Salomé Benhamou est membre du cabinet du Président du groupe socialiste à la Région d'Île-de-France et auteure de Un Parlement sans légitimité ? Visions et pratiques du Parlement européen par les socialistes français de 1957 à 2008 (L’Harmattan). Elle analyse ici les raisons de la disparition de l’Europe des discours des candidats à la primaire et rappelle la centralité de cette question trop souvent occultée.

Lors du premier débat télévisé entre les six candidats aux primaires citoyennes sur France 2 le 15 septembre dernier, aucun d’entre eux n’a fait part de son projet européen. Ce silence est d’autant plus assourdissant au regard de la crise dont on sait que la solution ne pourra être qu’européenne. Dans ce contexte, une campagne présidentielle où l’Europe ne tient pas une place majeure est donc une campagne bancale. Pourtant le PS, même face à ces injonctions de taille, ne parle pas d’Europe ? Pourquoi ?

La peur du bilan ?


Le parti socialiste, quand il était au pouvoir, n’a pas su impulser une nouvelle dynamique et une autre gouvernance européenne.

C’est le cas des années Jospin (1997-2002) durant lesquelles onze des quinze pays européens étaient gouvernés par des socialistes. Si le PS français gagne les élections européennes de 1999, les socialistes européens perdent la majorité au Parlement européen acquise depuis 1977. Par ailleurs, à l’occasion des négociations qui ont mené au traité de Nice signé en 2001, Lionel Jospin n’a pas considéré les propositions du ministre allemand des Affaires étrangères, Joshka Fisher, qui proposait d’aller plus loin dans la constitution d’une Europe politique avec une avant-garde et des réalités plus fédérales – le traité de Nice confirmant le fonctionnement intergouvernemental de l’Europe.

Sans doute, Lionel Jospin s’est interdit de penser la politique européenne des autres partis de gauche en Europe, sans doute aussi a-t-il manqué d’une vision européenne. Quoi qu’il en soit, au-delà des espoirs suscités,  c’est à cette période que l’on réalise combien plusieurs politiques de gauche ne font pas une politique européenne.

Plus globalement, le parti ne fait pas de l’Europe une question prioritaire. Il consacre d’ailleurs très peu de permanents à ces questions, à Paris comme à Bruxelles, contrairement à des partis réputés moins européens que lui, comme le Parti travailliste britannique. Il appartient au parti socialiste européen (PSE) et a co-rédigé le Manifesto, programme électoral de tous les partis socialistes européens, en vue des élections européennes de 2009. Pour autant, il n’a pas fait campagne sur la base de ce document commun et il reste un acteur "à part" au sein du PSE.

La peur des divisions internes ?

La question européenne fait débat au sein du PS et ce depuis toujours. Le PS n’a pas dépassé dans ses positionnements deux ambiguïtés originelles. D’une part, faut-il d’abord construire le socialisme en France ou privilégier l’ancrage européen du pays ? D’autre part, l’Europe que les socialistes souhaitent sociale s’est construite sur des bases libérales.

C’est d’ailleurs sur ces lignes de fracture que le parti se divise en 2005 à l’occasion du référendum sur le traité constitutionnel. En effet, malgré la victoire du "oui" lors du référendum interne organisé au sein du PS en décembre 2004, certains dirigeants décident de faire campagne officiellement pour le "non" – qui l’emporte au niveau national et chez les militants socialistes – aux dépens de l’unité du parti dont l’exercice démocratique est alors mis à mal. 2005 a fait de la question européenne une question tabou au sein du PS où les divisions sont encore présentes.

La peur de la confrontation au projet ?

Les orientations européennes fixées dans le projet du parti socialiste sont consensuelles : elles s’inscrivent dans la lignée des positions prises jusqu’alors par le parti qui réaffirme notamment sa volonté de faire l’Europe politique en renforçant le rôle du Parlement européen. Le PS souhaite que l’union monétaire prenne sens en la dotant d’un gouvernement économique et en l’accompagnant d’une harmonisation sociale. Pour cela, l’Europe doit être dotée de ressources nouvelles et des coopérations renforcées doivent être rendues possibles. Ainsi, comme depuis cinquante ans, le programme du PS est ambitieux pour l’Europe. Mais de retour au pouvoir, quelle sera sa capacité à s’engager autour de ses options ?

Il peut y avoir un doute car le PS, quand il était en position de décideur,  a mis en veille une partie importante de son idéologie ; et ceci notamment du fait que, en France comme en Europe, il s’est assez bien accommodé des modèles de gouvernance déjà en place (5ème République et  pouvoir aux chefs d’Etat et de gouvernement).

Des pistes pour rompre le silence

Le PSE est un réel outil politique : le PS doit donc s’y inscrire pleinement et porter la construction de l’Europe politique en son sein. Il doit pouvoir expliquer la complexité des prises de décision en Europe : certes, si la majorité des Etats est à droite, le PS ne pourra pas peser comme il le souhaite sur la question européenne. Cependant, les positionnements au niveau européen dépassent les clivages politiques et dépendent largement des traditions nationales. L’équilibre est fragile actuellement et l’arrivée de la gauche européenne au pouvoir est possible.

C’est pour toutes ces raisons que seule une réelle détermination politique permettra de reprendre la voie de la construction politique de l’Europe. Pour cela, le PS doit accepter de renoncer à certaines prérogatives nationales, même si cela signifie "déléguer" une partie du pouvoir que l’on a pourtant tant attendu.

Enfin, pour faire face aux tendances au repli sur soi à l’œuvre en temps de crise, l’Europe peut être une vraie réponse citoyenne et de gauche sur laquelle le PS peut s’appuyer pour construire un projet de société. Seule la décision de porter un projet européen qui dépasse enfin les différents tabous évoqués ici permettra au PS de donner sens à son projet pour la France.

Espérons donc que les candidats aux primaires seront au rendez-vous avec l’Europe lors du  débat ce soir !