Le Monde reproduit aujourd'hui la version abrégée et traduite par Pierre Deshusses du discours tenu par Günter Grass le 11 janvier 2008 devant le groupe parlementaire du SPD.

Le prix Nobel de littérature, "figure morale" de l'Allemagne pris il y a deux ans dans une polémique à propos de son enrôlement dans les Waffen-SS qu'il avait toujours caché jusque là, donne sa vision du socialisme et du rôle qu'il doit selon lui assumer. À l'heure où, poussé en cela par la création du nouveau parti Die Linke, le SPD retourne à ses fondamentaux de gauche, Günter Grass salue la volonté affichée lors du récent congrès du parti à Hambourg de s'inscrire dans la voie d'un socialisme démocratique en ces termes : "Le socialisme démocratique reste pour nous la vision d'une société libre, juste et solidaire, dont la réalisation constitue pour nous une tâche permanente. Le principe de notre action, c'est la démocratie sociale." Selon lui, une telle affirmation devrait mettre à terme à l'usurpation de cette expression par le PDS puis par l'actuelle "gauche" auto-affirmée   en qui il ne voit qu'un stalino-léninisme "sous une forme décantée".

La démocratie sociale est marquée selon lui par la recherche d'une alternative à la "puissance hégémonique" du capital en ne se réclamant d'aucun dogme et en n'ayant d'autres buts que le chemin, mue par la nécessité d'une révision permanente. Elle doit être défendue contre ce qui la menace aujourd'hui, à savoir selon l'auteur du Tambour, la dépossession permanente des électeurs de leur pouvoir par la constitution de groupes de pression économiques plutôt que les menaces terroristes au nom desquelles les libertés fondamentales se voient remises en cause : "[...] nos services visant au respect de la Constitution préfèrent courir après des fantômes, réclamant des lois qui limitent toujours davantage la liberté des citoyens mais ne s'occupant pas des pressions anticonstitutionnelles auxquelles sont soumis les Parlements. C'est ainsi que la démocratie devient une farce. C'est ainsi que l'Etat fait étalage de son impuissance. C'est ainsi que l'édifice démocratique s'effondre de l'intérieur, sans que personne n'y trouve à redire."

Mettant en garde contre toute tentation de considérer cette évolution comme inéluctable – ce dont il repère des traces y compris chez les sociaux-démocrates – il rappelle qu'une démocratie sociale ne peut se constituer que dans une fidélité à la Constitution.

Que faire alors pour répondre à ces fameux "enjeux du XXIe"  siècle ? Quelle place pour une gauche en faveur d'un "socialisme démocratique"  ? La réponse de Günter Grass s'articule ici en deux plans : la nécessité de repenser un partage des richesses en bloquant les mécanismes qui contribuent à creuser les écarts ; le retour, quarante après, d'une forme de protestation de la jeunesse – quarante ans après celle dont il se dit avoir été solidaire tout en en critiquant "la rhétorique pseudo-révolutionnaire de certains de ses leaders" –, à la hauteur des exigences desquelles doit se placer selon lui le SPD. "Face à la situation actuelle et vu l'avenir qui est porteur de tant de crises, on ne peut que souhaiter une protestation de la jeunesse qu'aucune matraque ne pourra réprimer, parce que cette révolte est nécessaire depuis longtemps. Une telle exigence pourrait aussi faire avancer le SPD."

Un discours assez convenu sur certains points, qui continue cependant d'interroger la place de la gauche dans le paysage politique et socio-économique actuel et la manière dont elle se place aujourd'hui face à tout un pan de son héritage que certains voudraient liquider.

Günter Grass, "Conseil aux socialistes", Le Monde, 31 janvier 2008