Faut-il encore présenter la revue XXI ? Sa couverture colorée au format paysage richement illustrée est devenue depuis cinq ans un élément familier des maisons de la presse tout comme des librairies. Ce mook, c'est-à-dire un hybride entre magazine et livre (book), à l'occasion de son vingt-et-unième numéro, propose son "Manifeste", écrit par Laurent Beccaria, directeur de la publication et patron de la maison d'édition Les Arènes, et Patrick de Saint-Expuéry, rédacteur en chef de XXI.
Un constat, des propositions
Dans la vingtaine de pages que compte ce manifeste, les deux fondateurs de la revue reviennent sur l'état actuel de la presse et dressent un constat peu reluisant. La mutation numérique n'est pas le grand méchant loup pour ces derniers : elle a joué le rôle de catalyseur de la crise de la presse mais elle n'explique pas tout. Les modèles économiques fondés sur la rentabilité et l'acquisition par les grands groupes – rejoignant en cela les analyses de Jean Stern dans Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais – ont davantage contribué à la dégradation de l'état de la presse française. La réactivité est désormais le maître mot alors que le scoop est désormais éphémère et donc vain. Les fermes de contenus assistées par ordinateur menacent de remplacer le vrai journalisme tout comme le désir de participation des lecteurs dont la fidélité et la cohérence dans leurs pratiques de consommation d'information sont aujourd'hui très différentes. En bref, le tournant numérique n'a pas réalisé les promesses des larges investissements consentis. Il a simplement appauvri le contenu de la presse.
Historiquement, nous avons assisté à un bouleversement du modèle de la presse né au XIXe siècle pour Beccaria et Saint-Expuéry. Ils distinguent ainsi trois rouages dans celui-ci : l'attrait du lecteur pour l'information dramatique, le rôle du pouvoir dans la production de l'information et la fonction politique et civique de la presse. Celle-ci repose en conséquence sur trois piliers : "la liberté par le commerce", l'indépendance et la qualité ainsi que le "lien avec les lecteurs". Le modèle américain de la presse a par ailleurs consacré la figure du grand reporter-enquêteur tel Stanley ou Upton Sinclair. Cependant, ces dernières décennies ont été marquées par la perversion de ces caractéristiques historiques ("la confusion des genres") et par l'affaiblissement de la confiance des lecteurs dans la presse. Le tout étant alimenté par de virulentes critiques émanant d'intellectuels tels que Pierre Bourdieu , Noam Chomsky ou Serge Halimi .
L'équipe de XXI en appelle donc à une refondation de la presse qui peut faire écho au manifeste du Spill (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne). Soulignant l'indépendance, la robustesse et la longévité du Canard Enchaîné (en activité depuis 1915), ils proposent une presse sans publicité. Il faut cesser de produire des contenus pour les annonceurs. Mais, au contraire,pour les lecteurs en mettant l'exigence de qualité – fondée sur le reportage approfondi – en avant. Cette refondation passe par quatre nouveaux piliers : se donner le "temps", investir le "terrain", prêter attention à "l'image" et à la "cohérence" de l'offre éditoriale.
Difficile de ne pas être d'accord sur le principe avec ces propositions bien amenées et appuyées sur l'expérience du succès de la revue XXI. Par ailleurs, l'information récente selon laquelle le New York Times dégagerait désormais plus d'argent avec ses lecteurs qu'avec ses annonceurs, semble aller dans le même sens. L'information de qualité se doit d'être payante et si possible financée par les lecteurs et non par la publicité.
Quelle transposition ?
Toutefois, XXI tout comme Mediapart, au modèle similaire, ne dépassent pas les 100 000 lecteurs/abonnés malgré la qualité des contenus. N'en déplaise à leurs fondateurs, XXI reste un livre-objet bien situé dans un marché de niche, peut-être pas exclusivement réductible aux bobos comme s'en défendent ainsi les auteurs du "Manifeste" (sans pour autant avancer de données sociologiques quantitatives précises). De même Mediapart se concentre (de façon salutaire) sur les affaires politiques ou du moins le journal en est réduit à cet aspect aux yeux de l'observateur extérieur quand bien même il faut reconnaître que peu de journaux mettent en une des critiques d'ouvrages et que les partis-pris poussent assez loin l'analyse.
En bref, le public de ces nouveaux entrants est-il extensible à l'envi ou sommes-nous confrontés à des médias ayant trouvé leur niche ? Historiquement, la presse est liée à la révolution industrielle, à la démocratie où les masses jouent un rôle de plus en plus important. N'est-ce pas affaiblir sa portée de potentiel "quatrième pouvoir" que de la limiter aux formes prescrites par XXI ? La presse doit aider à faire société et ne pas contribuer seulement à l'entretien de micro-sociétés.
Enfin, dans le cas de XXI, on peut rester un amoureux du papier et apprécier leur démarche éditoriale, mais n'est-il pas nuisible à la diffusion de leurs idées et à l'ouverture d'un débat constructif sur l'état de la presse que de cantonner ce "Manifeste XXI" à leur édition papier ? Lecture sur écran n'est pas antinomique de savoir prendre son temps