François Hollande signe un livre de campagne décevant. 

* Un premier article sur le livre de François Hollande a été publié sur nonfiction.fr le 9 mars dernier. Dans un souci d'équilibre, nous publions aujourd'hui un article autrement plus critique. 

 

La quatrième de couverture l’annonçait tambours battant : dans ce livre, vous allez découvrir François Hollande, vous allez trouver du vrai, du concret, vous allez enfin tout comprendre. Vous allez enfin, on l’espère, adhérer. "Pour que les Français me fassent confiance, ils doivent davantage me connaître. Ainsi je veux leur parler franchement de mon parcours, de notre avenir, et surtout, de mon projet pour la France". Ca y est, se dit-on. François Hollande réagit aux attaques dont il fait l’objet depuis le début de la campagne. Il va faire preuve de la ferveur de son engagement, de la réalité de ses convictions. Il va nous expliquer le "rêve français", en 165 pages.

"Il y a trois ans, seul, sans soutien, sans appui…"

"Changer de destin" : voilà ce que nous promet le candidat socialiste. Changer le destin de la France. "Une ambition présomptueuse ?" s’interroge-t-il page 8. "Non", répond-il page 9. François Hollande y croit, car nous n’avons pas le choix. C’est ce que le titre de son livre incite subrepticement à penser : la France a un destin, ça n’est pas le bon, les socialistes vont le changer. Habile pirouette révolutionnaire qui tend à nous prouver qu’avec lui, "tout devient possible".

Changer le destin de la France, donc, mais également changer son destin personnel. François Hollande ne se fait pas prier pour raconter les débuts chaotiques de sa campagne : "il y a trois ans, seul, sans soutien, sans appui, sans fonction nationale, au terme d’une réflexion profonde, j’ai décidé de briguer la présidence"   . Le député corrézien a parcouru les routes dès 2009, allant d’amphithéâtres en salles municipales pour présenter son premier livre de campagne Droit d’inventaires. "Ils n’étaient que quelques uns à l’époque à croire en mes chances"   écrit-il. François Hollande maîtrise le storytelling. On n’est pas loin du socialiste sorti du ruisseau, qui a gravi les échelons de la République "sans l’aide de quiconque"   , qui a travaillé dur pour convaincre ses concitoyens de sa capacité à battre la droite en 2012, de fédérer, de reconstruire le pays. "Si je suis là aujourd’hui, le hasard n’y est pas pour grand chose" avance-t-il   . Le hasard, difficile à dire. Mais on ne peut s’empêcher de penser que si le 14 mai n’avait pas eu lieu, si Dominique Strauss-Kahn n’avait pas fait la Une de tous les journaux menottes aux poignets, François Hollande n’en serait pas là. Cela n’enlève rien au travail fourni, cela ne change rien à ses convictions profondes. Mais occulter délibérément cette partie de l’histoire dans son ouvrage fait planer le doute. François Hollande maîtrise le storytelling, oui, mais personne ne peut y croire.

Son attachement, sûrement réel, à ses terres, son "ancrage corrézien"   , sa croyance en ces "liens qui rattachent à un territoire"   sonnent tout aussi faux. Le candidat aurait pu mettre l’accent sur l’importance d’être un élu de la République, à qui les citoyens renouvellent leur confiance depuis plusieurs dizaines d’années. Il a préféré donner dans l’affect, insister sur l’importance d’une attache territoriale, comme pour s’excuser d’avoir été parachuté en 1988, comme pour se défendre d’être un "déraciné". Qui l’aurait attaqué là-dessus s’il n’avait pris ces précautions maladroites ?

