Republié, le poème en prose que Georges Bataille dédia à sa future épouse, Diane Koutchoubey de Beauharnays.

“Sais-tu jusqu’à quel point l’homme est ‘toi-même’ ? imbécile ? et nu ?” Ainsi écrivait Bataille dans les semaines qui l’occupaient à la rédaction de L’Alléluiah. Catéchisme de Dianus maintenant republié par les Nouvelles éditions Lignes dans le cadre du cinquantenaire de la mort de son auteur.

Pour la première fois depuis 1961, ce livret paraît avec une identité à soi et non pas adjoint au Coupable publié en 1947. La première version du Catéchisme était accompagnée par des lithographies et des lettrines de Jean Fautrier, signées Jean Perdu, et déjà dans une réédition de la même année le texte paraissait sans illustrations. Ce n’est pas le manque d’iconographie qui se fait remarquer dans cette édition de poche minimale, mais celle d’une introduction, historique, philosophique, aux neuf paragraphes de ce poème d’amour que Bataille dédia à la belle Diane Koutchoubey de Beauharnais, princesse tartare qu’il avait connue à Vézelay en mars 1943 où il habitait une austère maison sans eau ni toilettes, avec Denise Rollin et son enfant de quatre ans.

La crise de sa relation avec Denise apparaît au moment de la rencontre avec Diane qui a aménagé dans le village avec son enfant après avoir fui un camp d’internement près de Besançon. Le printemps de Vézelay, un joli bourg traversé par les pèlerins sur les traces des reliques de la pécheresse Marie Madeleine, fut d’ailleurs complice de cette rencontre. Diane avait lu, sur conseil de quelques amis, L’Expérience intérieure, et en avait été très impressionnée. Elle avait 23 ans contre les 47 de Bataille, son futur mari, et son mariage précédent était en crise. Une tuberculose importante oblige toutefois Bataille, dans les mois suivants, à se déplacer ultérieurement près de Fontainebleau, pour se soumettre à des thérapies spécifiques. Diane s’installe non loin de là avec sa fille et deux autres enfants qui lui avaient été confiés. Ses visites sont presque les seules que Bataille, désormais immobilisé, reçoit.

L’Alléluiah. Catéchisme de Dianus naît dans ce contexte, comme un parcours d’initiation physique et spirituel destiné à une fille noble acheminée vers l’obscène et l’honteux. Plus généralement il s’agit, pour Bataille, de décliner ultérieurement le concept de sacré – sur lequel il travaille depuis longtemps et qui avait été entre autre le centre de sa relation avec Colette Peignot – dans le cadre du projet éditorial La Somme athéologique, comprenant L’Alléluiah, et s’inspire, par contradiction, à Thomas d’Aquin. Le sacré, défini par Bataille, se rejoint en renonçant à la souveraineté hégélienne, en acceptant de vivre entièrement l’impossibilité de l’abîme humain.

Le nom choisi par Bataille pour signer ce poème évoque d’ailleurs cette anti-souveraineté. Bataille, on le sait, n’est pas avide de pseudonymes : au plus célèbre Lord Auch, s’ajoutent Pierre Angélique et l’énigmatique Louis Trente ; cette fois, le choix tombe sur un nom qui fait allusion aux parties basses et cachées – auxquelles la noble fille devrait être initiée –, mais aussi au nom du sacerdoce de Diane, sur lequel avaient écrit Apuleius et Frazer. Dianus, le Roi du Bois – qui évoque le village de Bois le Roi où résidait Diane dans les mois passés à Fontainebleau – apparaît déjà dans le dernier chapitre du Coupable (“Le Roi du bois”) et dans la deuxième partie de L’Impossible. La légende le présente comme un pauvre moine ermite, “Roi du bois”, dont la souveraineté était à la fois un privilège et une charge lourde – risquée puisque continuellement menacée par ceux qui, en le tuant, se seraient appropriés de sa misérable couronne. Écrit avec une terminologie insolemment religieuse, cet “anti-catéchisme” se présente donc comme une initiation à la nuit, à la mort, qui ne sont plus ici romantiquement idéalisées mais se présentent dans toute leur brutalité, leur puanteur, leur honteuse misère que Bataille connaît dans les mois de solitude et maladie.

“Cette morale que tu écoutes, que j’enseigne, est la plus difficile, elle ne laisse attendre ni sommeil ni satisfaction.” La morale la plus difficile est celle dans laquelle le lecteur, accompagné par l’auteur comme Dante par Virgile dans son pèlerinage en enfer, est abandonné au bord de l’abîme : c’est là que Bataille lui avoue qu’il devra continuer son chemin seul puisque après ce seuil ce livre ne lui servira plus à rien. La scène finale – un nocturne privé de dieux –, également désolée et prometteuse : “Je ne sais si tu devras pleurer ou rire, découvrant dans le ciel tes innombrables sœurs”, montre, comme nulle part, la morale bataillienne dans toute sa portée cosmogonique.