Nonfiction.frJusqu’à maintenant, vos essais se sont surtout intéressés à la question de la réception des œuvres. Dans Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ?, vous vous intéressez davantage à la création et au rapport des auteurs au " réel". Vos exemples très variés ne sont pas toujours littéraires. Peut-on dire qu’il s’agit d’une rupture dans vos travaux ?

Pierre Bayard – Mes livres parlent en effet tous plus ou moins de la lecture et de l’interprétation, et j’avais envie d’étendre mes recherches au-delà de la littérature. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il y ait rupture, car dans mon esprit il s’agit du deuxième volume d’une trilogie. J'aime bien travailler par cycle, même si je ne publie pas les textes d’une série les uns à la suite des autres. Mes livres sont conçus très tôt comme formant un ensemble. Il y a eu ainsi un cycle de critique policière, sans doute clos   , un sur la critique d'amélioration   , un sur la critique anachronique   , encore à compléter...

La question générale de ce cycle-ci est ce que l’on appelle en philosophie la question du référent, telle qu’elle a été traitée par des auteurs comme Bertrand Russell ou Leonard Linsky. Il s’agit de savoir de quoi l'on parle... quand on parle, ce qui n’est pas si simple. Cette question apparaissait aussi, même si c’était moins évident, dans Enquête sur Hamlet : de quoi parlent deux critiques d’Hamlet lorsqu’ils ont le même texte entre les mains ? J’ai essayé de montrer, en confrontant des dizaines d’interprétations, que même des critiques de la même époque, avec le même texte devant les yeux, dans la même édition, ne parlent pas en réalité du même texte. Il y a des marges d’incommunicabilité qui sont fondamentales dans une conversation ou un échange critique.

J'ai repris cette question dans Comment parler des livres que l’on n’a pas lus? Lorsque l’on parle d’un livre, même quand on l’a "lu", on parle en réalité de fragments que l’on a sélectionnés, que l’on a très souvent réaménagés après coup, y compris et même surtout quand c’est un livre que l’on aime. Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ? étant dans le prolongement de Comment parler des livres que l’on a pas lus ?, la question du référent est à nouveau centrale, sauf que ce n’est plus de livres que je parle, mais du monde, de la géographie. Je montre comment un certain nombre d’écrivains ont pris conscience du fait que, de toute façon, il y aurait un écart sensible entre ce qu’ils allaient voir ou rencontrer et ce qu’ils allaient en dire. Pour eux, il valait mieux d’une certaine manière privilégier dès le départ le récit de voyage sur le voyage lui-même, voire se dispenser de l’étape du voyage puisqu’elle leur faisait perdre du temps pour arriver à reconstruire le monde, ou construire ce type de référent particulier qui est celui de la littérature. Le maître de cette méthode est sans doute Chateaubriand, même s’il n’a pas laissé de texte sur la question, car il a vraiment une théorie et une pratique du voyage panoramique. Il pense qu’il ne faut pas s'approcher trop de la réalité pour la connaître et la décrire.


Nonfiction.fr Ces deux livres se situent dans le prolongement l’un de l’autre, ce qui est visible à la fois dans le titre, mais également dans la structure du texte. Vous n’avez pas peur que l’on vous reproche d’avoir fait une suite à Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, surtout lorsque l’on sait le succès qu’il a obtenu ?

Pierre Bayard – C’est le risque évidemment, surtout pour des lecteurs pressés ! Et qu'est-ce que ce sera avec le volume trois de la trilogie ! Mais il y a aussi des lecteurs sérieux. Et je pense que, si on lit ces deux livres, on se rend compte qu'ils partent d'une même problématique, mais qu'ils sont très différents. Je me situe de toute façon dans une perspective plus large avec des livres qui se répondent. La logique de l'ensemble apparaîtra mieux plus tard.

Nonfiction.fr Si vos livres se rassemblent dans un système plus large, il ne faut donc pas les considérer comme une démonstration qui, même relevant d’un cycle, se suffirait à elle-même ? Vous avez vocation à former un vrai système théorique littéraire et psychanalytique ?

