Alors que le régime de Pyongyang s'apprête à fêter le centième anniversaire de la naissance de Kim Il-Sung, les témoignages sur son ignominie commencent à abonder. 

La République populaire démocratique de Corée (RPDC) fêtera dimanche le centième anniversaire de la naissance de son Grand Leader Kim Il-sung. Cette date est l'occasion de vanter les succès de la Corée du nord et le petit-fils du fondateur du régime, Kim Jong-un, arrivé au pouvoir après la mort de son géniteur, Kim Jong-il, le 17 décembre 2011. A défaut de démontrer que le pays est devenu, comme la propagande le proclame depuis des années, un pays "fort et prospère", Pyongyang a annoncé tout récemment le lancement du satellite Kwangmyongsong-3 entre le 12 et le 16 avril. Une démonstration d'avancées technologiques qui sonne comme un moyen de rehausser le moral d'une population nord-coréenne durablement sous-nourrie et le prestige de ses dirigeants. Une décision qui a mis en émoi tout le bassin Pacifique, chacun voyant dans cette tentative de mise en orbite d'un satellite d'observation de la Terre avec orbite polaire un essai de missile balistique. Et pour tout dire, une violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (ex. 1718, 1874/2009). Il est vrai que les deux précédentes tentatives de mises en orbite de "satellites" (1998, 2009) n'étaient rien d'autres que des tests de missiles Taepodong 1 et 2.

La modernisation de l'arsenal NBC   nord-coréen et ses vecteurs sont observés avec d'autant plus d'attention que la RPDC n'hésite pas à coopérer technologiquement avec des États parias (ex. Iran, Myanmar, Syrie,...) tout en mettant de facto à l'épreuve l'alliance des États-Unis avec ses partenaires d'Asie du nord-est. Face aux menaces (cf. les deux essais nucléaires d'octobre 2006 et mai 2009, la révélation d'un programme secret d'enrichissement en octobre 2010) et aux agressions répétées de son voisin (en 2010, torpillage du Cheonan et bombardement sur Yeongpyong), la Corée du Sud n'est-elle pas tentée de développer de nouveaux systèmes d'auto-protection comme des missiles d'une portée supérieure à 300 kilomètres et de charge utile supérieure à 500 kg ? Des armements qui pourtant contreviendraient à l'accord signé en 2001 entre Séoul et Washington.

