Une réédition de l'ouvrage de référence sur l'impact de la théorie de l'évolution sur les sciences et les sciences humaines.

Il y a de cela presque deux ans, j’avais fait la recension de la somme impressionnante sur la théorie de l’évolution que représentait le volume intitulé Les Mondes Darwiniens. Un peu plus d’un an plus tard, l’ouvrage était épuisé en librairie mais la maison d’édition n’a pas souhaité procéder à un retirage. C’est donc aux Editions Materiologiques qu’est publiée la nouvelle édition de cette véritable "bible du darwinisme" (au format électronique uniquement).

De la première édition à la seconde, l’ouvrage a perdu quatre chapitres, mais en gagné trois nouveaux, non dépourvus d’intérêts :

*Le chapitre 15, signé par Antonine Nicoglou et intitulé "La plasticité phénotypique : de la microévolution à la macroévolution". Commençant par retracer l’histoire du concept de plasticité phénotypique (du XVIIe siècle à nos jours), Nicoglou en distingue une version dynamique (ou aristotélicienne), dans laquelle la plasticité est une force interne au vivant, guidant son organisation, et une version darwinienne, plus passive, dans laquelle la plasticité est la capacité d’un organisme à réagir aux conditions extérieures en adoptant différents phénotypes. Nicoglou montre ensuite comment les théories darwiniennes ont longtemps favorisé cette dernière conception avant un retour en grâce de la première, qui jouerait le rôle d’explanans là où la seconde jouerait le rôle d’explanandum. Ce faisant, l’article détaille en profondeur le rôle de concept dans l’étude de la micro- et de la macroévolution.

*Dans le chapitre 37, Pierrick Bourrat passe en revue les différentes théories visant à expliquer le phénomène religieux à partir de la théorie de l’évolution. Ces théories peuvent prendre les formes les plus différentes : certaines considèrent que le phénomène religieux n’est qu’un sous-produit de l’évolution (par exemple, un effet de notre tendance à voir des agents partout), tandis que d’autres trouvent une fonction adaptative (par exemple parce qu’un comportement religieux constituerait un signal permettant d’indiquer aux autres que l’on est un bon coopérateur, parce que l’on a peur d’être puni en cas de défection). Ces dernières peuvent être divisées à leur tour entre celles qui considèrent la religion comme un avantage pour l’individu (ou plus spécifiquement pour un certain gène) et celles qui y voient un avantage pour le groupe (sélection de groupe). Selon Bourrat, ces multiples explications ne sont pas contradictoires et peuvent même être considérées comme expliquant des niveaux différents : il se peut que le comportement religieux apparaissent comme sous-produit puis soit sélectionné pour l’avantage qu’il procure à certains individus ou certains groupes.

*La première édition des mondes darwiniens se terminait sur un hommage à la philosophe Marie-Claude Lorne, décédée en 2008. La présente édition poursuit l’hommage en publiant à titre posthume un article de Marie-Claude Lorne présentant un examen critique de la tentative de naturalisation de l’intentionnalité par le philosophe Fred Dretske ("La naturalisation de l’intentionnalité : approche et critique de la théorie de Fred Dretske"). Ce chapitre vient adéquatement compléter le chapitre déjà consacré à la téléosémantique, en montrant comment la théorie de Dretske achoppe sur un certain nombre de points, comme l’écart entre ce qu’un système à pour fonction d’indiquer et le type d’informations auxquelles il est sensible, et la connexion entre représentation et action.

Au final, on ne peut que se réjouir que cet ouvrage de référence soit à nouveau accessible aux lecteurs curieux de prendre la mesure de la richesse des apports de la théorie de l’évolution. Le passage à l'édition électronique permet à l'ouvrage de s'orner de couleurs rendant les schémas plus lisibles et de somptueuses photos présentant la richesse du monde animal, et donc de l'évolution