Un des rares livres sur le Front national qui s'intéresse à sa vision du monde et des relations internationales.  

Nourrie aux sources d'une thèse de doctorat soutenue à l'Institut des hautes études internationales de Genève en 2008   , l'étude de Magali Balent sur la politique internationale du Front national (FN) est bien plus qu'un ouvrage de circonstance. En ces temps de campagne présidentielle, il illustre très bien le processus de dédiabolisation dans lequel le parti d'extrême-droite s'est engagé tout en dépeignant un corps doctrinal demeuré autant intangible que radical. La succession filiale à la tête du parti ne s'est pas traduite par une rupture idéologique. Si l'obsession de l'ennemi existentiel persiste, le musulman s'étant substitué à l'altérité communiste et soviétique, le discours démontre une réelle capacité d'adaptation aux événements internationaux même si tous les conflits qui ensanglantent notre planète sont appréhendés uniquement au travers du prisme de l'ethnicité, comme si aucun autre facteur n'était polémologique.

Le livre de l'enseignante à l'Institut d'études politiques de Paris montre toute la complexité d'un discours alimenté par une somme infinie de peurs, une rhétorique raciale qui ne peut plus s'exprimer que de manière implicite mais qui se doit d'être aussi un langage mobilisateur d'espoirs à l'attention des électeurs. La politique étrangère du FN vise à se mettre au service de la préservation identitaire de la nation, à constituer un réservoir d'exemples pour le discours tribunicien et un instrument de conviction pour inciter les électeurs à voter "bleu marine". Contrairement aux années 70 et 80, il ne s'agit pas tant d'élargir le combat du FN au-delà des frontières (cf. l'échec des alliances politiques au Parlement européen) mais d'instrumentaliser l'actualité internationale pour la conquête du pouvoir dans l'hexagone.

La chercheuse rattachée à la Fondation centriste Robert Schuman et associée à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) qui co-édite ce travail, a mis synthétiquement en évidence les postures propres à Marine Le Pen, à son père, aux différents courants constitutifs du FN (ex. catholiques traditionalistes, nationalistes révolutionnaires, Nouvelle Droite, ...) et, de facto, les points de convergences doctrinales qui s'esquissent avec la droite de gouvernement. Le discours frontiste sur l'international est un outil de légitimation pour ne pas dire de présidentialisation de Marine Le Pen. Il est l'occasion d'une véritable simulation de l'exercice du pouvoir. Les déplacements hors de France des leaders ou les interviews à la presse étrangère en sont les meilleurs vecteurs. Ces actions se sont d'ailleurs multipliées depuis que Marine Le Pen a déclaré sa candidature aux fonctions suprêmes de la République.

Le discours de politique étrangère sert à policer l'image du parti, de son projet et de ses chefs. Ainsi, le langage calculé sur l'aide au développement de l'Afrique vise à projeter une image "humaniste" et les contacts avec des autorités israéliennes à contester l'opprobre suscité par des décennies d'invectives antisémites. Il s'agit enfin de crédibiliser par un intérêt constant pour les évolutions du monde le programme de gouvernement de Marine Le Pen et de montrer que le parti n'est pas isolé sur la scène internationale contrairement à sa situation dans l'hexagone.

