Il est une comparaison commode souvent usitée par les observateurs de la vie politique russe : le régime de Vladimir Poutine ressemblerait à s’y méprendre au système soviétique, autoritaire, vertical et policier. L'universitaire Stephen Holmes tente de nuancer cette approche dans son commentaire du livre de l’ancien correspondant du Guardian en Russie, Luke Harding, publié par la London Review of Books. Ce dernier, refoulé à la frontière russe en février 2011 pour la première fois, prit ce prétexte pour se consacrer à Mafia State : How One Reporter Became an Enemy of the Brutal New Russia, un brûlot contre la politique du premier ministre russe, qui aurait tout simplement fusionné appareil d’Etat et services secrets pour asseoir son autorité. Stephen Holmes met en garde utilement contre la tendance récurrente des observateurs occidentaux, qu’ils soient complaisants ou critiques envers Poutine, à analyser son régime comme une structure militaire hiérarchisée où n’importe quelle décision, notamment dans la répression de l’opposition, exigerait son aval.
A la lecture régulière du Monde, par exemple, on serait tenté de souscrire à cette analyse. Le quotidien ne rappelait-il pas que les journalistes de l’organe d’opposition Novaïa Gazeta avaient dû subir des cyberattaques et un harcèlement permanent au téléphone suite aux élections législatives truquées du 4 décembre ? "Quand les journalistes prenaient le combiné, une voix féminine et suave disait : "Poutine c'est la vie, Poutine c'est la lumière, sans lui, pas de futur !". " Ce type d’initiatives ne peut que relever d’ordres systématiques venues d’en haut. Pourtant, aux yeux de Stephen Holmes, ces procédés, comme la corruption généralisée de l’administration russe, révèlent moins l’autorité que les failles du régime de Poutine. Il ne faut pas oublier que la chute du communisme a permis au FSB de prendre son autonomie vis-à-vis d’un Etat défaillant et incapable de préserver sa centralité.
Les lecteurs de Limonov auront lu avec effarement le récit invraisemblable de la prise de pouvoir de Poutine et de l’entrée de la Russie dans une ère oligarchique soumise au bon vouloir d’une douzaine d’hommes d’affaires aussi riches qu’influents. On découvre en effet dans le livre d’Emmanuel Carrère la visite du milliardaire Boris Berezovsky- aujourd’hui exilé à Londres- à un Vladimir Poutine encore jeune, réputé sérieux mais falot, pour lui proposer de succéder à un Boris Elstine agonisant . Mal lui en prit puisque lorsque Poutine se saisit véritablement du pouvoir en mai 2000 après la démission d'Elstine, il ne tarda pas à déclencher plusieurs enquêtes sur les faces sombres des affaires de Berezovsky jusqu’à le pousser à l’exil. C’est là une illustration parfaite du rapport de forces institué au cœur de l’Etat russe. Les oligarques disposent chacun d’un territoire bien défini leur permettant de mener à bien leurs affaires. Si l’un d’entre eux a l’audace d’empiéter sur celui des autres ou pire, d’entrer dans le jeu politique en se désolidarisant d’un régime garant de cet équilibre, il risque l’enfer judiciaire. C’est d’ailleurs ce qui motiverait la décision de Poutine de briguer un troisième mandat présidentiel le 4 mars prochain. Il sait pertinemment que la perte du pouvoir l’exposerait à des rivaux peu soucieux de protéger ses intérêts à l’avenir. Alors, le système politique mafieux en partie construit par Poutine peut-il être qualifié de néo-soviétique ? Dans ses méthodes, peut-être, dans ses fins, rien n’est moins sûr. La contestation grandissante qui monte de la rue indique quoiqu’il en soit une bataille politique très tendue en 2012
A lire aussi :
- Emmanuel Carrère, Limonov, par Nicolas Aude et Emilio Sciarrino.
- Marine Landrot, "Les écrivains français répondent à l'appel de la toundra russe", Télérama, 6 janvier 2012.