Un essai de journalisme scientifique sur la fabrication de la bombe et ses victimes de par le monde.

Dans le bref essai qu’elle consacre à l’histoire de la fabrication de la bombe atomique et à ses victimes, Aleksandra Kroh ramasse de manière élégante les connaissances et informations disponibles sur ce sujet, dont la plupart sont déjà bien connues du grand public.

L’ouvrage s’ouvre par l’évocation d’une nouvelle de H. G. Wells datant de 1914 intitulée "La destruction libératrice", dans laquelle le célèbre auteur de La guerre des mondes et de La machine à explorer le temps met en scène un savant répondant au nom de Holstein qui conçoit la manière de rendre radioactifs les éléments qui ne le sont pas spontanément, et mesure immédiatement les conséquences terribles de sa propre découverte pour l’humanité. Aussi envisage-t-il de la confier à une société secrète de sages qui la transmettraient de génération en génération et ne la dévoileraient que lorsque les hommes seront  prêts à l’exploiter avec discernement. Mais il sait que tous les éléments sont déjà réunis pour que d’autres que lui suivent le même raisonnement et parviennent au même résultat. Malheureusement, l’avenir confirme toutes ses craintes, et il voit les grandes villes de la planète détruites les unes après les autres par des bombes d’un type nouveau, et la survie même de l’humanité est menacée lors de la guerre la plus meurtrière de l’histoire.

Récit étonnamment prophétique, qui contient sous une forme condensée l’histoire réelle de la fabrication de la bombe et de ses conséquences calamiteuses pour l’humanité. Holstein, c’est Szilard, Joliot, Fermi, Einstein. Les grandes villes de la planète ravagées par le nucléaire, c’est Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl. Les victimes innombrables se trouvent aux quatre coins du monde, du désert de Los Alamos à l’atoll de Moruroa.

C’est cette histoire que raconte Aleksandra Kroh dans ce livre de journalisme scientifique écrit à la première personne, qui ménage de temps à autre une place aux confidences autobiographiques. Si la part du lion revient bien sûr aux physiciens dans l’histoire de la bombe atomique au cours du XXe siècle, l’auteure a tout de même soin de ne pas négliger les témoignages littéraires et les visions cinématographiques que l’explosion de la bombe à Hiroshima et, de manière plus générale, la menace d’un embrasement de l’humanité sous l’effet du nucléaire, ont pu susciter – de Pluie noire de Imamura à Docteur Folamour de Kubrick, en passant par Les démons gémissants de Kurosawa.

Regrettons toutefois qu’aucune attention n’ait été accordée aux réflexions que l’angoisse de la bombe atomique ont pu inspirer à quelques-uns des grands penseurs européens de l’époque (Bertrand Russell, Karl Jaspers, Günther Anders), et que la catastrophe de Tchernobyl ne bénéficie d’aucun traitement privilégié de la part de l’auteur, qui ne lui consacre que quelques lignes   sans citer un seul des nombreux livres de témoignages et d’analyses qui nous sont parvenus.