Les conséquences redoutables des effets indésirables des traitements antiparkinsoniens face à l’omerta de l’ensemble des acteurs de la santé.
L’ouvrage "Sexe et addictions sur ordonnance" d’Antoine Béguin, maître de conférences et avocat, s’attaque à un sujet difficile, les effets indésirables liés à des médicaments dans le cadre de la maladie de Parkinson, avec cette volonté d’être accessible à tous (patients, usagers, juristes, médecins, acteurs du système de santé…).
L’intitulé quelque peu racoleur et expéditif tranche avec le sous-titre plus sérieux et alarmant "Après le Mediator®, un nouveau scandale sanitaire". D’ailleurs, la préface signée par Irène Frachon, médecin opiniâtre à l’origine de l’affaire du Mediator®, remet cette affaire en perspective en pleine réforme du médicament. A chaque crise, les mêmes maux, alors pourquoi ne pas tenter un seul et même remède ? Surtout, l’expression "David contre Goliath" s’impose d’emblée quand on décide de s’attaquer non seulement à un laboratoire pharmaceutique, mais aussi plus largement aux acteurs du système de santé.
L’ouvrage débute par la première victoire de cet avocat, à savoir le jugement du Tribunal de Grande Instance de Nantes de mars 2011 accordant pour la première fois réparation à une victime d’effets indésirables d’un médicament antiparkinsonien (de 2003 à 2005). Les juges du fond reconnaissent en effet le caractère défectueux du médicament en cause (alors que ses effets indésirables étaient connus lors de la prescription au patient, ils n’apparaissaient pas clairement dans la notice d’information) et donc la responsabilité du laboratoire fabricant. Même si ce chapitre est truffé d’anecdotes plus ou moins cocasses, cet épisode lui permet d’introduire son sujet aussi délicat soit-il. Comment un médicament peut-il conduire à des déviances sexuelles et à une addiction aux jeux, la réaction première étant souvent le scepticisme ? Si le cas de Didier J. est emblématique, de nombreux témoignages identiques affluent au sujet de "ce traitement qui rend fou".
Bien que l’auteur annonce préférer "raconter des trajectoires de vie de patients touchés par le médicament … plutôt que d’entrer dans le descriptif médical déshumanisé » (p. 28), il est toutefois amené à expliquer comment un médicament peut entraîner de tels effets (p. 31-34). A titre de rappel, la maladie de Parkinson, maladie neuro-dégénérative, atteint la régulation de l’initiation du mouvement volontaire et de l’automatisme de certains mouvements (tremblements au repos, raideurs musculaires et lenteur des mouvements). Comme il n’existe pas de traitement curatif de la maladie, le traitement a donc pour but de corriger les symptômes du patient, principalement les symptômes moteurs. Ces traitements sont composés d’agonistes dopaminergiques (ils stimulent les récepteurs de la dopamine dans le cerveau augmentant la neurotransmission dopaminergique) et/ou de levodopa (molécule directement transformée en dopamine). La levodopa entraîne à terme des complications motrices, parfois sévères, notamment les dyskinésies (mouvements anormaux, brusques et involontaires) et blocages. C’est la raison pour laquelle les agonistes dopaminergiques (tels que la ropinirole...) sont aujourd’hui prescrits en première intention chez le parkinsonien jeune même s’ils ont une efficacité habituellement moindre que celle de la levodopa.
Ces traitements (la levodopa y compris même si c’est moins fréquent) peuvent cependant entraîner des troubles comportementaux, notamment en cas de dosage élevé. Les plus fréquents sont le jeu pathologique, les achats compulsifs, le "punding" (comportement répétitif sans but), les troubles alimentaires, l’hypersexualité (et non l’augmentation de la libido comme l’indiquent les notices d’information), la paraphilie (déviances sexuelles …) et peuvent se cumuler avec des conséquences dévastatrices tant sociales que financières avec d’éventuelles conséquences au pénal (exhibition, viol, pédophilie, détournement de fonds..).
Au-delà des troubles du contrôle des impulsions, l’"addiction au traitement dopaminergique entraîne alors une véritable dépendance au traitement avec son cortège d’irritabilité, de comportements violents, voire de délire paranoïaque" (p. 41). "La littérature médicale s’est aperçue très tôt d’une coïncidence chronologique entre les traitements par agoniste et la survenances des troubles" (p. 41). Environ 13,6% des patients parkinsoniens peuvent être concernés, et environ 5000 personnes peuvent potentiellement "présenter des troubles sexuels secondaires à leur traitement, avec des conséquences médico-légales évidentes" (p. 42). Des tribunaux ont d’ailleurs déjà reconnu des cas d’irresponsabilité, la personnalité ayant été en totalité ou partiellement abolie par le traitement (p. 46).
