Nicolas Sarkozy affirmait son désir que ses conseillers et ses ministres puissent s'exprimer librement sur la scène publique, il n'en attendait sans doute pas tant ! Ses trois plumes ont ainsi continué de tapoter sur leur clavier après avoir quitté leur bureau de conseiller, chacun publiant son propre journal de bord : La nuit et le jour pour Henri Guaino, Scènes de la vie quotidienne à l'Elysée pour Camille Pascal, Sous la plume. Petite exploration du pouvoir politique pour Marie de Gandt.
Et les ministres ne sont pas en reste. Disposant sans doute de plus de temps libre qu’à l’heure de l’exercice des responsabilités gouvernementales, trois d'entre eux ont également couché sur le papier leurs souvenirs de quinquennat : Jours de pouvoir pour Bruno Le Maire, A feu et à sang pour Roselyne Bachelot, Journal de crise pour François Baroin. Cette passion graphomane interroge.
Tout à l’ego
Ambition affichée de tous ces ouvrages : raconter une autre vérité que celle offerte par les commentateurs et les détracteurs, retrouver une maîtrise du récit alors que l'emprise médiatique est de plus en plus forte. On veut bien y croire, mais il serait naïf de s’en tenir à ces déclarations de bonne volonté. Car au fil des pages, force est de constater deux tendances très claires dans ces livres autobiographiques.
Première tendance : une jolie glissade vers la flagornerie. Podium olympique pour trois champions du genre : François Baroin, Camille Pascal et Henri Guaino, dont les récits sont une véritable ode à la grandeur de Nicolas Sarkozy. "On se rendra compte du risque que le pays a pris en écartant une telle intelligence et une telle énergie qui l'avaient si bien protégé pendant cinq ans" déclare sans nuance Henri Guaino. Voire.
Deuxième tendance : la tentation de la pose. Car, à raconter le parcours et dresser le portrait d’un homme d’Etat, on est bien tenté de mettre en valeur ses merveilleuses qualités de conseiller ou ses innombrables talents de ministre. En la matière, Henri Guaino et Camille Pascal se distinguent particulièrement, égrainant parfois peu subtilement les anecdotes sur leurs glorieux faits d’armes. Après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Vanitas, vanitum, omnia vanitas…
Un double-effet miroir ?
Mais se regarder dans un miroir ne sert pas qu’à se trouver formidable, et ces témoignages offrent aussi d’intéressantes réflexions sur les rouages et l’exercice du pouvoir. Une question centrale dans le livre de Bruno Le Maire, car "la vérité du pouvoir ne se trouve ni dans sa conquête, ni dans son bilan : la vérité du pouvoir est dans son exercice", explique-t-il ainsi dès le début de son livre. Et forcément, "quand on parcourt trois fois la planète pour cinq lignes de communiqué dans un G20, on se pose nécessairement la question de l'intérêt de la vie publique."
Mais, malgré ces questions sur le sens de l’engagement politique, il est clair que ces ouvrages sont des succès de librairie. Le moins vendu d’entre eux est celui, très thématique, de François Baroin, qui totalise tout de même 18 000 exemplaires écoulés. De quoi faire pâlir d’envie un paquet d’écrivains ! Car le pouvoir reste un objet impalpable et mystérieux, et tous ces polygraphes plus ou moins talentueux permettent d’en réduire l’opacité en le racontant… chacun à sa manière.
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A lire également : "Le désert du pouvoir" : la recension du journal de Bruno Le Maire Jours de pouvoir (Gallimard, 2013) par Pierre-William Fregonese