Pierre Bayard – Mes livres sont faits pour être lus indépendamment, mais ils sont reliés à d’autres. C’est le principe des Rougon-Macquart ou... de la planification stalinienne !
Un vrai système, non, mais en tout cas une théorie, ou une tentative d'en faire. Je me définirais volontiers comme un théoricien de la littérature et de la psychanalyse, au sens où j’invente toute une série de concepts, dont certains reviennent régulièrement, et où je propose une représentation théorique organisée de la littérature et du psychisme. Il y a donc bien un projet théorique derrière ce que j'écris, ce qui est d’autant plus important à préciser que, contrairement à ce qui se passait dans les années 1960-1970, où nombreux étaient les auteurs à se définir comme des théoriciens de la littérature, c’est un champ un peu abandonné actuellement. Il faut presque se cacher aujourd'hui pour dire que l'on écrit de la théorie littéraire !

Parmi les éléments de cette théorie d'ensemble, il y a ce que j'ai appelé la " littérature appliquée à la psychanalyse ", qui est explicitée dans un cycle comprenant un ouvrage sur Laclos   , un autre sur Maupassant   et un essai d'ensemble   . Il s’agit de revenir au geste freudien inaugural pour trouver dans les œuvres littéraires des concepts et des modèles originaux, de demander à chaque œuvre de produire ses propres notions. Cette manière de procéder se retrouve derrière tous mes livres.

Nonfiction.frComment articulez-vous vos travaux littéraires et votre pratique de la psychanalyse ? Vous posez aux livres des questions psychanalytiques mais vous servez-vous également de la littérature dans votre travail d’analyste ?

Pierre Bayard – C’est un continuum. Je ne cite jamais de cas précis, car c’est très problématique pour les patients. Mais ce que je découvre dans la psychanalyse, en tant qu’analysant et analyste, innerve mon écriture. En particulier cette idée selon laquelle le langage ne suffit jamais : on dit quelque chose et on se rend compte immédiatement que non, ce n’est pas ça, on tente une autre formule et on se rend compte que ce n’est pas ça non plus... C’est ce que j’essaie de mettre en œuvre dans mes livres, notamment avec le dispositif du narrateur personnage.

Dans ma pratique d’analyste, je ne m’impose évidemment pas de recours à la littérature. Certains patients se réfèrent néanmoins à des modèles littéraires, d’autant plus que j’attire des analysants qui ont déjà un rapport étroit à la littérature. Mais l'idéal est que l’analysant parvienne à produire les concepts de sa propre histoire, qu’il les invente à chaque fois.


Nonfiction.frPouvez-vous m’en dire plus sur ce narrateur personnage ?

Pierre Bayard – Dans les livres de sciences humaines, il y a généralement similarité entre l’auteur et le narrateur, ce qui n’est pas du tout le cas dans la fiction. L’auteur de La Recherche n’est pas Marcel, Nabokov n’est pas pédophile. Cette scission, fondatrice de la fiction, je l’ai introduite en sciences humaines : le narrateur de mes livres ne coïncide pas avec l’auteur. Je ne m’identifie pas au narrateur de Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ?, je voyage moi-même assez régulièrement et je ne pense pas que la meilleure façon de connaître un pays soit de ne pas quitter son canapé ! Ce narrateur est donc un personnage construit à partir de moi-même, de même que le narrateur de La Recherche est construit à partir de Proust. Il tient certes des affirmations que je pourrais tenir par moments, mais il ne me représente pas. Ce dispositif de fiction fait que la "théorie" qui se dégage de ce livre est, je l'espère, beaucoup moins monolithique qu'elle ne le serait dans un ouvrage de sciences humaines de facture classique.

Ce que je crée ainsi est un objet qui ne produit pas une seule proposition théorique, mais plusieurs, avec lesquelles je suis par moments d’accord et par moments non. Cette diversité n'est pas sans rapport avec l’énonciation psychanalytique et sa difficulté à dire la vérité.

Nonfiction.fr - Comment ce dispositif de fiction vous aide-t-il à percevoir d’autres facettes de l’ expérience littéraire ?