Dans ce contexte politico-militaire extrêmement tendu, l'attention des observateurs internationaux est obnubilée par les questions de défense. Cependant, jamais la littérature consacrée à la Corée du nord et son régime n'a été aussi diverse et de qualité. Rien du sort peu enviable des Nord-Coréens ne semble devoir nous échapper. Même les romans nord-coréens commencent à nous être accessibles (cf. Baek Nam-ryong, Des amis, Actes Sud, Arles, 2011, 247 p; une réflexion très aboutie sur le divorce au pays du juché). Les ressorts de la propagande, ses dimensions théâtrales, cinématographiques et ses démonstrations quotidiennes n'ont plus de secrets. Comme ses devancières soviétisées et maoïstes, elles sont décortiquées savamment et dans le moindre détail (ex. Kim Suk-young, Illusive Utopia, University of Michigan Press, Ann Arbor, 2010, 387 p). Il en est de même du narratif nationaliste exacerbé (Brian Reynolds Myers, La race des purs, Éditions Saint-Simon, Paris, 2011, 177 p). Une masse d'information qui permet de mieux comprendre les mécanismes dynastiques d'un pouvoir communiste (cf. Lim Jae-cheon, Kim Jong-il's Leadership of North Korea, Routledge, Abingdon, 2009, 225 p -- Ken E. Gause, North Korea under Kim Chong-il, Praeger, Santa Barbara, 2011, 241 p). Autant de données qui ne cessent d'être actualisées. Depuis quelques mois, de nombreux ouvrages numériques complètent le champ éditorial. Ils permettent de mieux appréhender le régime d'aujourd'hui et le processus de succession dictatoriale en cours depuis 2009/2010 (ex. John H. Cha - K. J. Sohn, In Exit Emperor Kim Jong-il, Abbott Press, 2012 -- Lee Young-jong, Succesor Kim Jong-un, Neulpum Plus, 2011). Plus surprenant pour ceux qui ne s'intéressent que de manière épisodique au pays guidé par la doctrine du songun (l'armée en premier), les écrits sur la Corée du nord emplissent tous les rayonnages des librairies. Même les rayons consacrés aux romans policiers n'y échappent pas (cf. les enquêtes de l'Inspecteur O. James Chruch, The Man with the Baltic Stare, Minotaur Books, New York, 2010, 279 p; les trois premières intrigues   ont été publiées en français aux éditions du Seuil), pas plus d'ailleurs que celui de la bande dessinée (cf. Oh Yeong Jin, Mission Pyongyang, Éditions FLBLB, Poitiers, 2011, 197 p). Des manuscrits pleins d'anecdotes, de dérisions, d'humour sur l'un des derniers régimes totalitaires de la planète. Afin d'aller plus loin encore, il reste aux éditeurs francophones mais également anglophones à publier les témoignages d'ex-proches du régime. Deux traductions du japonais seraient tout particulièrement instructives, l'autobiographie du demi-frère de Kim Jong-un (Kim Jong-nam, Mon père Kim Jong-il et moi, fruit d'un travail avec le journaliste du Tokyo Shimbun Yoji Gomi, édité en janvier 2012) et le récit du restaurateur nippon qui se fait appeler Kenji Fujimoto (J'étais le cuisinier de Kim Jong-il, 2003   ), le préparateur pendant 14 ans des sushis préférés du Cher Dirigeant, une fonction qui lui permit d'approcher au plus près la famille de Kim Jong-il et le fils préféré Jong-un au caractère bien trempé, contrairement à son aîné Jong-chul. Des manuscrits qui pourtant alimentent en détails croustillants les sagas sur la vie privée de la famille Kim (cf. Diane Ducret, "Les 3 grâces de Kim Jong-Il" in Femmes de dictateur (Tome 2), Perrin, Paris, 2012, pp 245 - 300).

Derrière le paravent des frasques de Kim Jong-il, Kim Jong-un et de leurs compagnons de fêtes, les fils des hauts cadres de l'appareil du parti et de la sécurité (Bonghwajo), on ne peut oublier la terreur et l'oppression que fait peser le régime sur la dizaine de millions de Nord-Coréens. Quoi de plus perçant que les yeux d'une jeune adolescente candide pour décrire cette horreur ? Le témoignage d'Eunsun Kim, née en 1986, est à ce titre des plus effroyables. Il n'est pas sans rappeler celui de Molyda Szymusiak qui fit découvrir l'épouvante khmère rouge (Les pierres qui crieront : une enfance cambodgienne 1975 - 1980, La Découverte, 1984, 272 p). La petite fille de la province d'Hamgyong du nord, aux confins de la Chine, dépeint en toute simplicité sa plongée dans l'abîme. Cette autobiographie rédigée avec le concours du correspondant du Figaro et du Point à Séoul se lit comme le journal d'une enfance volée. Sans haine, l'enfant se débat avec l'énergie du désespoir pour tout simplement se nourrir et survivre.

L'éducation "révolutionnaire", la surveillance du quartier par le chef de l'unité de voisinage (iminban), le désespoir du pays après la mort de Kim Il-sung en juillet 1994, le marché noir (jangmadang), les enfants des rues (Kogebi) sont autant de tableaux avant le franchissement du fleuve Tumen (Dumangang en coréen). Un exil alimentaire bien plus que politique. Mais, une fois en Chine, la vie n'est pas facile. La mère et les deux sœurs y sont vendues pour 2 000 yuans (242 euros). Le rapatriement en Corée du nord demeure un risque rémanent avec son lot d'exécutions publiques, de détentions par le Bowibu (Agence nationale de sécurité nord-coréenne) et d'emprisonnements pour rééducation. Les migrants rapatriés n'en ont pas moins qu'un seul désir, repartir pour une vie "meilleure". Aux frontières, les soldats de l'Armée populaire ne savent que faire de ces détenus misérables alors bien souvent ils les laissent dorénavant repartir. En République populaire de Chine, faute de ressources, ils rapinent et exaspèrent les fermiers chinois victimes de leurs larcins de survie. Le refuge idéal est la ville car on peut s'y fondre plus facilement. On y obtient des papiers d'identité pour moins de dix euros mais le prix de la liberté en Corée du sud s'avère, lui, prohibitif. Pour Eunsun, il fallut compter près de 2 000 euros pour parvenir à Séoul, aujourd'hui il faut en débourser bien plus de 7 000.

