Les partis pris sociologiques n'ont pas de raison d'être exclus de la question des rapports arts et sciences, telle que nous la posons de nos jours. Au contraire. Conduit par Jean-Paul Fourmentraux, un volume de la collection Les essentiels d'Hermès   , intitulé sobrement Art et science (chacun au singulier, ce qui est étonnant et problématique, par deux fois), leur est consacré. Les articles qui le constituent sont majoritairement repris d'anciens numéros de la revue Hermès, consacrée, comme on le sait, à la communication.

En ouverture, confondant plus qu'un peu les sciences et les techniques, les techniques et les technologies, le coordinateur du numéro reprend justement le débat : "la création artistique et la recherche technologique, qui constituaient autrefois des domaines nettement séparés et quasiment imperméables" - nous avons eu plus d'une fois à rappeler que cette histoire devait être reconstituée avec beaucoup plus de précision - "sont aujourd'hui à ce point intriqués que toute innovation au sein de l'un intéresse le développement de l'autre". De là, insiste le sociologue, les oeuvres hybrides (très peu sont citées) que leur interpénétration nous font rencontrer (à dire vrai, il semble réduire d'emblée l'affaire aux oeuvres technico-esthétiques). Mais aussi : la redéfinition en cours de la figure de l'artiste, les modes de valorisation nouveaux de ce domaine, la question des arts numériques, et surtout, reprend-il, l'émergence d'une "classe créative", avant garde de la transformation des emplois hautement qualifiés. Ce sont ces derniers points qui, une fois cités, auraient du être développés, sans l'être pour autant.

Non moins étonnant, sur le plan des rapports arts et sciences, la multiplicité des vocables (voire concepts) qui sont censés rendre compte de ces rapports. Non seulement ils ne sont pas étayés, mais ils sont si divers qu'on a du mal à abonder dans ce sens : "convergence", est suivi par "communion", puis "analogie", "inspiration réciproque", "attraction et répulsion", ... Or, c'est justement sur ce point que la recherche, tant pratique que théorique, devrait se pencher avec rigueur. Et par deux fois : en examinant des oeuvres qui font des propositions de ce type et en conceptualisant les démarches au lieu de les livrer au jeu des mots.

En bref, s'il s'agit de constater des convergences, il conviendrait de rendre compte, par un travail épistémologique, des surfaces d'échanges entre les deux pratiques et/ou domaines. Et sur ce plan, finalement, l'interview de Jean-Marc Lévy-Leblond, auteur d'un opuscule sur La science n'est pas l'art, auquel la revue reprend son titre, recadre fort bien les choses. Le physicien rappelle avoir toujours soutenu l'idée d'un "alliage" entre sciences et arts. Par ce terme, il entend préciser qu'il convient d'éviter les mélanges confus, et d'organiser des coexistences dans lesquelles "chaque atome garde son individualité". L'idée est reprise un peu plus loin par Monique Sicard qui ouvre son propos ainsi "L'art d'aujourd'hui, sa pratique, ses médiations, n'a que peu de points communs avec la science contemporaine". Elle écarte au maximum les deux pratiques, afin, par la suite, de découvrir des carrefours fréquentables en commun. Elle montre alors, mais son point d'appui est plus aisé à utiliser que d'autres, que la photographie peut se donner pour le carrefour de mimésis réciproques entre sciences et arts, mais aussi, et en les distinguant, entre techniques et arts.

Evidemment le profil de l'Encyclopédie se manifeste dans plusieurs propos. L'alliance entre arts, philosophie, lettres, sciences et techniques s'y épanouit mais "tout en reconnaissant leurs différences". Les domaines de compétence sont identifiés, et les jeux sur les frontières deviennent plus intéressants que dans des mélanges dans lesquels chacun instrumentalise l'autre.

Il n'en reste pas moins vrai que ce volume prend parti pour, au moins, un chassé-croisé entre l'art et la science (toujours au singulier !). En n'oubliant cependant pas que les deux domaines ont été pris longtemps dans un grand récit des arts et des sciences, à partir duquel les rapprochements étaient conçus différemment. On rappellera toujours les peintures classiques et la connaissance de l'anatomie, et autres exemples d'autant plus faciles à utiliser qu'on les met au service d'une pensée un peu simplifiée. Il n'empêche, la vraie question demeure celle de savoir comment poser des rapports arts et sciences à l'ère de la fin des grands récits.

Pour clore ce bref billet, insistons, néanmoins, sur notre première remarque : il est tout à fait dommage que la conception du volume n'ait pas été plus sociologique et n'ait pas aidé à fouiller la manière dont les problématiques arts et sciences sont en train de fabriquer un nouveau registre de compétence et une nouvelle catégorie de classement sociologique. Ce sera sans doute pour une autre fois

 

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