Une analyse des liens étroits entre la création musicale et la politique - et donc l'Histoire - au 20ème siècle.

Mais qui est Alex Ross ?

Un spécialiste de l'histoire de l’art ? Un musicologue ou un docteur en sciences politiques ?

A la lecture du premier ouvrage du critique musical du New Yorker, la question se pose immédiatement.

En effet, écrire une histoire de la musique classique du 20ème siècle en la restituant dans son contexte politique est l’objectif clairement affiché par l’auteur pour qui "la musique, parce que muette, est toujours susceptible d’être utilisée à des fins politiques".

Certes, le 20ème siècle est un siècle d’idéologies et de conflits, un siècle de "grandes" et de petites révolutions ; une période de débats intenses et acharnés à Paris, Moscou, Berlin, Darmstadt ou encore Los Angeles.

Toutes ces villes ont été tour à tour le théâtre d’un véritable foisonnement artistique : musique néo tonale, répétitive, néoclassique, dodécaphonique, sérielle, spectrale, aléatoire, minimaliste, néoclassique, concrète, électronique…

La liste est longue et l’écueil pour l’auteur, évident : faire un inventaire à la Prévert ou une galerie de portraits, le tout agrémenté de quelques anecdotes captivantes.

Alex Ross réussit néanmoins son pari.

Le livre débute par un refus : celui du régime austro hongrois d’autoriser Gustave Mahler, alors directeur de l’Opéra de Vienne, de programmer dans sa saison, la création de Salomé de Richard Strauss. Après de multiples démarches politiques, il obtiendra finalement un accord pour que l’œuvre soit montée non pas à Vienne mais à Graz, petite ville de la province autrichienne. Le 16 mai 1906, parmi les invités le soir de la première, étaient présents Strauss, Berg, Schönberg, Puccini et "quelques têtes couronnées". L’auteur nous dit que le jeune Hitler aurait pu assister à cette représentation.

Dès le départ le ton est donné.

En effet, pour Alex Ross l’objectif est avant tout de démêler l’écheveau de l’histoire musicale en liaison avec la vie politique.

En toute logique, le livre se termine un soir de première, le 22 octobre 1987, à l’Opéra de Houston par la création du Nixon in China de John Adams.

La symbolique est double. De Graz à Houston, le décalque américain de l’"ancien monde" ancre la diversité de notre époque dans une réalité géographique nouvelle. De Strauss à Adams, le retour à la tonalité semble clore le cycle initié par l’Ecole de Vienne qui avait conduit les avant-gardes, après la seconde guerre mondiale, à proclamer l’"égalité des sons".

L’ouvrage propose un découpage très didactique qui s’apparente à celui d’un manuel d’histoire. Trois périodes sont distinguées : de 1900 à 1933 ; de 1933 à 1945 ; de 1945 à nos jours.

Si les têtes de chapitres sont presque toujours sans surprise ("Berlin des années 20", "La musique dans la Russie de Staline"), certains développements sont plus inattendus ou moins connus comme le projet musical fédéral de Franklin D. Roosevelt. Initié dans le cadre du New Deal, le projet devait permettre aux plus défavorisés d’avoir accès aux salles d’art lyrique et à l’enseignement musical : dès 1935, l’Opéra de Boston proposait ses premières portes ouvertes.

La somme des connaissances contenues dans l’ouvrage n’est jamais indigeste ; elle est toujours proposée au lecteur sous forme d’histoires, d’anecdotes et de citations.

Alex Ross recompose la vie de Strauss au filtre de ses relations avec le régime nazi, décrypte les relations de Chostakovitch avec le régime communiste, commente l’exil de Stravinsky et de Schönberg à Los Angeles, raconte l’isolement finlandais de Sibelius.

Si l’ouvrage perd de sa consistance dans la période plus récente, c’est probablement parce que l’histoire n’est pas encore passée.


> voir sur le même livre la critique de Karol Beffa.


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