Une problématique juste mais un propos décevant.

N'est pas Machiavel qui veut. Or le dernier livre de Christian Salmon, Ces histoires qui nous gouvernent, tente maladroitement de s'inscrire dans la veine du Prince ; citer ne suffit malheureusement pas à convaincre. Quel est l'objectif de cet ouvrage empaqueté comme un animal de foire agricole ?   En l'absence d'idée-phare, de fil conducteur, la question reste en suspens. Les vingt-huit chapitres sont un défilé d'exemples factuels et de références intellectuelles et littéraires. Il aurait été pourtant souhaitable que chaque référence illustre une réflexion, qu'elle en constitue l'aboutissement, alors qu'elle ne s'avère bien trop souvent qu'un point de départ inabouti.

La " crédulité contemporaine " que l'auteur essaie d'éclairer semblerait nouvelle, pourtant elle n'est que renouvelée. Au regard des nouveaux moyens de communication les histoires politiques se sont certes adaptées, transformées, elles ont nécessairement évolué, signe qu'elles perdurent et subsistent. En effet, le discours politique est ancré dans une histoire, nationale ou communautaire, universelle ou partisane, afin de se projeter dans l'avenir.

Si " la vie politique n'est plus scandée par les débats parlementaires, les Conseils des ministres, les grands rendez-vous, ce qu'on appelait jadis un agenda politique ; elle obéit désormais à la politique de l'agenda "   . Ainsi, selon Christophe Salmon, " tout Sarkozy est là. L'agenda ! L'obsession de l'agenda. L'International Herald Tribune, qui a dressé un bilan contrasté des six mois de la présidence française, y voyait même son principal défaut ".   Une telle affirmation, aussi pertinente soit-elle, aurait mérité une explication et non un simple commentaire par référence. Là réside la déception suscitée par la lecture de " Ces histoires qui nous gouvernent ". Des rapprochements judicieux existent, mais ils sont insuffisamment exploités. Ainsi, la figure d'un Nicolas Sarkozy président et candidat en Revizor de Gogol. En effet, " il ne faut jamais oublier que le Revizor ne leur sort jamais de la tête. Ils sont tous obsédés par le Revizor "  

La référence à la théorie de la démarche de Balzac, ouvrage relativement méconnu mais d'une justesse immuable, aboutit à des développements très étonnants,   de même pour l'idéal de maigreur de Roland Barthes  

Seuls les développements sur la politique américaine revêtent l'intérêt de l'inédit pour le lecteur français. De l'opposition des récits de chaque candidat à la primaire démocrate   , au poids des lobbys et de la K Street à Washington   , en passant par l'invention de la " reine assistance qui roulait en Cadillac " par Ronald Reagan   . L'analyse se révèle pertinente lorsque l'auteur aborde deux moments clés de la dernière décennie américaine. Celui de la chaussure lancée par un journaliste de la chaîne Al-Bagdadia, " surprenant effet de réel dans un simulacre, un véritable décalage du récit de la guerre par l'administration Bush "   ou encore celui de la mort de Ben Laden, " crime parfait " selon une approche faisant sienne la réflexion de Jean Baudrillard.  

Alors que le travail d'un chercheur doit s'inscrire dans le temps long, ici il n'en est rien. Preuve en est, l'affirmation selon laquelle un nouvel ordre narratif a émergé, " les positionnements politiques et les affiliations idéologiques (ayant) été remisées au magasin des accessoires ". Pourtant l'affrontement des idées, le choc des visions politiques, se révèle bien plus présent qu'en 2007  

Si " jamais l'exercice de la rhétorique du pouvoir n'avait suscité une telle passion de l'interprétation "   , on regrette ici une fois encore une analyse trop succincte. En définitive, Ces histoires qui nous gouvernent constituent l'exemple typique de ce mal singulièrement français à l'orée des élections, celui de publier ou de périr  

 

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