Si le nom de Duras est inévitable, c’est que l’auteure est entrée de toute sa personne dans la mythologie littéraire. Marguerite – Donnadieu de son vrai nom – a tout fait pour mériter le titre d’icône inspiratrice de style littéraire, mais aussi vestimentaire ou culinaire (sa recette de soupe aux poireaux reste un must). Éclipsée par tant d’éclat, son œuvre a été parfois réduite à quelques titres, devenus des poncifs emblématiques. C’est contre une telle simplification abusive que s’insurgent les curateurs de cette édition titanesque, destinée à fournir enfin une vision documentée, philologiquement exacte, et surtout exhaustive de son écriture.

Duras commence à écrire dans les années 1940. Le premier volume de La Pléiade représente sans doute la part la moins explorée, voire obscure de son œuvre. Notamment le premier roman, Les Impudents, qui inaugure la série des romans “américains” et “existentialistes”. La crise des codes conventionnels de la narration romanesque s’affirme pleinement dans Moderato cantabile et dans les romans suivants.

Tout en côtoyant les expériences du Nouveau Roman – auquel l’auteure refusera toujours d’être assimilée – son écriture reste bien reconnaissable par son subjectivisme impérieux, par ses situations cinématographiques et son ton obsessionnel : un style jouant d’une apparente simplicité (voire d’une négligence affectée) mais marqué par une quête de classicisme.

L’édition est richement accompagnée de commentaires et d’un précieux apparat critique qui comporte de nombreux extraits de documents d’archives et autres textes inédits. La genèse de l’œuvre s’en trouve magnifiquement illustrée. Ainsi, l’on pourra voir la mystérieuse Lol V. Stein frayer son chemin à travers les abysses de l’indicible. D’abord écrit sous la forme d’un projet théâtral (1960-1962), Le Ravissement de Lol V. Stein deviendra ainsi le scénario d’un film (1962), avant d’aboutir à la forme romanesque que l’on connaît (1964). De quoi nourrir de nouveaux commentaires fascinés, dans le sillage de la célèbre exégèse lacanienne.

En revanche, la part des vrais inédits à proprement parler reste congrue. Une nouvelle inédite, Les Feuilles, dans le premier volume, fait figure d’exception. C’est une nouvelle période qui s’ouvre pour la lecture de Duras.