Réflexions personnelles et littéraires, non sur la mort du livre mais sur la mutation de l’écrit grâce au numérique.

* Cet article est accompagné d'un disclaimer. Pour le consulter, cliquez sur le footer situé en dessous. Après le livre a fait l'objet d'une autre critique sur nonfiction.fr

 
 Que n’a-t-on dit de la mort du livre? Depuis quelques années ont fleuri des discours divers, visant à déplorer la mort de ce média, déployant souvent un vocabulaire émotionnel empreint d’une nostalgie toute personnelle pour un temps révolu. La « chaîne du livre » s’organise petit à petit avec une réactivité et des succès inégaux, des éditeurs aux bibliothèques. Au milieu de tout ce petit monde, un homme réfléchit, contribue, discute, partage, travaille. On ne saurait accuser François Bon de n’aimer pas le livre : depuis près de trente ans qu’il écrit des romans, il a publié dans les plus prestigieuses maisons, de Minuit à Verdier. On ne saurait penser que celui qui diffuse la littérature au plus grand nombre à travers de nombreux ateliers d’écritures à destination des étudiants et du grand public oublie tout rapport humain et le cède à un technologisme froid.

Aussi les choses sont-elles rapidement mises au clair : il s’agit pour François Bon de quitter toute approche idéologique ou polémique pour appréhender une mutation ; l’accueillir dans toute sa complexité, mais aussi ses promesses. Cela tombe bien, car ce qui intéresse François Bon n’est peut-être pas le livre, mais bien plutôt la littérature, et la lecture. Il déplace le débat de la mort du livre à la mutation de l’écrit. Le livre n’est alors qu’un moyen d’y donner accès – un moyen privilégié, un moyen auquel deux millénaires d’expérimentations ont donné un lustre nonpareil, mais certainement pas l'unique moyen : les possibilités techniques laissent espérer des essais innovants, des renouvellements, des appréhensions neuves, bref, de ce "nouveau" qu’on est prêt à aller chercher au fond de l’inconnu.

Après le livre prend la forme de courts chapitres de 3 à 5 pages, sans lien direct les uns avec les autres. Ils sont classés selon les thèmes suivants : pratique, technique, biographique, historique, traverses, écrire… et constituent en réalité une suite de textes déjà publiés par François Bon sur son blog. Ce dernier étant devenu son brouillon. Brouillon public où l’écriture se fait partage et donne lieu à commentaire et échanges. Comme il a toujours été le cas dans un petit cercle d’amis ou dans les salons, répondra-t-on.

Alors, bien sûr, il est amusant de voir la machine médiatique se mettre en branle plusieurs mois après la parution de ce livre… lu cet été sur Kindle bien avant de recevoir la version papier du Seuil. François Bon comprend les pratiques des lecteurs d’aujourd’hui et agit pour les prendre en compte et les façonner tout ensemble dans un dialogue permanent. Il connaît aussi les nouvelles pratiques documentaires, littéraires et culturelles des Français devenus internautes. Pas question pour lui d’essayer d’éluder les questions posées par le numérique en tentant d’imposer les anciennes pratiques de l’édition sur papier. Un simple indice de cette prise de position, Après le livre est vendu 3,5 euros sur publie.net (et bien sûr inclus dans les abonnements) ; 18 sur papier.

Ce livre constitue ainsi sa propre démonstration : tout ce qui s’y dit a été expérimenté pour l’écrire, en une mise en abyme constituant la forme en discours. Les multiples chapitres ne sont ainsi que la trace de la "construction rétrospective d’une écriture fragmentée" répondant aux billets de blog dont ils sont issus.

Pour François Bon, une des manières d’appréhender ces mutations et de les aborder en tant qu’histoire puisqu’elles ont déjà plusieurs dizaines d’années. Il le fait à travers son expérience personnelle et évoque son vieil Atari – mais rappelons nous également que feu Michael Hart a créé le Projet Gutenberg en 1971 ! Ce recul historique est l’occasion de s’interroger sur les dispositifs de transmission des corpus dans une société donnée en comparant les Celtes – qui ont refusé l’écriture – aux Romains, aboutissant à une connaissance très lacunaire des premiers, dont la civilisation reste mal connue. Il permet surtout de rappeler qu’un texte n’existe pas en soi, un livre encore moins : il est toujours historiquement construit et représenté. Rien de surprenant à ce que l’histoire soit si présente dans le livre de François Bon. Car il convient de bien comprendre d’où l’on vient pour savoir on l’on va… et faire les distinctions entre ce qui est inhérent au texte et ce qui est socialement imposé. Il rappelle que bien des éléments de notre littérature sont à l’origine étrangers au livre en tant qu’objet. Aucun des grands écrivains du Grand Siècle ne se seraient définis comme "écrivain" et Mme de Sévigné n’imaginait même pas que ses lettres personnelles puissent être publiées en volume. Cette distinction contenu/contenant ou écrit/forme le pousse à penser que la littérature ne sera nullement remise en cause par les évolutions actuelles. Ce qui change est bien plutôt le rapport au texte et notamment la disparition progressive entre lire et écrire, entre brouillon et texte définitif (et là encore, ce livre est son propre exemple puisque des nouvelles éditions sont sans cesse mises en ligne au fur et à mesure de la correction des coquilles ou des petits changements de texte). Enfin, entre auteur et lecteur puisque tout le monde se retrouve dans les commentaires afin de co-construire la littérature d’aujourd’hui.

La profusion de textes disponibles sur le blog de l'auteur renforce l’idée qu’Internet, bien loin de tuer l’écrit, est son  plus beau royaume. Mais un royaume où les règles du jeu évoluent un peu – juste ce qu’il faut pour renouveler la littérature actuelle. À ceux qui se cachent derrière une prétendue technicité pour éviter de se poser les questions induites par ces nouvelles pratiques, François Bon répond "Non, l’usage du web, pas plus que celui de la cafetière électrique, n’est réservé aux techniciens".

Il ne se fait pas prophète mais nous parle de la vie quotidienne d’un écrivain – qui se passe à moitié sur écran, à moitié IRL   – proche de celle de chacun d’entre nous. D’une vie qui accueille tous les possibles avec une avidité gourmande, pleine de curiosité intellectuelle et non sans sens critique. Cette lucidité rassure, tandis que cette juvénile envie de réinventer sans cesse le monde à travers l’écriture fait plaisir à voir