Pierre Bayard - La fiction permet une bien plus grande mobilité dans la représentation du réel, une mobilité proche de celle du discours de l’analysant, ainsi qu’une plus grande souplesse dans l’énonciation théorique. Le romancier ne coïncide pas avec tel ou tel personnage, encore moins quand il en crée plusieurs. Il n’y a pas chez Proust une seule représentation du temps ou de l’amour, puisque les éléments de théorie que l'on peut y croiser sont portés par différents personnages. Les textes que je produis ressemblent un peu à un mobile de Calder, ils peuvent donner à penser au lecteur, car ils lui donnent à voir une diversité de points de vue sur une question, sans lui fournir une théorie toute faite.

Le narrateur détective par exemple, dans mes trois ouvrages de critique policière, est une sorte de paranoïaque, qui manie une forme d'hyper-critique et applique radicalement la théorie du soupçon, en contestant tout ce qu’il y a dans le texte. A un premier niveau, c'est absurde, comme il est absurde de dire qu’Agatha Christie s’est fait tromper par ses personnages ! Pour autant, à un deuxième niveau, les failles et les invraisemblances que j’ai trouvées existent quand même. Le résultat est donc un objet complexe avec lequel je suis à la fois en accord et en désaccord. Ce narrateur est un dangereux paranoïaque et pourtant ce qu’il dit n’est pas complètement faux. C’est d’ailleurs ce qui est intéressant dans la paranoïa, c’est qu’elle part du réel, au moins en partie. De même, dans Demain est écrit, le narrateur raconte comment les écrivains sont bien plus inspirés par l’avenir que par le passé, ce qui est ridicule, là encore à un premier niveau. Pourtant, ce livre est dédié à un ami dont la vie a été la parfaite illustration de cette thèse et de nombreux écrivains m'ont raconté des histoires semblables. Pour ma part, je suis perplexe vis-à-vis de cette thèse, et ce dispositif de fiction me permet de mettre en scène cette perplexité, de la même manière qu’un romancier va mettre en scène sa perplexité vis-à-vis du monde : il ne va pas en proposer une conception monophonique, il va en montrer toute une série de facettes simultanées. C’est la simultanéité de ces facettes que j’essaie de produire par ce dispositif de fiction.

Nonfiction.frVos livres mettent en œuvre l’imagination, le jeu. On a l’impression que vous vous amusez quand vous écrivez…

Pierre Bayard – La dimension de jeu est fondamentale dans mes livres, et j’espère en effet qu’ils manifestent un certain humour. Cela ne marche pas nécessairement, mais je fais partie des auteurs de sciences humaines – il ne doit pas y en avoir énormément... – qui se posent la question de savoir comment faire rire leur lecteur.

Le jeu est aussi une manière de réintroduire la psychanalyse. Dans l’expérience de la lecture, en tout cas dans celle que j’en ai, la rêverie, l’imagination jouent un grand rôle et je m’intéresse à cette partie de la lecture qu’il est très difficile de capter par des moyens théoriques et scientifiques traditionnels : le lecteur est en train de lire et il rêve, il songe à d’autres possibilités du texte qui auraient pu être différentes, il pense à des améliorations ou à d'autres solutions, comme dans les intrigues policières. Toute cette part de rêverie, j’essaie de la mettre en forme, de la montrer à l'œuvre en étudiant ces autres possibilités, dans un mélange entre fiction et réalité. Le personnage narrateur que j’ai évoqué a ce rôle-là, celui de permettre d’explorer de l’intérieur certaines idées qu’il reprend à son compte. Le lecteur se pose parfois la question : et si ce n’était pas Claudius qui avait tué le père d’Hamlet? Moi, j’invente un personnage détective qui prouve qu’effectivement ce n’est pas Claudius, mais quelqu’un d’autre. Ce dispositif non conventionnel de fiction permet de capter toute une marge du préconscient.