Ces effets indésirables sont généralement réversibles après réajustement thérapeutique ou changement de traitement. Pourtant, la situation a perduré. L’auteur a donc analysé le rôle de chacun des acteurs (le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK), les autorités de santé telles que l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), les experts, les neurologues) et n’a pu que constater leurs carences, défaillances volontaires ou tacites.
Les laboratoires ou la force du lobby pharmaceutique
"Ne rien dire, ne rien faire, ne rien entendre" a été l’approche retenue par les laboratoires. L’auteur le démontre à travers l’exemple du médicament attaqué, le REQUIP® et l’évolution chaotique depuis son autorisation de mise sur le marché en 1996, tant de sa notice d’information que de son RCP (Résumé des Caractéristiques du Produit) consultable dans le Vidal (p. 47). Ces deux sources d’informations rédigées par les laboratoires et soumises à l’approbation de l’AFSSAPS doivent en principe contenir les effets indésirables. Pourtant, de 1996 à 2006, elles ne contiennent ni les cas d’addictions au jeu, ni les achats compulsifs, ni les troubles d’hypersexualité. En 2003, GSK a bien ajouté la mention "augmentation de la libido" (et non celle plus explicite « d’un risque de comportement sexuel inapproprié voire déviant" (p. 51) ) avec cette précision que l’effet est "peu fréquent" (p. 50). L’auteur s’étonne tant du choix des termes jouant sur l’ambiguïté que de l’attitude de l’AFSSAPS qui entérine la décision au terme d’un délai de 6 mois sans vérification préalable. Cette dernière fera de même pour entériner les demandes de GSK de mentionner le "jeu pathologique" (p. 52) en 2006, d’une part, et d’une mention commune à l’ensemble de la classe des agonistes dopaminergiques portant sur "les troubles du contrôle des impulsions incluant le jeu pathologique et l’hypersexualité, et une augmentation de la libido" suite à l’avis de juillet 2006 de l’Agence Européenne du Médicament, d’autre part. En outre, l’auteur constate, non seulement l’utilisation du même procédé pour les autres médicaments de cette classe de produits (Sifrol®, Ardatrel®), mais également les éventuelles incohérences desdites notices (tels des effets indésirables et des fréquences chiffrées différents alors que la molécule (ropinirole) est toujours la même, des libellés différents pour des effets indésirables identiques) (p. 57-59). Antoine Béguin dénonce ainsi le choix délibéré des laboratoires du manque de clarté de l’information pour le patient (p. 60-61).
Bien que le laboratoire GSK finisse par reconnaître lesdits effets en 2006 (p. 62), il développe les deux axes de défense suivants lors de son procès devant le TGI de Nantes. D’abord, s’il reconnaît avoir eu connaissance de la littérature médicale mentionnant les cas d’addiction et de compulsion dans le traitement de la maladie de Parkinson, il estime que cette information ne reflétait pas "l’état des connaissances scientifiques", autrement dit "le consensus de la communauté scientifique", justifiant l’obligation d’information due par les laboratoires aux patients. Les juges ne retiennent pas cette argumentation (pp. 64-66) défavorable au patient, sur qui pèse cependant la charge de la preuve de démontrer le défaut d’information. Il convient toutefois de préciser qu’en l’espèce, la conférence de consensus dans la maladie de parkinson souhaitée par le laboratoire existe. L’auteur relève non sans ironie que le laboratoire fournit dans sa défense ( ! ), cette conférence de consensus de 2000, qui indique de surcroît parmi les troubles associés au traitement antiparkinsonien par agoniste dopaminergique l’« hypersexualité".
En outre, le laboratoire justifie le décalage dans la mise à jour des notices par le fait que sa molécule (ropinirole) appartenant pourtant à la classe des agonistes dopaminergiques, prescrite seule échappe (c’est-à-dire en l’absence de combinaison avec un autre agoniste) à cet effet. Pourtant quelques doutes avaient été émis en 2001 dans la littérature médicale (p. 69) et l’AFSSAPS a d’ailleurs reconnu en 2009 ces effets dits "de classe" (p. 70).
