Une perspective critique actuelle et problématisée sur la littérature africaine, qui ne regarde pas la littérature comme un document sur les sociétés africaines mais comme la médiation d’un savoir, ouvert à l’interprétation des écrivains et des lecteurs.
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Afrique contemporaine, revue publiée par l’Agence française de développement (AFD), aborde les grands sujets de société concernant l’Afrique en insistant sur la notion de “développement”. Elle inscrit donc nettement le continent dans une perspective historique en mettant l’accent, comme son titre l’indique, sur l’actualité africaine.
Son numéro 241 propose un dossier, coordonné par Alexandre Maujean, sur la littérature : il s’agit de traiter le fait littéraire comme une réalité sociale, qui accompagne et participe au développement. Le volume peut se lire comme une initiation à la littérature africaine : il offre un panorama où les auteurs ont fait preuve d’un souci constant de clarification. Cette exigence, et la richesse des “repères” qui concluent le dossier, aideront certainement le néophyte à se retrouver dans le domaine de la littérature africaine. Cependant, ce souci de clarté n’empêche pas – bien au contraire – une mise en perspective problématique : le dossier propose un bilan des recherches actuelles dans les études littéraires africaines et ouvre des pistes de recherche intéressantes.
Le titre du dossier, “L’Afrique dans la littérature, un continent en son miroir”, articule les lettres africaines à leur société. Cependant, l’image stendhalienne du “miroir” ne doit pas tromper : le dossier n’aborde pas la littérature uniquement à travers le prisme du réalisme ; elle n’y apparaît pas comme un simple document sur le réel, un matériau pour les sciences humaines. En se tournant vers d’éminents spécialistes des études littéraires, la revue accorde à la littérature la place d’un objet à part, autonome dans son fonctionnement. Il n’en demeure pas moins que les articles intègrent d’autres disciplines des sciences humaines, pour expliquer le fait littéraire à partir d’autres outils conceptuels, pour l’articuler aux autres champs sociaux.
En réalité, l’image du miroir permet plutôt d’insister sur l’idée de réflexion. Jean-Bernard Véron indique bien dans son éditorial la visée des travaux : “explorer la relation qu’entretient la littérature africaine avec la réalité du continent” . La littérature ne reproduit donc pas le réel, ne se contente pas de le consigner par écrit ; elle est une représentation du réel, c’est-à-dire qu’elle traite du réel, le transfigure en tentant de le comprendre. Elle est donc moins une photographie du réel, qu’un “moyen et une source de connaissance” , suivant les termes de Jean-Michel Devésa et Alexandre Maujean dans leur introduction thématique.
Dans la construction de ce savoir, l’histoire occupe une place centrale. L’un des enjeux majeurs pour les écrivains, d’après Jean-Michel Devésa et Alexandre Maujean, a été de se ressaisir de l’histoire. Il s’agit donc d’inscrire la littérature africaine dans une histoire, comme en témoigne la chronologie esquissée par Jean-Bernard Véron dans son éditorial , complétée, précisée et enrichie par Jean-Michel Devésa et Alexandre Maujean dans leur introduction, qui scandent les différentes étapes de l’histoire littéraire africaine en l’articulant au contexte politique et en la balisant par des œuvres phares . Les repères jouent aussi un rôle important : ils permettent au lecteur de se retrouver parmi les nombreuses références mobilisées par les articles, en les situant dans une chronologie problématisée.
Ce n’est pas non plus un hasard si le premier article du dossier est signé par Lilyan Kesteloot, pionnière dans le domaine des études littéraires africaines et auteur d’ouvrages de référence sur l’histoire littéraire du continent . Son article reprend les étapes de cette histoire littéraire qu’elle a largement contribué à construire, mais son propos n’est pas uniquement de situer la littérature dans une histoire : elle analyse surtout la manière dont les écrivains réfléchissent à cette histoire, la rendent présente dans leurs textes. L’histoire ne détermine pas tant l’écriture littérature qu’elle ne lui sert de matériau : la littérature réfléchit à l’histoire, les écrivains lui cherchent un sens.
On peut ainsi établir un lien et un écho entre l’article de Lilyan Kesteloot et la contribution de Justin K. Bisanswa, dont les derniers travaux ont privilégié une approche plus synchronique des textes, quoique toujours tournée vers leur inscription dans le tissu social . En effet, selon lui, “le roman africain ruse avec l’Histoire et choisit le plus souvent de lui faire concurrence plutôt que de la reproduire” . La littérature n’est donc pas soumise au réel, mais construit un savoir : elle ne documente pas l’histoire, mais elle l’élabore, fournit des clefs d’explication suivant des stratégies d’écriture parfaitement originales.
La littérature comme réflexion de/sur l’Afrique et son histoire est donc avant tout perçue par les contributeurs comme une représentation, dont il appartient au critique – et plus largement à tout lecteur – de déchiffrer et d’interpréter. Karen Ferreira-Meyers part de ce postulat pour étudier le polar africain. Selon elle, “l’œuvre littéraire est une forme de ‘re-présentation’ dans la mesure où elle présente autrement la réalité de l’univers” . Ainsi le polar africain se définit par son ludisme : il construit des histoires et des atmosphères selon un ensemble de codes génériques, dans une visée de divertissement. Il est donc avant tout un artefact. Mais il cumule à cet aspect des “fonctions pédagogique, idéologique et initiatique” : il est une construction langagière qui recodifie le réel africain, qui réinterprète les sociétés et histoires africaines.
L’article de Jean-Michel Devésa prend cette question de la représentation sous un autre angle. Dans une approche qui doit beaucoup à la sociologie de la littérature, l’auteur s’interroge sur la représentation de soi par l’écrivain. Il s’interroge sur la façon dont Alain Mabanckou se présente dans les discours accompagnant la publication de ses romans : il y a là, selon Jean-Michel Devésa, une certaine représentation de l’Afrique qui émerge et qui informe aussi l’écriture même des romans. En entrant dans un champ littéraire où le monde éditorial, parisien, donne à l’écrivain africain un rôle à tenir, le romancier inscrit ce rôle dans la lettre même de ses textes, qui correspondent dès lors à un imaginaire littéraire occidental. Cette question de la relation des prises de positions dans le champ littéraire avec la représentation de l’Afrique en littérature trouve un prolongement dans les repères, notamment à travers les réflexions sur l’édition et les prix littéraires .
Au fil de ces différentes contributions, ce dossier invite le lecteur à relativiser la relation de la littérature à la réalité historique et sociale de l’Afrique. Comme le rappelle Justin K. Bisanswa, la littérature s’appuie sur une perception “fragmentaire et relative” des événements historiques et sociaux. Et c’est justement pourquoi elle peut construire un discours original sur le monde, qu’elle construit un savoir. Par le jeu, elle échappe au déterminisme et fait “la part de la liberté créatrice, de la pensée, de la bonté”
* Afrique contemporaine, L'Afrique dans la littérature, un continent en son mirioir, n°241, 2012/1, 158 p., De Boeck Supérieur
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