Le 21 mai dernier, le Mouvement 5 étoiles mené par l’humoriste Beppe Grillo faisait une entrée officielle fracassante dans la vie politique italienne en remportant quatre municipalités, parmi lesquelles la mairie de Parme. Dans un contexte de crise profonde, tant européenne que nationale, les Italiens semblent trouver en cette mouvance les réponses à leurs angoisses et à leurs aspirations.  

Le découragement des Italiens face aux partis et à la crise

C’est en 2009 que Giuseppe Grillo, comique et provocateur fonde le Movimento 5 Stelle (M5S), après avoir été le principal animateur du "V-Day" - autrement dit vaffanculo   day – dont le message se destinait à l’ensemble de la classe politique italienne. Après quelques années d’agitation, le Mouvement peut revendiquer cent mille inscrits, quatre conseillers régionaux et désormais quatre fauteuils de maires.  

Tout a commencé sur un blog, celui de Beppe Grillo, le plus lu d’Italie. En 2005, il se voit récompensé du titre de meilleur site Internet par le ministre pour l'Innovation et la Technologie italien. "Les politiciens pensent qu’on plaisante. Mais quand ils comprendront que nous sommes terriblement sérieux, ce sera trop tard" plaisantait Grillo il y a quelques années. Il ne croyait pas si bien dire.

Lundi 21 mai, Federico Pizzarotti, fidèle de Grillo depuis 2009, remportait le second tour des élections municipales à Parme avec 60% des suffrages exprimés, battant ainsi son adversaire de centre-gauche à peine parachuté dans la région. Et ce n’est pas tout. Le Mouvement 5 étoiles, qui se présente comme un "non-parti" avec un "non-leader", raflait en même temps Mira, Sarego et Comacchio. Tandis que le centre-droit ne conservait qu’à peine la moitié des communes de plus de 15 000  habitants qui étaient entre ses mains, la Ligue du Nord voyait ses positions se réduire comme une peau de chagrin et le Parti démocrate se faisait battre par la nouvelle mouvance. Les partis traditionnels ne sont bel et bien plus en odeur de sainteté. Aussi les Italiens se sont-ils massivement abstenus en ces jours de scrutin (49% au second tour).  

Depuis le début des années 1990, les scandales de corruption et depuis peu, sexuels, éclaboussent successivement les différents partis italiens, au point de susciter dans l’opinion un découragement général, en même temps qu’une défiance de la population envers la classe politique. En 2007, deux journalistes du Corriere della sera, Gian Antonio Stella et Sergio Rizzo, publiaient La Casta, ouvrage aux accents populistes qui connut alors un succès remarquable. Auparavant, l’ "opération mains propres", lancée en 1992, révélait le financement illégal de la plupart des partis, contexte dans lequel Silvio Berlusconi réussissait à accéder au pouvoir, se présentant comme l’homme nouveau, seul capable de renouveler la vie publique. Des changements se sont opérés, des dirigeants aux noms des organisations. Pourtant, les scandales ont continué d’éclater et les électeurs ne savaient plus à quel saint se vouer. Si la crise qui touche la péninsule est avant tout morale, elle est accentuée par les circonstances récentes de la crise politico-économique européenne.

"Chacun vaut pour un". Le positionnement populiste du M5S

Alors que le taux de chômage bondissait en avril au-dessus des 10%, une partie des Italiens se voyait déçue par la politique de rigueur impulsée par Mario Monti et jetait son dévolu sur Giuseppe Grillo. Celui-ci déclarait alors une opportune et farouche opposition à la monnaie unique, attirant sur ses candidats des voix supplémentaires lors des derniers scrutins.
 
A travers les réseaux sociaux et sur les places des principales villes d’Italie où Beppe Grillo a l’habitude de tenir des réunions publiques, il prône "des idées, pas d’idéologie" et dénonce les ravages de la "partitocratie". "Chacun vaut pour un" : selon lui, la médiation des partis empêcherait le développement d’une démocratie réelle qui aurait vocation à voir le citoyen participer davantage à la vie publique. Dans la même veine, il bataille pour la transparence démocratique et voit dans l’Internet le moyen unique de donner vie à ses idées, de les affirmer et de les diffuser. Le "non-leader" populiste veut déclencher une révolution non pas politique mais culturelle.

Cette refondation passe d’abord par les pratiques politiques. Grillo téléguide son mouvement depuis son blog, d’où se déploie son argumentaire démagogique. Il bouscule les traditions oratoires en usant du registre vulgaire et de l’insulte, reprise en cœur par quelques milliers de citoyens qu’il rassemble régulièrement sur les places publiques – rappelons-nous que tout est parti du "V-Day". Pourtant, le désenchantement des Italiens est tel que le mouvement ne cesse de croître. Récemment, sur le blog de Grillo, Willer Bordon, ancien élu du Parti communiste italien, ancien député et ancien ministre, déclarait officiellement son soutien au M5S et de préciser : "Le système des partis a vieilli (…). L’unique alternative est le M5S, sans aucun doute.".

La mouvance passait un cap déterminant le 21 mai en entrant dans le cercle des partis gouvernants, ne cessant d’attirer davantage de déçus, venus d’horizons politiques divers. Une partie de l’électorat de gauche, déçue par l’impuissance du Parti démocrate face au berlusconisme, trouve des points d’accord avec les idées de Grillo sur la nécessité démocratique de la transparence et la lutte contre la corruption. D’autres applaudissent sa rhétorique aux accents violents et exclusifs.
 
Après le récent succès électoral, le M5S doit se construire un avenir. Si le contexte de crise lui a offert une incomparable tribune politique et s’il s’inscrit dans un phénomène européen de revendications libertaires nouvelles – on pense aux "pirates" nord-européens – la mouvance souffre d’une absence de fondements idéologiques. Aussi lui sera-t-il difficile de surmonter le passage des ans, à moins que son "non-leader" ne se découvre un talent de penseur politique.