Cherchant à répondre clairement à la question suivante "Que savaient réellement les labos ?", l’auteur a consulté les bases de données médicales et les ouvrages de référence afin de démontrer que la littérature médicale étrangère et française était très claire. Des spécialistes ont attiré l’attention sur ces phénomènes d’addiction et de compulsion : dès 1974 pour la levodopa et 1983 pour les agonistes dopaminergiques s’agissant de l’hypersexualité (thèse sérieusement confirmée en 1989, 1991) et dès 2000 s’agissant du jeu pathologique. Ces articles insistaient déjà sur la nécessité d’informer les patients de ces éventuels effets indésirables. Mais le laboratoire GSK n’a rien fait en ce sens, alors même qu’il avait lui-même répertorié de tels effets lors de ses essais cliniques (p. 90), choisissant de les minimiser au maximum. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune autorité de santé ne l’a arrêté.
L’AFSSAPS ou l’inertie administrative
S’il existe un système de pharmacovigilance (c’est-à-dire un système de surveillance des médicaments) en France, force est de constater qu’il est faillible comme l’a déjà démontré avec acuité l’affaire du Mediator® (et le rapport des professeurs Debré et Even qui a suivi) et comme le démontre aujourd’hui l’affaire des agonistes dopaminergiques. Plusieurs facteurs expliquent les failles du système : d’abord la méthode de collecte des informations sur les effets indésirables qui suppose que les professionnels de santé les notifient. On sait aujourd’hui que cette méthode a échoué. En outre, même si une petite association de patients habilitée a bien essayé de procéder à ces notifications, l’AFSSAPS ne les a finalement pas retenues alors même qu’elle en avait connaissance, sous-estimant clairement le nombre de cas.
Cette inertie trouve une de ses explications dans le financement de cette agence, qui dépendait jusqu’à récemment à 80% des laboratoires, d’où des conflits d’intérêts indéniables, qui ne sont par ailleurs jamais sanctionnés (p. 121). Aussi, la première alerte de l’AFSSAPS date-t-elle seulement de juillet 2009 sous la forme d’une lettre aux professionnels de santé. Une autre explication réside dans le rôle des experts de cette autorité. Prenant l’exemple de l’expert choisi pour l’étude privée de GSK dans le cadre de l’affaire Didier J. pour démontrer l’utilité du Requip® (expertise dont l’opportunité pose déjà question en soi), Antoine Béguin explique à travers une démonstration percutante les multiples fonctions de cet expert "hyperactif" (p. 118) (professeur, expert pour les tribunaux, expert pour les laboratoires, membre d’une commission d’Autorisation de mise sur le marché de l’AFSSAPS concernant ledit médicament, expert à la CRCI toujours sur ce médicament) alors même qu’il ne déclare aucun conflit d’intérêt, et ses méthodes peu scrupuleuses en faveur du laboratoire (p. 112, 115). Pourquoi une telle pression dans cette affaire, alors qu’il n’est pas demandé le retrait du Requip® mais la réparation des préjudices subis ? Tout simplement, parce que les laboratoires redoutent en cas de service médical rendu faible, un taux de remboursement du médicament moindre ou supprimé avec, à la clé, une chute du nombre des prescriptions (p. 112-114).
Ce n’est qu’avec le fort retentissement de l’affaire du Mediator® que l’AFSSAPS a décidé de placer la classe des agonistes dopaminergiques en surveillance renforcée depuis mars 2011 et de favoriser l’information des patients parkinsoniens en juillet 2011.
De même, le silence de l’association France Parkinson s’explique par le montant des subventions versées par les laboratoires.
Les neurologues ou le déni
L’auteur pose une autre question gênante : "Les neurologues ont-ils fait leur boulot ?" (p. 125). Normalement, en tant que prescripteurs, ils sont soumis à une obligation d’information (article 35 du Code de Déontologie et article L. 1111-2 du Code de la santé publique). Mais quel est le degré de cette obligation ? Deux conceptions s’affrontent. L’une passive : délivrer les informations inscrites dans la notice du médicament et dans le Vidal (p. 127), l’autre active, supposant une formation continue du professionnel de santé (p. 129). L’auteur indique que la réponse à cette question devant un juge est l’objet de querelles d’experts, qui finissent cependant souvent par donner raison au professionnel de santé. A travers deux exemples concernant notre thématique, la confraternité est indéniable malgré une littérature française depuis une vingtaine d’années devenue très précise depuis l’année 2000 sur lesdits effets indésirables. D’ailleurs, et c’est là un autre paradoxe, les effets indésirables sont encore étonnamment souvent éludés lors des consultations de nos jours, malgré cette littérature médicale abondante, la mention dans les notices d’information des médicaments concernés depuis 2006 et les recommandations de l’AFSSAPS de juillet 2009.
