Un travail universitaire qui problématise la question de la représentation politique en s’appuyant sur la philosophie de Thomas Hobbes.

Le livre de Philippe Crignon, De l’incarnation à la représentation   , se définit comme "un essai d’herméneutique de la représentation politique"   ; son objet figure en sous-titre : L’ontologie politique de Hobbes. C’est dire qu’il étudie historiquement les théories et systèmes d’idées en regard desquels le moment hobbesien, moment de rupture, peut s’interpréter. C’est en effet sur la migration du concept de représentation qu’il se concentre, reconstituant les héritages avec lesquels le grand philosophe anglais eut en partie à débattre.

Quatre parties ordonnent cette sorte de somme, cet immense travail de recherche qui comble les lacunes en matière politique (que signifie l’État comme corps ? etc.), qui reconstitue les moments historiques à la suite desquels la philosophie hobbesienne de la représentation se lit mieux.

Une première partie pose que la philosophie hobbesienne "est aussi fondatrice d’une époque en laquelle nous nous reconnaissons toujours à de nombreux égards"   . Il s’agit de comprendre ce que signifie fonder c’est-à-dire instituer de l’être, déterminer politiquement, faire advenir un être commun. Les vertus de la comparaison mènent ainsi de Hobbes à Augustin et à Arendt.

Une deuxième partie confronte la philosophie hobbesienne avec les deux métaphores du corps politique et de la personne civile pour décider comment penser l’union c’est-à-dire la communauté, à la lumière d’un constructivisme dont la nouveauté est de penser l’État comme une personne et non plus comme un corps : "Hobbes cherche à soustraire délibérément la doctrine civile à l’emprise du corps politique, c’est-à-dire à une ontologie politique de l’incarnation"   . Les vertus de la comparaison mènent cette fois de Hobbes à Jean de Salisbury et à Ockham. Il s’agit de comprendre ce que signifie représenter c’est-à-dire médiatiser, ce qui implique "une procédure de reconnaissance"   par quoi est autorisé un être de part en part artificiel auquel on s’identifie. Avec Hobbes, la représentation ne renvoie plus à une détermination qui lui serait extérieure ; elle est constituante.

Une troisième partie comprend un travail d’investigation concernant notamment la pensée médiévale pour situer davantage le moment hobbesien de la représentation. Beaucoup de références la traversent ; très érudite, cette partie a à faire avec des auteurs méconnus comme Bartole et J. Althusius.

Une quatrième partie établit comment se théorise une désincarnation de la sphère publique. L’un des points à retenir est sans doute que "l’ontologie politique de Hobbes entraîne une réforme en profondeur des conditions de croyance"   . Avec lui, c’est une époque qui change ; la controverse trinitaire et la naissance du droit public universel en donnent la mesure.
Bref, cette étude pour spécialistes entend rendre à Hobbes ce qui est à Hobbes ; en l’occurrence, elle insiste sur "l’origine radicale que constitue la théorie hobbesienne de la représentation"   . La conclusion   résume bien les innovations de cette théorie et ménage une comparaison éclairante entre la philosophie de Th. Hobbes et l’interprétation qu’en fait C. Schmitt.

Très clair, le livre de Ph. Crignon donne finalement de Hobbes le portrait d’un philosophe audacieux qui ne s’embarrasse pas tant que cela de la tradition philosophico-théologico-juridique. Dans sa démonstration, l’auteur ne peut toutefois faire l’économie d’une réflexion sur l’état de nature qui occupe surtout la première partie du livre ; ce dernier, il le définit comme un état autodestructeur qu’il réduit à un état de diversité humaine sans tenir compte de la distinction hobbesienne entre l’état de nature et le pur état de nature pour asseoir son projet démonstratif quant à l’idée de représentation : il faudrait inventer ce que la nature serait incapable de produire, comme si l’être tenait tout entier de la détermination d’une volonté d’unité qui rende raison de "la fondation constitutive de l’État"   . Liée à la notion d’état de nature, celle d’égalité est à l’occasion abordée ; l’auteur fait bien de souligner qu’ "aucune inégalité entre hommes et femmes ne se justifie selon Hobbes"   , mais il n’en tire pas les conséquences redoutables dont une possible : "La science politique affirme l’égalité naturelle sans pouvoir en imposer la reconnaissance"   .
Ceci n’est peut-être pas à proprement parler un livre sur la philosophie hobbesienne, à laquelle il n’introduit pas, considérant que la représentation est "la clé de l’édifice théorique de Hobbes"  

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr : 
- Une autre recension de l'ouvrage de Philippe Crignon par Hicham-Stéphane Afeissa