Un voyage érudit de Moscou à Vladivostok. 

Beaucoup ont écrit sur le Transsibérien, et pourtant, aucun de ces livres ne se ressemblent vraiment. Peut-être parce que leurs auteurs y mettent plus qu'ailleurs, comme ils mettent dans le voyage, une partie d'eux-mêmes.

Le 28 mai 2010, dans le cadre de l'année France-Russie, Dominique Fernandez embarque, avec plus d'une vingtaine de personnes (écrivains français, journalistes, acteurs, représentants officiels français et russes…) dans deux wagons au nom de Blaise Cendrars pour un voyage de trois semaines, de Moscou à Vladivostok. Deux wagons confortables, que l'on détache à chaque étape pour les arrimer, après une petite escale, à l'un des trains suivants.

Tout a évidemment été programmé, balisé. Les participants ne se mêlent pas aux autres passagers, des guides officient à chacun des arrêts, les spectacles folkloriques se succèdent, les circuits sont déterminés à l'avance bien que l'auteur parvienne parfois à s'en échapper, et tous n'auront peut-être pas eu la même image du trajet et des villes traversées. Mais il n'empêche : c'est à un très beau voyage que nous convie ici Dominique Fernandez. Un voyage magnifiquement illustré, qui plus est, par le photographe Ferrante Ferranti.

Un voyage érudit surtout, où l'auteur (entre autres) du Dictionnaire amoureux de la Russie se promène - entre les kremlins, les églises bariolées, les bateaux pour touristes, les statues de Lénine, les immeubles baroques et soviétiques, les petites rues bordées d'isbas, les rives du Baïkal et d'incongrus supermarchés de luxe - en compagnie des ombres d'écrivains, d'artistes et de personnages historiques.

Dans les rues de Nijni-Novgorod, le lecteur fait la connaissance de Gorki et découvre la surprise d'Alexandre Dumas tombant nez à nez, un beau jour, avec les personnages réels de l'un de ses romans. Au fur et à mesure que le train s'enfonce dans l'inconnu, il croise sur sa route les fantômes de Tchaïkovski ou du peintre Roerich, qui côtoient, pêle-mêle, ceux des décabristes, des femmes de nobles déportés par le régime tsariste, des conspirateurs contre le pouvoir. Il revit la terrible fin de la famille royale à Ekaterinbourg, marche sur les pas de Tolstoï et de tant d'autres, et croit distinguer dans la forêt les silhouettes fuyantes de Ferdynand Ossendowski et de Derzou Ouzala…

Tous ces personnages aujourd'hui disparus se mêlent aux figures bien vivantes des membres de l'expédition et des quelques participants aux rencontres culturelles, jugées souvent décevantes, dont le trajet est émaillé. Ils se mêlent surtout à celles, attachantes, de Viera et Trophime, en charge des wagons, de Pavel, batelier croisé sur la Volga, de Dima, chauffeur de taxi amateur de Joe Dassin et de Grand Corps Malade, d'Irina, qui traverse une banlieue sinistre pour fleurir la tombe d'un poète méconnu, du directeur enthousiaste d'un musée de marionnettes, des jeunes élèves de la célèbre école de musique de Novossibirsk, ou encore d'un personnage de haut rang qui semble autant apprécier la vodka et le whisky que les petits morceaux de lard gelé que l'on vous sert en Sibérie.

Entrecoupé d'anecdotes littéraires, musicales ou historiques, de considérations architecturales et artistiques, de souvenirs de l'auteur lui-même et de rencontres bien réelles, ce récit entraîne le lecteur, à travers une nature envoûtante, dans un pèlerinage physique et spirituel à la découverte d' "un pays où s'unissent, dans un contraste d'énergie stimulant, la joie de vivre, la dévotion au poète et le souvenir de la tragédie."