Un "homme d'Etat sans frontière".

Bernard Kouchner fait aujourd'hui la "une" du New York Times Magazine, un privilège que peu de Français ont eu à ce jour (New York Times Magazine, 3 février 2008). Dans un article, qui fait plus figure de dossier sur la politique étrangère française de ces trente dernières années, James Traub revient sur la figure de Bernard Kouchner, homme politique qu’il perçoit comme l’archétype de l’action française.

L’article est élogieux ; mais d’une manière qui loin de mettre en valeur les résultats, s’attache à décrire l’action globale de la France à l’étranger. Ainsi, prendre Bernard Kouchner comme incarnation de la politique étrangère française, est dès le départ une entreprise qui pousse à la subjectivité et témoigne d’un certain parti pris. La perception de Bernard Kouchner comme représentant type du diplomate français parait difficilement défendable quand on sait sa singularité et son franc-parler si peu orthodoxe au quai d'Orsay. Plus encore, le contexte dans lequel il accède sur la fin de sa carrière politique à la fonction suprême, ministre des Affaires étrangères, dans des conditions équivoques sur le plan politique (ministre de gauche de Nicolas Sarkozy) ne rend pas compte de manière très juste de sa marge de manœuvre vis à vis du président de la République française.

Malgré tout, il est difficile de nier que Bernard Kouchner demeure l’un des grands diplomates internationaux de sa génération, et ainsi les anecdotes que relate James Traub sont loin d’être anodines. Le fondateur de "Médecins sans frontières" et de "Médecins du monde"  se livre au journaliste avec une franchise qui décoiffe.  L’article est aussi, à ce titre, une manière de marquer une rupture avec la période précédente. Le rapprochement récent entre la France et les Etats-Unis n’est pas passé sous silence et l’auteur se félicite de la cordialité nouvelle qui semble régner entre les deux partenaires atlantiques.

Evidemment, les défauts récurrents de l’action étrangère française sont énumérés ici tels que les voient les Américains. On pense à une politique étrangère qui souvent cherche trop le consensus, une politique qui peut apparaître désordonnée, inconsistante ou par trop "sentimentale". Mais toutes ces imperfections sont atténuées ici par l’affection qu’on sent pour un homme qui au crépuscule de sa carrière a atteint une responsabilité d’Etat qui lui permet enfin de peser sur le monde. Bernard Kouchner a déjà occupé des postes à fortes responsabilités, mais jamais il ne fut autant au cœur de l’action internationale. James Traub ne cherche pas à dresser ici un réel bilan ou à voir, dans cette nomination tardive, le renouveau d’une diplomatie à la française.  Il s’agit plus de s’attacher à montrer une certaine maturité qui pour l’auteur passe, entre autres, par une diplomatie internationale plus transparente et surtout plus collective. Et puis, il y a un style. Un bon peu d'ambition et un soupçon d'orgueil : "il pense presque toujours que lui peut faire la différence", écrit le journaliste du grand quotidien américain. Quel meilleur exemple que celui du sanglant problème syro-libanais, dans lequel la France a tenté de s'illustrer sans pourtant parvenir à des résultats susceptibles d'apporter la vague d'optimisme que tout le monde attend. Ni le voyage au Liban, ni la visite à Damas n'ont vraiment changé les choses.

Un coupable à désigner ? Le ministre ne tarde pas à parler du problème qu'est "l'Elysée". C'est plutôt Claude Guéant qui est visé, puisque Jean-David Levitte, conseiller diplomatique, est épargné par une remarque très Kouchnérienne : "il savait que j'avais raison". Le secrétaire général de l'Elysée et son entourage sont donc épinglés par le ministre, qui ne semble pas trouver en eux des collaborateurs assez aguerris : "C'est toujours pareil avec eux, c'est un problème d'expérience."

Ce "style Kouchner", visiblement, séduit notre journaliste. Ministre sans frontière.



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