Un corpus intéressant et bien mené sur le monde du renseignement.

Le titre et le bandeau qui barre le bas de la couverture ("Un véritable manuel de l'espionnage") sont exagérément racoleurs pour un dictionnaire encyclopédique consacré aux services de renseignement. Certes, les huit leçons de la deuxième partie ("Les fondements de l'espionnage") offriront aux amateurs d'espionnite et espions en herbe de véritables aide-mémoire pour se bâtir une couverture, adopter des procédés de déguisement ou encore réaliser des recettes de fabrication d'encre sympathique. Des accroches marketing du livre astucieuses mais qui ne dévaluent en rien la qualité académique d'un corpus de plus d'un millier de mots et expressions des espions d'hier et aujourd'hui. Fort intelligemment illustrés par ailleurs !

Pour ceux qui voudront décrypter les manœuvres implexes du Guongbu (ministère chinois de la sécurité d'État), du GRU (direction générale des renseignements russes), du NRO (agence de renseignement américaine chargé des satellites espions), de la DGI (direction générale à l'information cubaine) ou encore du Naicho (Bureau de recherche du cabinet du premier ministre nippon), ce livre de poche s'avèrera informatif. Fruit du travail d'un auteur aussi prolixe - une vingtaine de livres en quinze ans - qu'éclectique   , le dictionnaire de F. Fuligni ne pratique pas le psittacisme. Il donne des définitions précises et concises aux termes retenus. Un travail nourri à une connaissance rare des archives des services de renseignement   .

En accordant une place centrale à la lexicographie des termes du métier, il déploie une vision très historique et institutionnelle de l'espionnage, mot-valise que l'on aurait aimé voir défini tout comme d'ailleurs celui d'"agent". Dans le dictionnaire, il manque quelques noms qui ont fait l’Histoire comme celui de "Farewell", le nom de code du lieutenant-colonel du KGB, Vladimir Ippolitovitch Vétrov (1932 – 1985), qui permis à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et aux services de renseignements américains de mieux connaître les méthodes et structures du KGB dans les années 80. Il aurait pu aussi être ajouté une note sur le général Valentin Vladimirovitch Korabelnikov, patron pendant douze ans du renseignement militaire russe (1997 - 2009) et acteur-clé de la guerre en Tchétchénie et lors du conflit kosovar.

Certains concepts opérationnels auraient également mérité d'être traités   car les métiers des femmes et des hommes qui servent la "communauté du renseignement" ne cessent d'évoluer. Aujourd'hui, comment ne pas parler des enjeux d’avenir comme ceux de la cyberdéfense, du rôle croissant de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et de la lutte informatique offensive ? Autant de défis en effet au cœur de nos politiques de renseignements et qui imposent de s'adapter.

Depuis 2008-2009, les services de renseignement français connaissent de profondes évolutions. Au premier rang des mutations, les efforts budgétaires importants de l'État, quoiqu'inégalement répartis entre ses services. Alors que le terrorisme a été déclaré l'adversaire numéro 1, la DGSE a vu, au cours du dernier quinquennat, son budget croître de 27% et ses ressources humaines de 12%. Une situation que les autres services peuvent jalouser. On le relève moins mais les effectifs de la Direction du renseignement militaire (DRM) ont été réduits de 10% et ceux de la Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD) de 13%. Quant aux personnels de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ils sont près de 10% inférieurs à l’objectif ciblé à l’heure de la fusion entre la DST et les Renseignements généraux (RG).

Sur le plan des programmes techniques, le bilan de Nicolas Sarkozy est tout aussi désastreux. La plupart des programmes majeurs de renseignements de défense, pourtant identifiés comme prioritaires par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, ont connu d’importants retards   . D'autres n’ont pas été réalisés   voire abandonnés   . Une situation toute aussi embarrassante pour le renseignement intérieur. La DCRI a manqué de 4,5 millions d’euros de dotation en crédits technologiques par an par rapport à ses besoins opérationnels.

Autant de défaillances technico-financières laissées par François Fillon et Nicolas Sarkozy qu'il appartient au gouvernement de François Hollande de corriger, tout en consolidant les importantes réformes institutionnelles enfin engagées. C'est pourquoi, il aurait été utile que le Livre des espions mentionne ces dernières car les actions des personnels de la communauté du renseignement s'inscrivent dans une politique publique mieux coordonnée   .

Historiquement, ce n'est pas la première fois que l'État se cherche des instruments interministériels appropriés (par exemple  le CIR : Comité interministériel du renseignement, autre oubli du dictionnaire). Michel Rocard chercha même à s'imposer à François Mitterrand en la matière   , mais c'est une première qu'il est accordé un rôle à la représentation nationale   . Une révolution politique qui d'ailleurs est loin d'être finie, comme en témoignent les auditions de la mission d’information sur les services de renseignement, qui se déroule à huis clos sous la houlette du président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas (PS) et la décision, à la mi-novembre, du groupe écologiste de l'Assemblée nationale d'utiliser son droit de tirage pour obtenir la mise en place une commission sur les dysfonctionnements des services de renseignement dans les affaires Merah, Karachi et Tarnac.

Non seulement, les dictionnaristes du renseignement doivent dorénavant s'intéresser aux contrôles démocratiques des actions des espions mais il doivent porter plus d'attention au champ de la Res economica. L'émergence d'une "Communauté de la sécurité économique" impose de définir, au plus tôt, le renseignement économique notamment son volet au profit de notre tissu entrepreneurial. Certaines activités des services de renseignement sont essentielles à notre sécurité   . De la même manière, il convient de préciser ce qu'est le renseignement financier, cette activité visant à cibler les activités illégales, notamment le blanchiment au profit de réseaux terroristes ou encore la contre-ingérence dans les intérêts de nos industries stratégiques et de souveraineté. Autant de théâtres d'opérations stratégiques qui mettent en lumière des acteurs administratifs restés jusqu'ici dans l'ombre, telles que la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et sa branche d'investigation, la Direction nationale du Renseignement et des Enquêtes douanières (DNRED). Des instruments si souvent sous-estimés qu'il fallut un amendement parlementaire pour que la DNRED et TRACFIN soient intégrés de jure à la "communauté du renseignement".

La préservation et la protection de la composante économique des intérêts fondamentaux de la Nation étant explicitement visés à l’article 410.1 du Code pénal, reste à savoir si à l'avenir il ne faudra pas élargir encore la communauté du renseignement à de nouveaux acteurs. A l'heure où il peut exister une certaine capillarité entre l'espionnage et l'intelligence économique, il sera intéressant de voir comment la Délégation interministérielle à l’intelligence économique (DIIE), créée en septembre 2009 et concourant, sous l'autorité du réseau des préfets de région, au pilotage de l’intelligence économique territorial (IET), s'articule avec les services de renseignement. Voilà un beau sujet d'étude pour les groupes de recherches publics et privés sur le renseignement   et tous ceux, et ils ne sont pas si nombreux, qui se lanceront dans l'aventure de l'écriture de dictionnaires encyclopédiques du renseignement

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr :
- "Repenser le renseignement", la recension de l'ouvrage de Charles Pellegrini, Histoires d'espions : le renseignement à l'heure de l'espionnage économique, par François Danglin
- "Le renseignement en France : une place à part", la recension de l'ouvrage de François Heisbourg, Espionnage et renseignement, par François Danglin