Une enquête de sociologie portant sur l'organisation de l'espace associatif dédié à la défense de l'environnement en France entre 1965 et 2005.  

Le livre de sociologie de Carole Waldvogel traite du monde des associations engagées dans la défense de l’environnement, en se fondant sur une démarche méthodique d’enquête dans le département du Bas-Rhin (Alsace). Les résultats obtenus sont croisés avec des travaux menés dans d’autres régions et des analyses du secteur associatif en général, ce qui autorise l’auteure à établir des "lois sociologiques dans une large mesure généralisables à l’ensemble de la France"   . Elle montre notamment que la thématique environnementale recouvre une diversité associative qui ne se limite pas aux associations revendicatives, mais intègre également des associations d’initiation à la nature et à l’environnement, dont l’activité consiste à faire découvrir la nature et les gestes de protection de l’environnement à un large public.

Par là même est posée la question, qui donne lieu aux développements les plus originaux d’un point de vue théorique, du recrutement social des associations du secteur de l’environnement. Qu’est-ce qu’un militant écologiste ? Un défenseur du cadre de vie ? Un protecteur de la nature ? Y a-t-il un profil type de l’adhérent associatif ? Pour répondre à ces questions et à quelques autres encore, Carole Waldvogel fait appel à la théorie de la pratique élaborée par Pierre Bourdieu, et notamment à la façon dont il conçoit la relation entre ces deux modes d’existence du social que sont l’habitus (système de dispositions à agir, percevoir, sentir et penser d’une certaine façon, intériorisé par les agents sociaux au cours de leur histoire), et le champ (espace structuré de positions historiquement construit).

La relation entre l’habitus et le champ est rendu possible grâce à l’investissement d’agents dans le jeu inhérent au champ, c’est-à-dire dans le rapport de forces qui existe en son sein pour conserver ou transformer la structure du champ, en vue d’y maintenir ou d’y conquérir une position dominante. Carole Waldvogel montre, de façon assez convaincante, que la théorie de la pratique bourdieusienne permet d’établir une typologie des associations de protection de l’environnement classées en trois catégories en fonction de leurs objectifs et des motivations de leurs adhérents, et d’ analyser  les différentes phases d’insitutionnalisation de l’environnement depuis les années 1960 jusqu’au début des années 2000.


D’un point de vue historique, l’auteure montre que le monde associatif est passé progressivement de la défense d’intérêts ponctuels à la défense d’intérêts plus généraux liés au bien-être et à la santé. Les intérêts ponctuels sont défendus par le réseau des gens de l’aménagement du territoire, principalement présent, dans le courant des années 1960, dans les lieux de l’arrivée de l’urbanisation et d’industrialisation touristique, regroupant les nouveaux résidents des espaces campagnards, les usagers sportifs de la nature (membres du Club alpin français, ou du Touring Club), les défenseurs des patrimoines régionaux, etc. Parallèlement cette décennie a aussi vu se développer un nombre considérable d’associations de défense du cadre et de la qualité de vie dont la problématique a eu un impact politique considérable.
Les associations généralistes se sont alors préoccupées, non plus de la nature, mais de l’environnement : il ne s’agit plus, autrement dit, de défendre la nature en tant qu’entité à part entière, innocente et menacée, demandant à être protégée des agressions afin d’en préserver la pureté et l’intégrité, mais de défendre la nature en tant que partie intégrante du milieu de vie de l’homme, c’est-à-dire en tant que lui procurant un plaisir esthétique et spirituel.          

L’auteure montre également que les habitus environnementaux qui sous-tendent le monde associatif se déclinent historiquement en trois types fondamentaux : le naturaliste, le gestionnaire et l’environnementaliste. Le premier correspond à une éthique du respect de la vie et a trouvé en Albert Schweitzer son chantre. Le second correspond à une vision de la protection de la nature dans laquelle l’homme a un rôle pleinement interventionniste. Le dernier correspond à une représentation de la nature comme cadre de vie, lieu de ressourcement et condition de bien-être et de santé. L’auteure entreprend de montrer que, loin d’être naturelles, ces trois grandes formes de l’habitus environnemental sont sociologiquement construites en tant qu’elles engagent la définition légitime de ce qu’est l’environnement.

Loin d’être une nébuleuse insondable, l’espace des associations demande donc à être perçu à la manière d’un champ structuré de manière complexe autour d’enjeux à la fois sociaux et environnementaux, promus par des agents aux positions sociales différenciées se référant à une représentation de ce qu’est l’environnement et à la "bonne" façon de le défendre. Le monde associatif est le théâtre de luttes symboliques entre agents aux profils et intérêts distincts autour de l’environnement et de sa définition légitime.