Un livre passionnant, riche en photographies et analyses sur les contextes socio-culturels du développement architectural de Paris.

Après son Paris contemporain   consacré au Paris d’Haussmann à nos jours, Simon Texier, maître de conférence en Histoire de l’art à la Sorbonne, poursuit et complète son exploration des transformations urbaines de la capitale, dans une passionnante Grammaire de l’architecture des XXe et XXIe siècles. Progressant de la ville vers l’architecture dans le premier ouvrage, l’auteur part ici de l’objet architectural - qu’il donne à voir à travers d’abondantes images d’archive et de photographies récentes - pour en dégager sa dimension urbanistique avec un constat : celui de la multiplicité des modes de construction et de la diversité des formes architecturales.

A travers les bâtiments incontournables comme les constructions méconnues de notre époque, tant ils sont importants en nombre - l’auteur rappelle à juste titre que la capitale "compte davantage de mètres carrés logés dans les architectures du XXe siècle que dans celles héritées de tous les autres siècles confondus" ! -, Simon Texier met au jour une architecture qui s’est construite sur le refus plus ou moins assumé de la ville traditionnelle du XIXe siècle, de sa rigueur et de son classicisme haussmanniens notamment, et ce malgré la forme même de Paris qui n’a quasiment pas évolué depuis l’enceinte de Thiers en 1860…


Parcours dans la "plus belle ville du monde"

À travers sept chapitres chronologiques combinant monographie d’un édifice de grande échelle, portrait croisé de deux architectes et synthèse des influences étrangères, l’auteur parvient, grâce à cette approche pluri-thématique, à épouser un Paris architectural foisonnant et éclectique. Au final, un vaste panorama qui offre, plus qu’un simple guide de constructions notoires, un regard sur l’architecture elle-même, incarnée et rendue "visible" par l’extraordinaire variété des façades des bâtiments auxquelles l’auteur fait la part belle, la mosaïque présentée en couverture de l’ouvrage en illustrant parfaitement la démonstration. Enveloppe "extérieure" plus ou moins ornée, structurelle ou "consubstantielle", tour à tour sobre, pittoresque, légère, transparente, brute, épaisse, monumentale, voire "épidermique"… Qu’elle soit de pierre - garante de qualité et de pérennité -, de béton, de métal ou de verre, la façade, qui peut être aussi végétale – affichant par là son côté éphémère, fragile et périssable, mais, fait remarquable, renouvelable au gré des saisons ! -, s’exhibe pour elle-même avant d’appartenir au tout qu’est le tissu urbain.

Cette plongée visuelle s’effectue dans un contexte politique et culturel conservateur, qui tente tout au long du siècle d’isoler la capitale de sa périphérie et notamment de ses banlieues dites "rouges". Il faut attendre 2004 pour qu’un "grand Paris" symbolique ne naisse avec la reconversion en Centre national de la danse de l’ancien Centre administratif de Pantin, racheté par le ministère de la Culture pour un franc symbolique en 1999. Car depuis les années 60, la périphérie mais aussi les villes nouvelles, moyennes et les métropoles régionales abritent les laboratoires de l’architecture d’aujourd’hui. Décentralisée et décomplexée, la profession profite de ce vent de liberté nouveau pour s’exprimer à travers des constructions de plus en plus audacieuses.

Que faire de cette fantastique production aussi diverse qu’abondante ? La question, complexe, de la "patrimonialisation" de cet héritage est posée. Comment préserver ou faire revivre ces bâtiments auxquels on - l’Etat, le public ? - attribue une valeur particulière ? Un important et nécessaire travail de discrimination a déjà mené à la protection de 300 bâtiments du XXe siècle représentant 30 % du total des bâtiments préservés. Trier, sélectionner pour faire surgir du sens, tel semble être l’enjeu de notre siècle : "L’architecture des décennies à venir doit désormais traduire les remous et les ruptures du XXe siècle, non les occulter ni en susciter de nouveaux ; elle doit donner du sens à ce qui a, trop longtemps, paru n’en avoir pas. Aussi Paris ne demeurera-t-il contemporain que s’il tire sa force d’un certain désordre : celui dont il a hérité".


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crédit photo : deneux_jacques/flickr.com