Le débat sur la place des renseignements en France prend une nouvelle tournure.  

Le rapport des Français à leurs services de renseignement change en profondeur. Après l'ère du soupçon, affaire Ben Barka oblige, puis celle de la mésestime après l'explosion du Rainbow Warrior, nous entrons dans celle de la considération et des interrogations publiques et académiques vétilleuses sur la place à accorder aux services secret dans l'action de l'État. Certes, certaines affaires récentes mettent encore à mal leur image et celle de leurs chefs (cf. O. Recasens - D. Hassoux - C. Labbé : L'espion du président, Robert Laffont, Paris, 2012) mais les débats se font globalement plus sereins et pour tout dire plus professionnels.

Les recherches académiques des historiens y concourent. Elles sont plus nombreuses, approfondies et documentées. Espérons à ce titre que le travail d'exploitation des archives et témoignages inédits mené par Sébastien Laurent de l'université de Bordeaux (Les espions français parlent, Nouveau Monde éditions, Paris, 2011, 623 p) sera suivi prochainement par bien d'autres. La mise sur pied du groupe de recherche "Metis" au centre d'histoire de l'Institut d'études politiques de Paris est prometteuse.

L'analyse critique des romans d'espionnage, leurs ressorts idéologiques, les préjugés géopolitiques que véhiculent leurs narratifs est toute aussi importante. Leur diffusion nourrit autant l'imaginaire populaire que l'actualité (cf. le refus du gouvernement de donner suite à la demande du sénateur socialiste David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois de vouloir auditionner les chefs du renseignement dans le cadre de l'affaire Mohamed Merah). A ce titre, il faut lire avec attention le dernier essai de Luc Boltanski (L'identification des agents secrets in Énigmes et complots : Une enquête à propos d'enquête, Gallimard, Paris, 2012, pp 176 - 239) car il souligne combien au cœur de la littérature dite parfois de gare se joue aussi la construction de notre État-Nation. François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique et ex-conseiller au cabinet du ministre de la Défense Charles Hernu, inscrit sa réflexion dans cette démarche. Ses chapitres 4 à 7 de son livre Espionnage et renseignement, consacrés aux rapports du renseignement à la mondialisation, à la démocratie et aux choix à opérer pour la France sont des plus stimulants. En ouverture, les cent premières pages relatant l'histoire du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide sont une utile mise en perspective. Un travail de politologue mais également d’acteur public au cœur de la rédaction du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale de 2008 qui souligna l'importance à accorder aux fonctions d'anticipation et de renseignement.

Décidément, ce texte ne méritait pas le bandeau marketing racoleur rouge placé en travers de la première page de couverture (Le vrai dossier). Au-delà de sa dimension pédagogique (cf. le premier chapitre, le renseignement pour quoi faire ?) se cache une réflexion programmatique que les candidats à l'élection présidentielle et aux élections législatives, appelés ultérieurement à contrôler l'action des services de renseignement et tous leurs conseillers, devraient lire.

A n'en pas douter la concomitance de la mise en librairie et du calendrier électoral n'est pas le fruit du hasard. L'ouvrage n'est d'ailleurs pas sans rappeler la tribune que François Heisbourg et son préfacier l'ambassadeur Jean-Claude Cousseran (directeur général de la sécurité extérieure de 2000 à 2002) ont publié dans les colonnes du Monde à la veille de l'élection présidentielle de 2007 (Le président, les "services" et la démocratie, 17 février 2007). Il fourmille de propositions de réformes : confier le secrétariat du Conseil national du renseignement aux services du Premier ministre (SGDSN), créer auprès du président de la République un conseil consultatif sur la défense et la sécurité nationale, enraciner le coordinateur du renseignement dans le dispositif administratif français, transformer la DCRI en une Direction générale de la sécurité intérieure disposant d'une autonomie budgétaire, présenter au Parlement un budget consolidé du renseignement, élargir le périmètre de responsabilité de la direction du renseignement militaire, poursuivre le travail d'adaptation des statuts des personnels etc... Toutes ces orientations montrent que les réformes initiées par N. Sarkozy pourtant bien réelles pour doter l'ensemble du dispositif de structures de coordination (Conseil national du renseignement, coordonnateur du renseignement) ou de formation (Académie du renseignement) sont encore loin d'être achevées. La gauche y est manifestement prête. Elle inscrit d'ailleurs son action dans une longue tradition réformatrice des services de renseignement de Michel Rocard qui a réactivité le comité interministériel du renseignement, à Pierre Joxe qui tira les leçons de la guerre du Golfe en créant la direction du renseignement militaire.

Les notes de réflexion des think tanks de gauche sur les réformes à venir ne cessent d'ailleurs de se multiplier. Les uns se font les promoteurs d'une conduite primo-ministérielle, les autres de la nécessité d'ordonnancer méthodiquement le dispositif autour du chef de l'État, chef des armées. En complément du livre de François Heisbourg, il faut lire cette littérature de policy making. Une première dans notre histoire ! La Fondation Jean-Jaurès a ainsi publié un retentissant opuscule sur le sujet du député du Finistère, Jean-Jacques Urvoas et de Floran Vadillo, doctorant rapporteur du groupe d'études et de réflexions sur le renseignement (Réformer les services de renseignement français, avril 2011, 82 p), proposant 36 mesures phares. L'association Orion, rassemblant depuis 2002 des hauts fonctionnaires civils et militaires proches du Parti socialiste, vient d'en faire de même en ce début du mois d'avril. On constate une telle profusion d'idées et une telle mobilisation dans la communauté du renseignement que le cabinet d'intelligence économique Intelligence Online a consacré la Une de son numéro du 22 mars 2012 à détailler les équipes qui conseillent François Hollande sur le sujet