Pourtant la solution est simple : prévenir le patient de possibles changements de comportement et agir en conséquence (p. 134). Il est d’ailleurs regrettable que l’auteur n’évoque pas l’absence d’instruments juridiques efficaces à destination des familles pour se faire entendre du corps médical afin d’éviter des conséquences désastreuses (inefficacité des mesures juridiques actuelles de protection des personnes majeures et celles tenant aux soins).
En outre, bien qu’à aucun moment, Antoine Béguin ne commente le jugement du TGI de Nantes, le laboratoire ayant fait appel, son analyse démontre qu’il est en désaccord avec la position des juges du fond sur l’irresponsabilité du neurologue de Didier J. Rappelons que celui-ci n’a, à aucun moment, informé son patient des effets indésirables, d’une part, et a continué à lui prescrire ledit médicament en dépit des effets rencontrés, d’autre part. Confirmer cette solution contribuerait à ne pas encourager les médecins à dénoncer lesdits effets indésirables, redoutables en l’espèce et à faire peser sur le patient une obligation d’informer le médecin alors même que ce dernier ne l’a averti à aucun moment de la survenance potentielle de troubles.
Les patients victimes, le parcours du combattant
L’auteur profite de l’occasion pour évaluer notre système de réparation des préjudices des victimes d’effets indésirables de leur traitement. Une victime dispose de deux voies de recours pour se retourner contre un laboratoire ou un professionnel de santé. D’abord, il existe la voie amiable depuis la loi Kouchner de 2002 devant les Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI) censées faciliter l’indemnisation des préjudices sous réserve de conditions de recevabilité. Si cette procédure évite des frais de justice au patient et rend une décision dans un délai raisonnable, elle n’en est pas moins critiquable, l’équilibre des armes étant difficilement préservé (avec la question récurrente de l’expertise), les avis de la Commission n’engageant en rien le professionnel de santé mis en cause (p. 142) ou l’ONIAM, et n’ayant aucune valeur en justice (p. 143). Confrontée à ces limites, la victime Didier J. n’a d’ailleurs pas eu d’autres alternatives que d’emprunter la seconde voie, certes plus longue, qui s’offrait à lui : la voie contentieuse avec la charge de démontrer le défaut de sécurité du produit (p. 147) tout en prenant le risque d’être une nouvelle fois confronté à l’absence de neutralité de l’expert. Pour remédier à ces obstacles, Antoine Béguin propose des solutions, telles les plaintes collectives et les dommages et intérêts punitifs inspirées du modèle anglo-saxon (p. 151), alternatives à explorer dans le contexte actuel. D’autant plus que le jugement du TGI est doublement limité. D’abord, parce qu’il se cantonne à la défectuosité du produit pour défaut d’indication des effets indésirables dans la notice d’information. Or désormais ces effets sont mentionnés, pourtant les descentes aux enfers persistent. En outre, la responsabilité du fait des produits défectueux n’est pas toujours applicable. Et l’auteur de proposer d’autres alternatives en faveur des victimes.
Suite au scandale du Mediator®, une réforme du système du médicament est en cours avec trois axes principaux : lutter contre les conflits d’intérêts et favoriser la transparence des décisions, accorder systématiquement le bénéfice du doute systématique au patient, renforcer la pharmacovigilance. Pour ce faire, l’AFSSAPS doit être transformée en Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des instruments de réaction rapide lors de crise sanitaire seront créés. Déjà, les patients et associations de patients ont la faculté de procéder à la notification d’effets d’indésirables. Encore faut-il savoir quelles conséquences vont en découler ?
Le chemin sera forcément sinueux et long à l’image du combat mené par Jacqueline Houdayer, rédactrice de la postface. La présidente de la CADUS, association de Conseil, Aide et Défense des Usagers de la Santé, est l’une des premières personnes à avoir joué un rôle dans la reconnaissance des effets indésirables des agonistes dopaminergiques et corrélativement la réparation des victimes.
Il convient d’indiquer que les annexes sont fort utiles pour évaluer l’action récente de l’AFSSAPS (Lettre de l’AFSSAPS aux professionnels de santé : Levodopa, agonistes dopaminergiques et troubles du contrôle des impulsions, 29 juillet 2009, Communiqué de presse de l’AFSSAPS du 11 avril 2011, Dépliant sur les médicaments dopaminergiques à l’attention des patients.)
La maladie de Parkinson étant la seconde maladie neuro-dégénérative après la maladie d’Alzheimer, il est à espérer que l’ouvrage d’Antoine Béguin trouve l’écho qu’il mérite, notamment dans un contexte de réforme du médicament où la question de la sécurité sanitaire se pose avec acuité