Nonfiction.fr - Au delà de cette dimension du jeu, faire porter par votre narrateur des thèses anticonformistes n’est-il pas également une manière de remettre en question la notion d’autorité en littérature, celle des auteurs et celle des critiques ? Vous êtes considéré comme un iconoclaste…

Pierre Bayard – J’espère bien que je remets en question l’autorité car autrement je ne serais ni un écrivain ni un théoricien. Et c’est vrai qu’il y a dans mes livres une série de propositions iconoclastes, comme celle de refonder l’histoire littéraire en changeant les auteurs de siècle (Le Plagiat par anticipation) ou bien en réattribuant les oeuvres à d’autres auteurs (Et si les oeuvres changeaient d'auteur ?). Mais cela fait partie du délire du narrateur, ce ne sont pas des idées que je défendrais dans la réalité !

En revanche, je crois que ces délires, ces rêves ont une fonction de découverte de la littérature. Ils m’intéressent surtout pour leur capacité heuristique. J’essaie de passer par le délire, l’humour, ou également la science-fiction – certains de mes livres sont construits sur des dispositifs de science-fiction comme Demain est écrit –,pour saisir quelque chose de l’expérience littéraire qui serait inaccessible autrement.

A un premier niveau je produis des énoncés absurdes, mais, à un autre niveau, je tente de saisir quelque chose de l’expérience littéraire telle que la vivent de nombreux écrivains. Dans L’Affaire du chien des Baskerville, ainsi, je montre comment à certains moments les écrivains sont trompés par leurs personnages, qui prennent des initiatives, commettent des meurtres à leur insu, etc. C’est complètement idiot, apparemment, et pourtant, beaucoup d’écrivains vous raconteront qu’à certains moments le personnage leur échappe vraiment et devient autonome.

Cela dit, ce que je fais reste globalement dans l’esprit général de la psychanalyse. Je propose une série de nouvelles notions à l’intérieur d’un cadre de réflexion qui continue à privilégier l’enfance, la sexualité… Je suis sans doute plus iconoclaste dans la forme de mes livres, en particulier dans ma tentative de casser les barrières qui existent entre fiction et théorie. J’ai été heureux de voir que certaine de mes livres, repris en collection de poche chez Minuit, l'ont été dans la collection " Double ", celle de fiction, et non pas dans la collection des essais.

Nonfiction.fr - Vous suscitez beaucoup de malentendus...

Pierre Bayard - Effectivement, il y a eu des malentendus à propos de mes livres parce que certains lecteurs n’avaient pas saisi cette dimension de fiction et m’attribuaient des énoncés que je ne défendrais pas personnellement. Par exemple, en Angleterre, Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ? a eu beaucoup de succès et a provoqué des débats dans la presse sur le thème : que se passerait-il si demain on appliquait les théories de Bayard dans l’ensei-gnement secondaire ?

Ces malentendus sont en fait inévitables dès lors que je fabrique en sciences humaines des objets déstabilisants, puisque peuvent coexister sur la même page un énoncé sérieux et autre complètement absurde. Mais ce dispositif textuel, qui implique un lecteur assez malin pour repérer les niveaux de langue, me paraît fécond.


Nonfiction.fr Vous dites que vos livres sont surtout novateurs par la forme. Accordez-vous beaucoup d’importance à la structure de vos livres ?

Pierre Bayard – Pour un écrivain, c’est la forme qui est déterminante. La forme de chaque livre et sa place dans le dispositif d'ensemble de mes livres sont essentielles pour moi. Les décisions que je prends sont toujours des décisions " poétiques " : je pars d’un titre et d’une structure générale avec un nombre de pages déterminé, et parfois même un nombre de paragraphes par chapitre. La façon dont les parties se répondent est aussi très importante. Il peut même m’arriver de changer l'idée que je développais dans un chapitre parce que j’ai besoin d’un paragraphe supplémentaire . A l’intérieur de chaque livre, il y a des constructions, des contraintes que je me donne et qui servent aussi à faire tenir cette énonciation fragile, cette voix du narrateur.

Dans la mesure où je souhaite ne pas écrire que pour les spécialistes de théorie littéraire, j’essaie aussi d’être le plus clair possible, en évitant toute forme de jargon, mais sans faire pour autant de concession du point de vue théorique. J’ai toujours été convaincu qu'il était plus difficile et plus périlleux d’être clair que complexe.