"Plaider pour un peu d’indulgence"

Mais soyons honnêtes : le but de François Hollande n’était pas tant de parler de lui que d’exposer, une dernière fois, son programme. Lui à qui la droite reproche de ne pas avoir d’idées, de verser dans l’antisarkozysme primaire, crée ici un dernier espace pour faire connaître ses idées et valider leur cohérence. Et François Hollande y parvient plutôt bien, car s’il est une chose que l’on ne peut lui reprocher, c’est de faire la girouette. Le candidat affirme avoir toujours été un "social démocrate", pro-européen, qui "ne se déporte pas sur la droite ou sur la gauche" au gré des courants de pensée. L’improvisation sur la taxation à 75% des hauts revenus mise à part, on ne peut que lui concéder : François Hollande ne sort pas de sa route. Dans son livre, le candidat prend la peine de réexpliquer l’historique de l’accord avec EELV, dont les supposés "couacs" avaient fait la manne des journalistes   . Oui, reconnaît-il, le nucléaire était un point de discorde. Et si l’accord a pris du temps à se concrétiser, c’est justement parce qu’il ne voulait pas transiger. "Vous voyez que je sais prendre des décisions !» semble-t-il nous lancer, fièrement. Avant de donner une leçon de savoir-vivre à "l’implacable" Eva Joly : "J’ai parfois envie de plaider pour un peu d’indulgence. Non qu’il faille accommoder les principes, mais parce que la politique est un compromis"   . De quoi donner raison à la candidate d’EELV qui fustigeait, dans son meeting de Bordeaux le 28 mars, "le candidat de la synthèse".

"Les musulmans français sont de bons citoyens"

A tel point que certains passages de son livre dérangent. Depuis toujours, la gauche se sent illégitime sur les questions de sécurité. Elle tance violemment la droite, mais emprunte son langage dans la foulée. François Hollande, dans sa quête de la magistrature suprême, le confirme avec brio : l’immigration et l’insécurité sont des thèmes imposés par Nicolas Sarkozy sur lesquels il est difficile de se positionner. Le Parti socialiste doit réussir une synthèse entre les politiques migratoires et sécuritaires de la droite dure de ces cinq dernières années, et le laxisme supposé de l’extrême gauche. Cela donne : "Les enfants d’immigrés ont leur place parmi nous dès lors qu’ils respectent nos lois"   . Une phrase magique, qui met tout le monde d’accord. Une phrase équivoque, pourtant : les enfants d’immigrés sont aujourd’hui nés en France. Ils sont Français. Perdent-ils d’avantage leur place s’ils s’écartent du "droit chemin" que les enfants de Français "pure souche" ? Admettons que cela soit une maladresse de plus. Que dire également de cette phrase, qui semble tout droit sortie d’un manuel de bonnes manières des années 30 : "les musulmans français sont de bons citoyens" ?   Maladresse, encore. Que dire aussi de sa longue évocation du droit des victimes   ? Le doute n’est plus vraiment permis. On entre dans une rhétorique toute sarkozyste, pondérée de "justice"   , de "liberté"   et de "contrat social "   . Le spectre de Nicolas Sarkozy rôde encore lorsque François Hollande déclare   : "Aucune prestation sans contrepartie", lui qui s’est battu énergiquement contre l’obligation faite aux chômeurs de travailler un certain nombre d’heures par semaine pour l’intérêt général. Les arguments de l’UMP planent toujours lorsque le socialiste s’essaye à une comparaison de la situation économique de la France avec l’Allemagne pour dénoncer le bilan de Nicolas Sarkozy. François Hollande sape ainsi en une phrase tout le travail de riposte accompli par les députés PS à l’Assemblée Nationale contre Valérie Pécresse, qui usait de cette comparaison pour justifier la TVA sociale. Non, l’Allemagne n’a pas le même marché du travail que la France. Mais non, il n’est pas plus enviable. C’est avec le même amusement que nous lisons, un peu plus tard, les reproches amers du candidat contre le bilan énergétique du président, qui a "abandonné la taxe carbone". Nous parlons bien de cette même taxe contre laquelle le Parti socialiste s’est vigoureusement battu… Le coup de grâce est donné lorsque François Hollande écrit : "Je regrette cette captation des mots qui conduit à une indifférenciation des programmes pour les électeurs"   . Les lecteurs aussi.

De Jaurès à De Gaulle

Changer de destin est un livre de campagne, un livre étendard, un programme politique de 165 pages, censé rassembler les sympathisants de gauche et convaincre les indécis. Comme tous les livres de campagne, la nécessaire synthèse à opérer pour ne froisser personne en devient indigeste. Et le livre de François Hollande ne déroge pas à la règle. Le candidat invoque Blum, Jaurès, le Front Populaire, sans risque aucun. Puis mai 68 pour le libéralisme social, Pierre Mendès France pour son sens de l’Etat, et Charles de Gaulle, évidemment, car on n’est pas sectaire. Le grand Charles est la figure emblématique de la droite que la gauche peut reprendre sans rougir.

