Cela fait maintenant dix ans que la question nucléaire iranienne est au centre des débats internationaux, mais le contexte a radicalement changé depuis 2002 : le régime, que l'on pensait engagé dans un "moment thermidorien" s'est considérablement durci, particulièrement depuis la crise électorale de 2009, et les sanctions et la succession de réunions diplomatiques "de la dernière chance" ont succédé aux accords imparfaits des années 2003-2004.

Alors que les pays européens s'apprêtent à adopter de nouvelles mesures, l'embargo sur le pétrole et l'isolement du pays des circuits internationaux accélèrent la déstructuration d'une économie iranienne qui, malgré un prix du pétrole record, ne parvient pas à surmonter une crise chronique. Les menaces de frappes israéliennes, qui reviennent périodiquement depuis 2007, sont semble-t-il en suspens depuis le discours de Benyamin Netanyahu devant l'Assemblée Générale des Nations unies en septembre, et aussi dans l'attente du résultat des élections présidentielles américaines. Elles pourraient néanmoins revenir en force dans quelques mois, si les négociations nucléaires restent dans l'impasse. Enfin, le statut régional de la république islamique semble fragilisé par l'insurrection qui menace son allié syrien depuis 2011.

Dans ce contexte particulièrement troublé et difficile à saisir, le dossier proposé par le dernier numéro de la revue Politique étrangère tombe juste. Les spécialistes réunis par Denis Bauchard, nous offrent en quatre articles un panorama relativement complet des grands enjeux de l'Iran d'aujourd'hui : l'état d'un régime qu'on dit affecté par les sanctions, les mutations à l'œuvre dans sa société, l'évolution de sa place dans la région et le degré de développement de son programme nucléaire.

Le titre du premier article, signé Bernard Hourcade, pourrait résumer à lui seul le paradoxe de la situation : "L'Iran est faible mais la République islamique se sent forte". L'accumulation rapide des sanctions internationales, mais aussi américaines et européennes depuis 2010 a considérablement affaibli l'économie déjà minée par l'inflation, le chômage et la mauvaise gestion. Pour autant, le régime islamique, qui continue à un rythme presque industriel son programme nucléaire, se serait même renforcé. Le succès "populaire" des élections législatives de mars dernier (avec officiellement 64% de participation), ont permis au Guide de réaffirmer sa prééminence dans le système au détriment d'un président Ahmadinejad devenu trop ambitieux.

Ce sentiment de puissance d'une élite quasi-gérontocratique et masculine contraste avec le portrait de la société iranienne esquissé par l'article de Marie Ladier-Fouladi. Avec l'entrée en scène des jeunes dans l'espace public, ce sont les femmes qui, par leur accès massif à l'éducation, ont contribué le plus fortement à la modernisation profonde de la société iranienne depuis trente ans. Malheureusement, ces aspirations, qui vont croissantes depuis le milieu des années quatre-vingt dix, ne parviennentt pas à trouver de traduction politique.

L'article de Mohammed-Reza Djalili et Thierry Kellner brosse une synthèse des évolutions de la politique étrangère de la république islamique, depuis la guerre contre l'Irak (1980-1988), qui a constitué la matrice de ses alliances, avec Damas, mais aussi avec le Hezbollah libanais, le jihad islamique palestinien et (jusqu'il y a peu) le Hamas, jusqu'à la situation d'isolement relatif de ces dernières années après la "détente" de la fin des années quatre-vingt dix. Contraint par sa propre idéologie à un face à face sans évolution avec les Etats-Unis et par l'hostilité plus ou moins affichée de ses voisins régionaux, l'Iran, qui dispose d'atouts stratégiques majeurs, reste embourbé dans une situation bancale, ni dominante ni marginale.

Signé Dina Esfandiary, le dernier article du dossier rappellera les débats qui avaient entouré la question des armes de destruction massive en Irak en abordant, à partir du cas iranien, la question centrale de toutes les crises de prolifération : comment savoir si un régime a l'intention d'acquérir une arme nucléaire ? Cette intention, l'auteur le montre bien, est presque impossible à attester dans un contexte où le recueil d'informations est fragmentaire et parfois difficile à évaluer. En revanche, les faisceaux d'indices convergents montrent une volonté claire du régime iranien de se doter d'une capacité militaire (le fameux "seuil nucléaire") qui lui permettra de se déclarer "victorieux", sans toutefois s'attirer la condamnation générale qu'une fabrication effective de l'arme ne manquerait pas de susciter. C'est justement cette perspective ambiguë et instable qui inquiète, outre la communauté internationale, les voisins de l'Iran et pas seulement Israël, thème que l'auteur n'a malheureusement pas développé dans son article.

En quelques pages donc, le dossier de Politique étrangère permet de faire le point aujourd'hui sur les dimensions multiples d'une crise qui se prolonge. Cette synthèse pêche cependant par ses qualités : soixante pages permettent d'embrasser les grandes questions, pas de les approfondir, heureusement, on écrit beaucoup sur l'Iran

 

* Politique Etrangère, Où va l'Iran ?, Automne, 2012/3, 240 p., IFRI 

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr : 
Le compte-rendu du numéro de septembre-octobre 2012 de Questions Internationales, "La Russie au XXIe siècle", commenté par Myriam Truel