Je le préfère à tout – à peuple – amis – maîtresse.
Il est dans l’univers le seul qui m’intéresse.
Mon plaisir, mon bonheur dépendent en tout du sien.
Qui n’est pas son ami, ne peut être le mien.
Que ses harnois, par vous, soient exempts de poussière.
De vos royales mains préparez sa litière.
(F.-M. Mayeur de Saint Paul, Honni soit qui mal y pense ou Le cheval de Caligula fait consul de Rome, 1780, I, 5)
Aimer un cheval peut porter à des excès. Le haïr également. On me racontait dernièrement, lors de ma visite d’un célèbre club d’équitation de la région parisienne, qu’on pouvait détester une monture tout autant qu’une femme, et même nourrir à son égard des désirs de vengeance et d’humiliation. L’histoire confirme les grandes passions chevalines. Ainsi en fut-il de Caligula lorsqu’il décida de nommer son coursier Consul de Rome, et d’Alexandre également qui, inconsolable de la perte de Bucéphale, lui fit faire de magnifiques funérailles aux bords de l’Hydaspe et fonda sur son tombeau la ville de Bucéphalie .
Des destinées aussi "dramatiques" tant du maître que de l’animal ne pouvaient manquer de séduire la facétieuse Thalie. Jouant des connivences avec son public, elle affectionne au XVIIIe siècle tout particulièrement ces passions animales baroques et illégitimes, où licence et gloire peuvent s’allier avec bonheur pour peu que l’auteur soit habile de sa plume et rompu à manier le sous-entendu. Moins paradoxalement qu’on ne pourrait le croire, vu la disparition du cheval de notre quotidien, dans nos spectacles contemporains, le positionnement réciproque du cheval et de la gloire a bien évolué ; un public plus grave se révèle nostalgique du passé et féru de sacré. En effet, sous l’Ancien Régime, la gloire effective du cheval et du cavalier, nobles garants d’un ordre transcendant, auquel chacun était confronté presque à chaque coin de rue, se prêtait à être détournée en une caricature ridicule lorsque le spectateur pénétrait dans l’univers théâtral de l’imitation et de l’illusion. Sans doute était-ce même une nécessité vitale que d’en rire marginalement alors que l’ostentation de leur gloire accompagnait la réalité du pouvoir dans les grandes cérémonies.
Sur la scène d’aujourd’hui, il semble au contraire que le spectateur soit en quête de l’image magnifiée et exaltée du destrier ; les sculptures équestres décorant nos places et les multiples représentations médiatiques ne suffisent plus à satisfaire son imaginaire ; il veut contempler des incarnations animées, les sentir manifestes. Pour répondre à son attente de se frotter au vivant, plusieurs événements matérialisent ce désir : Cheval Passion à Avignon, les Equi’days dans le Calvados, Ar(t) cheval à Saumur, Equita à Lyon, Les quatre Ecoles d’art équestres à Paris-Bercy, les spectacles du Musée vivant du Cheval à Chantilly, l’Académie du spectacle équestre à Versailles. Depuis fort longtemps, il n’avait autant été question, à la ville, du cheval ; peut-être en raison de sa disparition définitive en tant qu’auxiliaire aux champs et dans les rues. Non seulement on le lit, on le voit, on le contemple, on l’admire, on le monte, et l’on s’en sert même pour mieux "gérer le stress" de notre quotidien, mais on en fait aussi un redoutable acteur. Cet acteur brillant, intelligent, docile, crée quel que soit son rôle, l’événement. Dans l’espace scénique clos et limité de la scène proprement dite, hors d’échelle, le cheval s’exhibe à son avantage. Est-il nécessaire de citer les pièces du Théâtre du Centaure, de Castelluci, de Chéreau, et de beaucoup d’autres encore, nombreux à le faire figurer ? A l’égal de ses confrères, on peut décider sur les planches de simplement le représenter. Mais même comme attribut, comme décor ou comme marionnette, il n’en est pas moins omniprésent. Même si la critique littéraire ou théâtrale a maintes fois omise de le remarquer et l'a tenus hors champ.
C’est pourquoi, poursuivant son projet de promouvoir la recherche sur l’animal en littérature en accordant une place privilégiée aux arts du spectacle, la Société d’Etudes de l’Animal en Littérature et dans les Arts du Spectacle (dite Séalas) , organise en collaboration avec la Société d’Histoire du Théâtre (Paris), un colloque international sur le thème : Le Cheval et la gloire dans le spectacle vivant . En effet, quelles que soient la forme dramatique ou la convention théâtrale, qui va de la parade militaire au music-hall, en passant par le numéro savant de spectacle forain, le carrousel, les courses, le cirque, l’opérette, l’opéra-comique, l’opéra, la tragédie, etc., le cheval a su s’y faire une place, parfois modeste et parfois dominante.
Réalisé avec le soutien de l’Ecole doctorale de Littératures françaises et comparée de Paris-Sorbonne (Paris IV) et du Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages (CRLV), le colloque réunira une vingtaine de participants interdisciplinaires et de réputation internationale qui interviendront dans des domaines distincts mais pourtant interdépendants de l’univers du cheval en représentation : police montée, Garde républicaine, monde du cirque, jeux équestres, cabaret, mises en scène contemporaines, etc. Tous tenteront d’apporter des éléments de réponse à la question suivante : comment s’exprime la gloire de la plus noble conquête de l’homme et de son maître sur la scène, tant contemporaine que passée ?
Isabelle Martin
Le Cheval et la gloire dans le spectacle vivant
Colloque international
VENDREDI 15 ET SAMEDI 16 FEVRIER 2008
Maison de la Recherche de Paris-Sorbonne
28 rue Serpente, 75006 Paris.
Entrée libre