On l’a encore entendu lors du discours de politique générale, la concertation est la grande idée du jeune gouvernement Ayrault. Chaque ministre, chaque membre de la majorité n’a cessé de le marteler : ce quinquennat sera placé sous le signe de la concertation. Principe de gouvernement modèle selon certains, façon de ne pas trancher selon d’autres. Une chose est sûre, la clé de voûte de la méthode Ayrault mérite explication.

Concerter c’est avant tout associer la population à la prise de décision publique. Derrière cette idée réside un enjeu déterminant pour les institutions : accompagner les transformations de la société démocratique. Au fond, c’est l’ensemble de l’action politique qui est en train d’être redéfinie par les tendances participatives sous-tendant l’idée de concertation.

Placer le citoyen au cœur de l’action publique

Certains,  comme Pierre Rosanvallon, ont récemment mis en avant le phénomène de crise de la démocratie représentative manifestée par le creusement d’un fossé séparant les citoyens des responsables politiques une fois les élections terminées. La démocratie participative semble incarner le dépassement de ces obstacles, sans pour autant nier la traditionnelle représentation. En effet, la concertation, qui est au cœur de l’action participative, consiste en une étape supplémentaire ajoutée au travail des élus et des ministres. La méthode est plébiscitée par les plus hautes organisations de la République : l’an passé le Conseil d’Etat intitulait son rapport public Consulter autrement. Participer effectivement, préconisant une transformation profonde des pratiques administratives vers plus de démocratie. Le dialogue est une obsession du thème de la réforme de l’Etat depuis quelques années : le politique ne devrait plus imposer sa décision unilatéralement mais associer en amont les citoyens afin de garantir une vie publique plus harmonieuse, garante des libertés et des droits fondamentaux des individus.

L’idée est née avec la mise en place de la politique environnementale   et a été reprise par les grands textes de l’aménagement du territoire. Ainsi associé à l’origine même de la décision, l’individu quitterait son costume de simple administré pour revêtir celui du citoyen.

L’Etat de la concertation

Si la concertation est sur toutes les lèvres depuis quelques semaines, c’est qu’elle correspond à une exigence citoyenne nouvelle, mais surtout qu’elle revêt une dimension particulière au moment où la gauche revient aux commandes. A cette occasion, Le Monde a récemment publié un dossier sur la place à accorder aux partenaires sociaux dans la conduite des réformes. Au travers des diverses solutions préconisées, s’affrontent différentes visions de l’Etat.

Quand les libéraux se montrent réticents à une action étatique, qui imposerait des solutions inadaptées à la diversité des individus, les républicains en appellent au maintien d’un pouvoir central fort, seul capable de garantir l’intérêt général dans le dialogue social. La voie médiane conçoit la concertation comme seul moyen de réconcilier démocratie politique et démocratie sociale. Pour les socialistes, tenants de cette dernière, "un gouvernement moderne doit consulter, associer au débat, expliquer et inciter", comme le déclare Jean-Louis Bianco. Les bases de la nouvelle méthode sont jetées.

Vertu de prudence ou langue de bois ?
 
Une grande concertation vient d’être lancée par le ministère de l’Education nationale afin de prendre d’urgentes décisions pour la rentrée de septembre, une autre est promise pour débattre de l’épineux sujet qu’est l’abolition de la prostitution lancé par Najat Vallaud-Belkacem ; décidément, la méthode a du succès.

Recueillir les avis d’une large palette d’acteurs permet d’élaborer des décisions davantage consensuelles – quand cela ne mène pas au blocage. Cela reflète surtout une volonté d’extrême prudence. Celle-ci est, en effet, indispensable à plusieurs égards. D’abord, elle est l’occasion d’affermir et surtout de manifester la nécessaire solidarité gouvernementale. Le mot d’ordre était donné par Jean-Marc Ayrault dès le départ : les ministres ne pourraient rien annoncer ni rien décider sans l’accord préalable de l’ensemble de la formation gouvernementale. Vincent Peillon en faisait les frais lorsqu’il annonçait la future réforme des rythmes scolaires. Rappelé à l’ordre par le Premier ministre, il se ravisait en déclarant que la concertation était toutefois la condition. Ensuite, elle apparaît salvatrice au moment d’aborder et de résoudre certains sujets sensibles. Alors que la ministre du Droit des femmes relance la délicate question de l’abolition de la prostitution, la concertation est un bouclier brandi face aux réactions hostiles d’une grande partie de la population et de sa famille politique.

Si l’association des citoyens à la prise de décision incarne l’esprit d’origine de cette méthode de gouvernement, elle pose d’autres questions susceptibles de mettre en cause son bien-fondé. De la prudence à la langue de bois, la consultation possède décidément bien des vertus. La recherche du consensus n’est-elle pas aussi un moyen de dissimuler quelque incertitude dans un environnement médiatique à l’affût ? L’effet d’annonce, voilà l’ennemi réel de la concertation.