Pour sortir de Corée du nord, les uns empruntent la route de l'Asie du sud-est via le Laos, la Thaïlande ou le Viêt Nam (cf. Hyok Kang qui est née la même année que Eunsun Kim a pris la route vers l'ASEAN, cf. "Ici, c'est le paradis !" : Une enfance en Corée du nord, Michel Lafon, Paris, 2004, 215 p), d'autres celle de la Mongolie ou de la Russie (cf. Juliette Morillot - Dorian Malovic, Évadés de Corée du nord, Belfond, Paris, 2004, 329 p). Les risques de la voie nord ne sont pas moins grands. Les chemins de l'exil dépendent du hasard des rencontres et des réseaux de solidarité. Le passage du désert de Gobi par Eunsun Kim est décrit avec pudeur mais ses dangers sont immenses (ex. soif, violences des gardes-frontières mongoles,...). L'arrivée dans un camp de transit d'un pays sans accord d'extradition avec Pyongyang est synonyme de longs et fastidieux interrogatoires des agents de renseignement sud-coréens. Ils sont les étapes ultimes de la cavale mais le chemin des épreuves et des embûches est encore bien loin pour mener une nouvelle vie.

L'intégration sociale au pays du Matin calme n'est pas si aisée. Plus de 23 000 Talbukka (les échappés du Nord), ou Saeteomin (les nouveaux installés), comme on a depuis peu tendance à les dénommer en évitant de les stigmatiser, vivent aujourd'hui au Sud mais leur intégration est difficile sur cette terre inconnue. La formation à l'économie moderne de marché au centre fermé de Hanawon est une épreuve souvent humiliante pour les adultes. L'installation définitive est souvent une épreuve psychologique tant la solitude, une certaine nostalgie du terroir originel, le sentiment de déclassement social est grand pour beaucoup. L'angoisse du lendemain est accrue par la faiblesse des revenus. Le pécule octroyé par le gouvernement ne permet de tenir que quelques mois. Il faut donc une énergie folle pour se (re)construire. Eunsun n'en manque pas et a su rattraper près d'une décennie de retard scolaire. Boursière de l'université catholique de Sogang, elle se prépare mieux que la plupart de ses compatriotes à la vie compétitive qui l'attend. Sa conversion au protestantisme évangélique dont les réseaux en Chine jouent un rôle majeur dans l'exfiltration des migrants l'a aidé pour beaucoup ainsi que sa chance d'avoir migré avec une partie de sa famille. Un optimisme qui lui laisse croire que la dictature nord-coréenne n'en a plus pour longtemps. On voudrait la croire tant les récits des camps qui continuent de nous parvenir sont épouvantables (cf. Kim Yong - Kim Suk-young, Long Road Home : Testimony of North Korean Camp Survivor, Columbia University Press, New York, 2009, 168 p -- Blaine Harden, Escape from Camp 14, Mantle, Londres, 2012, 242 p). Leur cruauté laisse entrevoir une situation humanitaire et carcérale qui n'a guère évolué depuis une décennie et les travaux de recherches fondateurs sur le goulag nord-coréen de David R. Hawk (The hidden gulag : exposing North Korea's prison camps : prisoners' testimonies and satellite photographs, U.S. Committee for Human Rights in North Korea, Washington, 2003, 120 p)