Au-delà de ces citations, François Hollande écrit ce que ses lecteurs ont envie de lire : la promesse d’un retour à une police de proximité est matraquée, cette même police qui n’avait à l’époque convaincu personne, créée par un ministre bien mal à l’aise depuis sa sortie sur les "sauvageons de la République". Mais aujourd’hui, depuis sa suppression par le ministre de l’Intérieur Sarkozy, elle est devenue l’emblème d’une gauche ferme mais juste, d’une politique de sécurité efficace et abandonnée parce que trop "sociale" : une manne pour les socialistes. François Hollande félicite ainsi à plusieurs reprises le gouvernement Jospin pour son excellent bilan, sans jamais reconnaître que le contexte économique était alors tout autre. Sans jamais entrer dans les détails, pour ne pas épuiser le lecteur, sûrement, qui de fait reste sur sa faim.

"Les bonnes intentions voisinent avec les généralités sympathiques"

Le candidat parvient-il à parer les reproches qu’on lui fait régulièrement sur son programme ? Plus ou moins. S’il remet à l’heure certaines pendules, il semble maintenir volontairement un flou artistique autour de sujets sensibles. Prenons la jeunesse, dont il clame encore dans son livre qu’il veut en faire "la grande cause de cette élection"   . Son diagnostic est excellent, sa vision de la jeunesse est rassurante, confiante. Mais quelles sont ses propositions mis à part les emplois aidés ? Cette absence de réel programme pour les jeunes amuse l’UMP qui tance régulièrement le candidat à ce sujet   , et vient de sortir l’idée de créer une banque de la jeunesse. Pour le reste, François Hollande se montre très volontaire, multipliant dans son livre les "je veux", "je vais", "je ferai". Sans jamais vraiment expliquer comment. C’est parfois rassurant, parfois énervant, parfois inquiétant lorsqu’il dit par exemple : "je créerai une nouvelle fiscalité locale"   sans plus développer. De quoi effrayer l’électeur indécis.

Difficile de reconnaître ses défauts, difficile d’écrire un livre de campagne en en tenant compte, sans chercher à les occulter. Difficile de reconnaître ses difficultés. François Hollande a été à la tête d’un navire au bord du naufrage pendant 10 ans. Son bilan est mitigé, mais il n’est pas catastrophique. Est-ce une raison pour s’interroger sur la "malédiction"   qui a frappé le PS en 2002 et 2007 ? Les Français attendent sûrement un peu plus de courage politique ou de courage tout court, pour admettre que la situation était difficile, et que tout simplement, il a fait de son mieux. Malgré son ton volontaire, malgré quelques remises au point, malgré une nette aspiration à se montrer plus ferme, il ressort du livre de François Hollande ce qu’il ressort de cette campagne présidentielle : pas grand chose. Il y a des idées, oui, mais elles sont noyées, parasitées par trop de précautions communicationnelles.

Lorsque le candidat rappelle au souvenir de son lecteur la "campagne désincarnée" de Lionel Jospin en 2002, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la sienne, alors que les études d’opinion indiquent toutes un manque d’adhésion à sa personne. Et c’est dans la critique formulée par Hollande lui-même sur le programme de François Bayrou que nous trouvons les mots pour décrire le sentiment ressenti à la lecture de Changer de destin : "quel brouillard ! Les bonnes intentions voisinent avec les généralités sympathiques. Il croit dégager certaines fenêtres sur l’avenir. Ce sont bien souvent des portes entrouvertes qu’il enfonce avec une énergie méritoire"  

 

A lire sur nonfiction.fr : 

- François Hollande, Changer de destin, par Jules Fournier. 

- Stéphane Bugat, Génération Hollande, par Jean-Frédéric Desaix. 

- Najat Vallaud-Belkacem, Raison de plus !, par Noémie Suisse.