Capitale de la Russie, métropole de loin la plus peuplée du pays (10 millions contre 4 pour Saint-Pétersbourg), Moscou occupe une place à part en Russie, bien mise en exergue par cet atlas.

Après un Atlas géopolitique de la Russie, Pascal Marchand nous propose, dans le même esprit, un Atlas de Moscou. Le défi est d’envergure, puisqu’il s’agit en quatre-vingt pages de traiter sous un angle géographique l’histoire, le développement économique et la situation géopolitique de la capitale de la Russie. L’ouvrage s’avère une synthèse de bonne qualité.

Il s’ouvre sur les aspects historiques permettant de comprendre la physionomie actuelle de la ville, telle la concurrence avec Saint-Pétersbourg pour le statut de capitale, perdu en 1712 et retrouvé en 1918. L’incendie de 1812 s’avéra un "accélérateur de la transformation de la ville"   ; la population fut multipliée par trois entre 1862 et 1912 en lien avec l’industrialisation du pays, plus tardive qu’en Europe occidentale. Le statut de siège du patriarcat constitue un des facteurs à ne pas perdre de vue du rayonnement moscovite.

L’époque soviétique, quant à elle, a laissé une empreinte visible dans des monuments marqués par la démesure, tels les sept gratte-ciel staliniens, ou le métro moscovite aux stations somptueuses, mais aussi et surtout dans l’aménagement de la ville, de ses quartiers et de la région. Les idéaux collectivistes et le dirigisme se reflètent ainsi dans l’aménagement du territoire : les ensembles d’immeubles étaient organisés en "micro-raïons" (micro-quartiers) où tous les services à la population étaient censés être assurés.

Moscou se distingue alors des villes européennes : "La ville s’est étendue par multiplication de ces micro-raïons d’immeubles, sans aucune extension pavillonnaire. C’est la ville de Moscou qui s’agrandissait, et non les villes de banlieue qui grossissaient"   . La hiérarchie urbaine de la région doit également beaucoup aux dirigeants soviétiques qui ont favorisé l’essor de deux ceintures de villes autour de Moscou.

Depuis la chute de l’URSS, la ville de Moscou est un des 83 sujets de la Fédération de Russie, seule ville avec Saint-Pétersbourg à bénéficier de ce statut. "L’oblast", c’est-à-dire la région qui l’entoure et constitue son bassin métropolitain, est un sujet distinct.

Les années 1990 furent en Russie celle du marasme économique, de la désindustrialisation, d’une pauvreté quasi générale que l’enrichissement des oligarques ne rendait que plus criante, et Moscou n’a pas échappé à ce sort. Cependant, elle a connu une "mutation sans transition" bien décrite dans l’ouvrage. Les industries lourdes et peu productives de la période soviétique ont certes périclité mais ont fait place à des industries à plus haute valeur ajoutée et surtout aux services, qui représentaient une part très faible du PIB sous l’URSS. On a vu apparaître une classe moyenne.

La ville elle-même s’est transformée : les espaces industriels ont été réduits au profit d’immeubles d’habitation, les immeubles bas de la période kroutchevienne sont peu à peu détruits et remplacés par des immeubles de 25 étages ; en lien avec le poids grandissant de l’Eglise, on voit fleurir les coupoles dorées, notamment celle du Christ Sauveur, cathédrale détruite sous Staline et reconstruite à grands frais durant les années noires (1994-1997). L’augmentation fulgurante du nombre de voitures pose problème dans une ville qui n’a pas été conçue par les Soviétique pour ce mode de transport "bourgeois".

On remarque que les cartes consacrées aux sites touristiques ou aux lieux de pouvoir semblent parfois nombreuses alors qu’on attendrait, par exemple, plus de cartes consacrées à l’industrie ; on peut supposer que ces informations sont difficiles à réunir, surtout celles concernant la période soviétique, où les informations stratégiques étaient très contrôlées.

Après avoir décrit ces mutations, l’auteur pose la question du rapport de Moscou à sa région et au pays en ces termes : "Moscou et le désert russe ?"   . En effet, la capitale regroupe sièges sociaux et services financiers, ce qui génère emploi et richesse, et elle peut sembler un îlot favorisé dans une Russie qui souffre encore des conséquences de la chute de l’URSS. L’auteur note que Moscou entraîne à sa suite sa région, et que d’autres métropoles se développent en Russie, mais ne tranche pas sur la possibilité de voir ce développement faire tache d’huile dans toute la Russie.

Moscou est, selon Pascal Marchand, devenue une "métropole économique mondiale", mais avec des limites : elle n’est pas encore bien insérée dans les réseaux économiques mondiaux, comme le montre, par exemple, le trafic de ses aéroports, et son poids économique est pour beaucoup lié à son statut de centre politique. L’auteur aurait pu rappeler que l’économie russe est très dépendante des matières premières ; les responsables russes eux-mêmes déplorent l’insuffisance du tissu industriel, malgré quelques belles réussites. Une chute des cours du pétrole et du gaz mettrait en danger la prospérité de la capitale.

Notons enfin que depuis 2010, date de publication de l’ouvrage, ont eu lieu des évolutions importantes. Ainsi, le maire Iouri Loujkov, au pouvoir déjà sous l’URSS et dont le rôle dans la transformation de Moscou est souligné dans l’ouvrage, est tombé en disgrâce et a été remplacé par Sergueï Sobianine. Le "grand Moscou", avec le changement des limites administratives de la ville, et des projets tel le centre d’innovation Skolkovo mériteraient également mention dans une édition mise à jour

 

A lire sur nonfiction.fr : 

- Pascal Marchand, Atlas géopolitique de la Russie. Puissance d'hier, puissance de demain ?, par Vassily Klimentov. 

- Pierre Lorrain, Moscou et la naissance d'une nation, par Florent Parmentier.