Avril 2012. Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch ne notent plus les Etats européens. Les trois têtes de l’hydre sont tombées. Une agence européenne publique de notation des dettes souveraines a pris le relais dans l’attente de la mutualisation de l’ensemble des dettes. Les agences de notation traditionnelles, encadrées et profondément réformées, ont repris leur rôle de base : évaluer la qualité des produits émis par les entreprises afin d’éclairer des décisions d’investissement régulées.

L’élection présidentielle de 2012

Les Français peuvent s’apprêter à aller voter pour le prochain Président de la République en toute liberté, sans avoir à prendre en compte dans leur choix les potentiels effets des programmes des uns et des autres sur le " triple A " du pays. Les menaces en l’air des marchés financiers ne sont plus désormais qu’un mauvais souvenir. Le choix qui sera fait entre les candidats de l’Union pour une majorité populaire, du Parti socialiste, d’Europe écologie - Les Verts, du Front de gauche, de Lutte ouvrière ou encore du Front national sera un véritable choix démocratique, basé sur les convictions politiques individuelles de 40 millions d’électeurs. Les deux principaux candidats devront, pour triompher le 6 mai, défendre une vision de la France, une conception de l’économie et un projet social, et non plus proposer une réponse technique aux exigences des marchés financiers.
Le débat sur l’austérité et la réduction de la dette et des déficits publics aura certes bien lieu, on ne peut y échapper. La nécessité d’une gestion plus saine des finances publiques est en effet acceptée par tous. Mais ce débat n’aura pas été imposé par les menaces de l’hydre à trois têtes. Il aura été mis au cœur de la campagne par les préoccupations des Français, conscients que la stabilité du pays sera mieux assurée en ramenant la dette au-dessous de 80% et le déficit budgétaire au-dessous de 5% du PIB.

La droite conservatrice mettra en avant l’effort de redressement drastique conduit depuis la crise financière et l’adoption inédite de deux lois de programmation pluriannuelle des finances publiques au cours du mandat du Président Sarkozy.
La gauche socialiste pourra faire valoir le bilan des années Jospin – époque dorée de la " cagnotte " – et son sérieux budgétaire, sans que les citoyens n’aient plus peur de lui accorder sa confiance, alors même que quelques mois plus tôt les communiqués des agences de notation n’hésitaient pas à associer victoire de la gauche et dégradation automatique.
L’extrême gauche quant à elle dénoncera la place encore trop grande laissée selon elle aux marchés financiers, et proposera, bien au-delà de l’encadrement des agences, le contrôle des fonds et des capitaux bancaires.

En recevant les programmes de l’ensemble des candidats et leurs propositions écrites, les Français auront conscience qu’ils devront faire véritablement, pour la première fois depuis trente ans, un choix de société. Dans les spots publicitaires télévisuels, jamais les couleurs rouge, rose, bleu ou verte n’auront autant de sens.

 

Se donner le choix

Combien serons-nous à aller voter le 22 avril et le 6 mai prochains ?
Combien serons-nous à aller voter si la rue puis le pouvoir parviennent à faire céder les agences de notation ?
Combien serons-nous à aller voter si la voracité de l’hydre à trois têtes engloutit la démocratie française sans que personne n’ose si opposer ?

Certes, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch ne feront pas tomber le gouvernement français avant les élections du mois d’avril comme elles ont déjà renversé – coups d’Etat postmodernes, économiques et non plus militaires – les gouvernements irlandais, grec et italien.

Certes, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch ne condamneront pas à la défaite le gouvernement actuel comme elles ont inexorablement condamné à la défaite le successeur au sein du parti socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero.
Mais soyons honnêtes avec nous-mêmes. Si les Français se rendent aux urnes les 22 avril et 6 mai 2012, même massivement, sous la menace d’une dégradation de la part des agences de notation, alors ces élections scelleront la fin en France de la liberté de choix et seront un échec terrible pour la démocratie dans le pays des droits de l’homme et du citoyen.

Cet essai de politique-fiction ne poursuit qu’un seul objectif. Avertir chacun que la démocratie française a aujourd’hui besoin d’un pas de plus que la seule participation électorale. Que la démocratie française réclame aujourd’hui un mouvement collectif et solidaire, non contre le gouvernement, mais contre le pouvoir excessif et déplacé d’agences de notation qui au nom d’une doxa néolibérale aux effets sociaux et macroéconomiques dévastateurs se plaisent à dicter à des pays souverains les politiques à adopter, les budgets à construire et les économies à réaliser, et à rêver d’un monde où le pouvoir politique ne serait plus qu’un jouet dans les mains du pouvoir économique et le vote une farce destinée à divertir le peuple.
Au fond, cet essai de politique-fiction ne poursuit qu’un seul objectif. Nous rappeler que notre destin est plus que jamais, si nous avons la volonté, en notre main


* Julia Cagé pour Cartes sur Table. 

 

 

A lire aussi sur nonfiction.fr : 

Prologue "Merde aux agences de notation"  , par Julia Cagé. 

Acte 1 - La prise de conscience ou le début de l'hiver occidental, par Julia Cagé.

Acte 2 - Le temps de l'action: la volonté politique  de dire enfin "merde aux agences de notation", par Julia Cagé.