Retour sur l'histoire du célèbre studio: ses producteurs, ses réalisateurs, ses monstres sacrés.

A l’occasion des 100 ans de la création des studios Universal, Universal Pictures France et la Cinémathèque française s’associent pour programmer une rétrospective de 101 films du célèbre studio fondé par Carl Laemmle en 1912. Au sein de de cette sélection, on retrouve les films de cinéastes aussi divers que James Whale et Don Siegel, Orson Welles et Steven Spielberg, Robert Mulligan et George Roy Hill,  appartenant à des genres allant du fantastique au western en passant par le film noir.

L’ouvrage publié sous la direction de Jean-François Rauger s’attarde sur l’histoire du studio, dresse les portraits des principaux producteurs et cinéastes qui y ont travaillé, étudie aussi bien les stars que les personnages de monstres qui ont fait la renommée de la Universal, et commente bien sûr la centaine de films sélectionnés pour la rétrospective. Les textes de Bernard Payen, Pierre Berthomieu, Jean-François Rauger, Bernard Benoliel (entre autres) sortent ainsi de la classique opposition entre politique des auteurs et machine à rêves, pour toucher à ce que certains appellent "le génie du système" (d’après le titre du fameux ouvrage de Thomas Schatz paru en 1988).

La Universal Film Manufacturing Company nait donc en 1912 à New York, du regroupement de six entreprises (dont l’Independent Moving Pictures de Carl Laemmle), en opposition au trust Edison-Biograph, qui concentre alors les pouvoirs de la filière cinématographique. En 1915, Universal City ouvre ses portes dans la périphérie de Los Angeles, et devient une véritable ville dans la ville, auto-qualifiée de “strangest place on earth” ou encore de “world’s only movie city”. Laemmle, resté à New York, nomme le premier responsable de la production d’Universal (qui deviendra, à la suite de son départ à la MGM en 1923, un des plus légendaires producteurs d’Hollywood, et le modèle du Dernier Nabab de Fitzgerald) : Irving Thalberg.

Universal est alors établie dans le paysage des studios américain comme une des trois minors, dont l’économie repose sur une production abondante de série B à petit budget, et qui, contrairement aux cinq majors, ne possède pas de parc de salle. Produisant d’abord des westerns en deux bobines tournés à la chaine pour l’Amérique rurale, Universal se lance, dans les années 1920, dans des productions de prestige avec les films d’Erich von Stroheim (Foolish Wives, 1922), Le Bossu de Notre Dame (Worsley, 1923) ou encore Le Fantôme de l’Opéra (Julian, 1925). Le relatif conservatisme du studio se trouve à nouveau bousculé par l’arrivée à sa tête de Carl Laemmle Junior en 1928. Universal gagne son premier oscar avec l’adaptation d’Erich Maria Remarque, All Quiet on the Western Front (Milestone, 1930), et rencontre le succès populaire grâce notamment aux films fantastiques de James Whale (Frankenstein, 1931) et Tod Browning (Dracula, 1931), dont le style visuel est largement influencé par l’expressionnisme allemand.

Mais des difficultés économiques conduisent Universal à être racheté en 1936 par la Standard Capital Company, qui évince les Laemmle de la direction. Le retour à la rentabilité a lieu dès la fin des années 30, notamment grâce aux films de Deanna Durbin, la première grande star du studio. Malgré des productions artistiquement ambitieuses comme The Scarlet Street de Fritz Lang, les années 40 sont surtout marquées par les grandes productions populaires de suspens et d’horreur déjà organisées en franchises (Sherlock Holmes incarné par Basil Rathbone, ou encore The Wolf Man de George Waggner en 1942). Le duo comique Abbott et Costello est alors à l’apogée de son succès. Mais les concurrents (RKO, Twentieth Century Fox) croissent désormais plus rapidement qu’Universal. International Pictures, créée en 1944 et productrice de The Stranger d’Orson Welles et de Woman in the Window (La Femme au portrait) de Fritz Lang, fusionne avec Universal en 1946. Les films noirs d’après-guerre, portés par le duo William Goetz (vice-président) / Leo Spitz (au CA), constituent la nouvelle ligne de ce qui s’appelle désormais Universal International.