Magali Balent qui a beaucoup travaillé sur les défis de l'extrémisme identitaire au sein de l'Union européenne, revient avec pédagogie sur les fondements du projet européen frontiste (ex. substrat religieux chrétien ; socle culturel en partage bâti contre l'envahisseur extérieur commun, l'islam ; un territoire doté de frontières "naturelles"). Une vision géopolitique traduisant une expression bien sélective de l'Histoire du continent ! Elle assimile désormais le processus d'intégration européenne à l'ennemi de la cause nationale. Mme Balent évite dans son exposé de nous abreuver du verbiage frontiste abscons sur l' "Empire euro-mondialiste" ou encore l' "Union soviétique européenne". Mais sans entrer dans tous les détails, elle démontre combien cette construction politique est le fruit des idées du GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne), du Club de l'Horloge et pour tout dire de l'influence durable de Bruno Mégret, pourtant évincé du FN depuis décembre 1998. Steeve Briois et Bruno Bilde sont aujourd'hui les porte-paroles influents auprès de Marine Le Pen de cette construction intellectuelle qui vise à retirer à l'Union Européenne tous les attributs de souveraineté des nations : la monnaie, la maîtrise des frontières, le budget ou encore la politique extérieure. Un projet qui cardinalise délibérément l'Europe vers l'Est, dissolvant le couple franco-allemand dans une alliance trilatérale Paris - Berlin - Moscou. Un dessein "identicide" et conçu comme une résistance au "nouvel ordre mondial" favorable aux "intérêts supranationaux", notamment ceux des États-Unis et de l'Islam.

La diplomatie française vue du FN cherche à prendre en considération toutes les aires géographiques, même si cet ouvrage n’évoque qu’à la marge l’Asie-Pacifique et les alliances partisanes transnationales. La  Conférence Internationale des Organisations patriotiques organisée en août 2011 à Tokyo avec la formation patriotique nippone Issuikai ou encore l’Alliance Européenne des Mouvements nationaux (présidée par Bruno Gollnisch) ne sont pas sans intérêt. En attendant, la politique étrangère frontiste dénote une prise en compte "classique" des attributs de la puissance : la francophonie, les espaces maritimes, les départements d'outre-mer, l'aide au développement... Cependant depuis la fin de la Guerre froide, le FN a repensé son positionnement sur bien des points, à commencer par l’ONU, considéré dorénavant comme un tremplin pour affirmer l'influence française. Les Etats-Unis ont fait eux aussi l’objet d’une nouvelle appréciation, plus critique, eu égard à des choix politiques jugés plus "communautaristes" et "néo-impérialistes". Une analyse qui se traduit au plan stratégique par un appel au retrait français de l'OTAN et à des postures rétives au recours à la force comme l'a montrée, ces derniers mois, l’hostilité à toute forme d'engagement militaire sur les théâtres ivoirien, libyen et afghan. Le FN n’a pas rejoint pour autant la mouvance pacifiste. Il dénonce les insuffisances capacitaires de nos armées mais exige une contribution budgétaire limitée pour pallier ses carences : 2 % du PIB, c'est-à-dire l'effort de défense jugé souhaitable par les instances de l’OTAN, un ratio dont on notera qu’il est deux fois moindre à celui jugé indispensable il y a trente ans par les dirigeants d'extrême-droite.

Le FN exprime, de plus en plus, une politique extérieure empruntée à l'école de la Realpolitik. Sa démarcation d’autres formations partisanes paraît aujourd’hui plus difficile. Ce que le FN perd en "originalité", il le gagne en "respectabilité" voire en "connectivité" d’avenir. Ses appels à la restauration de la souveraineté française, ses références laudatrices grandissantes à la stratégie d'indépendance du général de Gaulle, la protection des chrétiens dans le monde à commencer par les chrétiens d'Orient, la nécessité de rendre à la frontière son rôle bienfaiteur de "filtre" sont autant de thèmes qui raisonnent dans les discours sarkozystes du jour. Reste donc à savoir si la frange la plus radicale du Front peut accepter durablement l’articulation d’un langage politique de gouvernement et si les divergences profondes avec l’UMP sur l’Europe ou l’usage de la force sont encore dirimantes pour "parler" avec Marine Le Pen, pour reprendre les termes du ministre de la Défense Gérard Longuet le 1er mai dernier. La poursuite de l’étude méthodique de la politique extérieure vue du FN devient plus d’actualité que jamais

 

A lire aussi : 

- Pascal Boniface, Le monde selon Sarkozy, par Pierre-Louis Germain. 

- Gilles Delafon, Le règne du mépris. Nicolas Sarkozy et les diplomates, 2007-2011, par François Danglin.

- Alexandre Dézé, Le Front national : à la conquête du pouvoir ?, par David Navaro.