Nonfiction.fr - L’humour est-il un de vos outils pour toucher ce public plus large ?

Pierre Bayard – Oui, mais j’accorde également une grande importance au rythme de mes livres, ce qui n’est pas non plus une question habituelle dans les sciences humaines. J’essaie de faire des livres qui vont vite et où le lecteur soit souvent surpris. C’est la raison pour laquelle j'ai écrit des essais avec une structure policière. J’essaie de capter l’intérêt du lecteur à la première page et de le garder jusqu’à la fin, c’est une préoccupation constante chez moi.

Le simple fait de mettre en place un narrateur paranoïaque m’aide aussi à attirer l’attention du lecteur, car la particularité de la paranoïa est son caractère assez convaincant – des paranoïaques ont transporté des peuples entiers avec leurs délires. A un certain moment, la logique paranoïaque prend le dessus dans mes livres et ceux-ci "s'emballent" pour me conduire à des énoncés proches de la folie.

Nonfiction.frVous dites que vos livres " s’emballent " et pourtant, on peut aussi avoir le sentiment inverse : vous commencez par poser des paradoxes à l’aide de phrases choc, et plus on avance dans le livre, plus vous théorisez, plus les paradoxes se dénouent...

Pierre Bayard – C’est vrai : il y a ce double mouvement. Peu à peu, j’apporte des éléments au moulin de ce qui paraissait au départ être une thèse impossible, et, de ce fait, la thèse se trouve en partie justifiée. Mais il y a tout de même ce processus d'emballement, ce qui est particulièrement visible dans Comment améliorer les œuvres ratées ?, dont la troisième partie évoque les transformations concrètes qu'il serait possible de faire subir aux oeuvres. De la même manière dans Et si les œuvres changeaient d’auteur, où j’étudie L’Etranger de Kafka, Autant en emporte le vent de Tolstoï, L’Ethique de Freud, puis le Cuirassé Potemkine d’Hitchcock et le Cri de Schumann. Très souvent les lecteurs m’ont dit qu’ils n’arrivaient pas à me suivre jusqu’à la fin parce que cela allait trop loin pour eux.

Nonfiction.frVous accordez une grande place à vos exemples dans vos livres. Comment faites-vous pour les trouver ?

Pierre Bayard – Je passe beaucoup de temps à les chercher, car les sujets dont je parle n'existaient pas vraiment avant que je les traite: il n’y a pas de livres théoriques rassemblant des anecdotes sur des gens qui parlent de livres qu'ils n'ont pas lus ! Contrairement au narrateur de Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, je lis énormément. Il m’arrive aussi, en fonction du livre que je prépare, deux ou trois ans à l’avance, de chercher à l'intuition, en me disant que, chez tel auteur, il doit y avoir des exemples exploitables. Puis il y a des coups de chance. Il peut arriver que dans la même journée deux personnes m’apportent des exemples sans le vouloir, alors que j’en cherchais depuis des années. Le plus dur est de trouver des exemples qui soient à la fois théoriquement porteurs et... drôles !


Nonfiction.fr - Vous avez donc une expérience littéraire particulière car vous lisez en écrivain afin de trouver des exemples. N’y a-t-il pas une perte de plaisir à ne plus être naïvement aspiré dans la lecture ?

Pierre Bayard – Je suis toujours dans le livre futur et je cherche en permanence des idées nouvelles. Pourtant, je ne pense pas que le recul et le plaisir soient incompatibles. On peut être à la fois ému par un texte et garder une certaine distance. J’ai un rapport professionnel avec les gens qui écrivent, ce sont pour moi des collègues, même s’ils appartiennent à un autre siècle. Je suis toujours dans un certain rapport d'observation avec eux, demandant parfois en moi-même à l'écrivain : comment vas-tu te sortir de cette situation ?Je ne peux pas me déprendre de cette relation d'analyse et de complicité avec les auteurs que je lis

Propos recueillis par Aïnhoa Jean 

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- Pierre Bayard, Le plagiat par anticipation, par Guillaume Artous-Bouvet 

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