Les années 50 sont marquées par une crise majeure due à une chute de la fréquentation des salles, à de nouvelles législations antitrust qui contraignent les studios à se séparer de leurs réseaux de salles et bien sûr à l’apparition de la télévision. La stratégie conglomérale qui s’amorce avec le rachat d’Universal par Decca, grande société d’édition musicale, s’exprime dans la production croissante de films mettant en scène les artistes et le répertoire du label.
Les films d’Universal rencontrent le succès grâce à des acteurs stars tels que Tony Curtis, Rock Hudson, Esther Williams ou encore James Stewart, qui jouent dans les beaux westerns d’Anthony Mann (Winchester 73, 1950 ; Bend on the River, 1952). Universal donne aussi naissance à quelques chefs d’œuvres plus originaux, comme  La Soif du mal (Welles, 1958) et To Kill a Mockingbird (Mulligan, 1962).

Durant ces années, la Music Corporation of America, première agence artistique d’Hollywood, se lance dans la production télévisée via sa filiale Revue Productions, avant de racheter Decca (et donc Universal) en 1962. Universal est désormais un département marginal au sein d’un empire "médiatique" plus large : production télévisée, édition musicale, publications, et même immobilier, assurance et informatique… Mais les gros films de cette époque ne rencontrent pas toujours le succès escompté (Sweet Charity de Bob Fosse par exemple), malgré les succès artistiques des Oiseaux (Hitchcock, 1963) et des Tueurs (Siegel, 1964).

Le studio renoue avec le succès dans les années 70 grâce aux films de George Roy Hill (L’Arnaque, 1973 ; Slap Shot, 1977) et grâce à une génération plus jeune, incarnée notamment par Steven Spielberg (Les Dents de la mer, 1975). Mais il réduit drastiquement le nombre de films produits, avant de se concentrer sur la distribution de projets portés par des cinéastes-producteurs, et seulement co-produits et hébergés par les studios. Une valse de rachats frappe alors Universal : MCA est vendue à Matsushita (en même temps que Columbia l’était à Sony), avant d’être rachetée par la société canadienne Seagram, puis par Vivendi, et finalement par NBC/General Electric. Universal mène désormais essentiellement une activité de distribution, malgré sa participation à la co-production de Gladiator (Scott, 2000) ou encore The Bourne Identity (Liman, 2002).

Portée par des figures remarquables (Carl Laemmle, Irving Thalberg, Aaron Rosenberg, William Alland, ou encore Lew Wasserman) et des cinéastes de talent (Erich von Stroheim, James Whale, Anthony Mann, Douglas Sirk, Alfred Hitchcock, etc.), Universal restera surtout connue pour sa galerie de monstres qui font les beaux jours du cinéma fantastique des années 30 à la fin des années 50 : Frankenstein et Dracula, incarnés par les éternels Boris Karloff et Bela Lugosi, sont accompagnés par les momies, araignées et autres hommes invisibles autour de formules éprouvées, parfois même usées jusqu’à la corde (Frankenstein Meets the Wolfman, 1943 ; Bud Abbott and Lou Costello Meet Frankenstein, 1948). Le genre fantastique se renouvelle dans les années 50, délaissant les atmosphères gothiques ou victoriennes pour des préoccupations plus contemporaines : science-fiction (It Came from Outerspace, 1953 ; The Mole People, 1957) et créatures originales (notamment dans les films de Jack Arnold, Creature from the Black Lagoon, 1954 ; Tarantula, 1957) alimentent ce cinéma influencé par la guerre froide et l’angoisse atomique, et où la 3D fait déjà sensation.

Un peu oubliée aujourd’hui, l’étrange créature du Lac Noir donne lieu à trois films entre 1954 et 1956, et a offert l’occasion d’un bon mot glissé dans la bouche du personnage de Marilyn Monroe dans Sept ans de Réflexion (Billy Wilder, 1957) : "J’ai eu tellement pitié de la créature… Je crois qu’elle avait simplement besoin d’affection." On y verra un signe de la faculté qu’ont eue les grands monstres Universal (de Dracula à E.T.), à dialoguer, tout au long du XXe siècle, avec l’inconscient collectif américain – ce qui explique d’ailleurs pourquoi les films fantastiques se taillent une part aussi importante dans la rétrospective actuelle de la Cinémathèque française