"La primaire ne sera utile que s’il y a des débats de fond" : voilà ce que déclarait Manuel Valls dans Le Figaro du 27 juillet. Et pourtant, la très discutée primaire socialiste n’a pas encore donné l’occasion aux candidats de débattre du "fond". Pourquoi ?
Deux principales raisons semblent se dégager.
La première est la difficulté qu’ont les aspirants présidentiels à tenir leur position respective, tout en gravitant autour d’un programme commun. Le flou de certaines des 30 propositions du Parti socialiste devrait permettre une interprétation relativement libre, autorisant chaque candidat à proposer ses propres chemins pour arriver aux mêmes résultats. "Remettre l’hôpital public au cœur du système" , "Limiter les rémunérations abusives" , "Développer l’enseignement et l’accès à la culture" : autant de déclarations qui laissent aux candidats une marge suffisante d’interprétation et de mise en œuvre. Voilà pour la théorie.
"Ce qui nous unit…"
Dans la pratique, les choses sont quelque peu différentes. L’on sent bien que des différences existent entre les candidats : François Hollande a tout de suite pris le parti de miser sur la rigueur budgétaire et l’allègement de la dette, un programme qui a fini par rallier certains des lieutenants de DSK. Martine Aubry, elle, défend le programme commun et parie sur la culture. Arnaud Montebourg continue à porter le concept de "démondialisation", que Manuel Valls a qualifié de "ringard et réactionnaire". Ségolène Royal et lui ont par ailleurs proposé un grand pacte républicain s’étendant de la gauche républicaine aux villepinistes.
Les différences sont là, mais les candidats ont du mal à les faire valoir, eux qui martèlent depuis plusieurs semaines que ce qui les unit est plus fort que ce qui les sépare. C’est là toute la difficulté de cette primaire : Il faut des divergences pour créer du débat, mais pas trop importantes pour que le futur ralliement des candidats perdants soit crédible. Le résultat est pour le moins mitigé : si les plus petits candidats (Montebourg, Valls et Baylet) n’ont pas trop de mal à prendre leurs distances avec le programme du PS, l’exercice est plus difficile pour les autres. Ségolène Royal y parvient avec plus d’aisance. La candidate malheureuse de 2007 n’a cessé, depuis, de faire cavalier seul, ce qui lui a permis d’obtenir une assise populaire et politique hors cadre PS, et de porter ses revendications propres.
François Hollande et Martine Aubry sont davantage empêtrés dans ce numéro d’équilibrisme politique, positionnés en tête des sondages et tous les deux investis d’une double responsabilité : faire une primaire utile, sans fournir d’armes à la droite. En d’autres termes : débattre sans trop débattre.
Hollande, Aubry et l’effet "bandwagon"
C’est là la deuxième raison de l’enlisement de cette primaire : la médiatisation inévitable de l’évènement. Inévitable, et somme toute souhaitable, car ne pas parler de la primaire reviendrait à en faire un moment politique consacré aux seuls sympathisants PS. Mais cette médiatisation fausse également le jeu démocratique. Les candidats les mieux placés bénéficient d’une couverture médiatique plus importante, ce qui alimente leur popularité selon l’effet "bandwagon" bien connu en sciences sociales : plus on parle d’eux, plus ils sont populaires, plus ils sont populaires et plus on parle d’eux. A l’inverse, les moins connus (Baylet en tête) souffrent d’un déficit médiatique qui les plongent dans la spirale "underdog" : moins on parle d’eux, moins ils sont populaires, moins ils sont populaires et moins on parle d’eux. La publication régulière de sondages contribue à étouffer les candidats les moins bien cotés, dont les programmes et les idées deviennent inaudibles. On comprend alors leur ferme volonté de débattre en public avec les têtes d’affiche.
Par ailleurs, les médias se concentrent sur des aspects parfois futiles au niveau politique, si importants soient-ils à d’autres niveaux. L’affaire Strauss-Kahn a ainsi tenu en haleine les rédactions, qui, à peine les présumés mensonges de Nafissatou Diallo dévoilés, s’interrogeaient déjà sur le retour en campagne d’un DSK qui ne s’y était jamais lancé, et qui avait encore le bracelet électronique à la cheville. Immédiatement, les candidats ont été interrogés sur la place qu’ils accorderaient à Strauss-Kahn en cas de retour. Les médias l’ont ainsi consacré, sans heurts, comme le candidat naturel de la gauche, l’homme providentiel, le messie socialiste arrêté en plein envol. Une consécration qui n’a étonné personne, alors que l’ancien directeur du FMI, rappelons le, n’avait même pas déclaré ses intentions au moment des faits.
Passée l’affaire DSK, ce sont les rumeurs autour de Martine Aubry qui ont fait la Une, occultant une fois de plus les débats de fond. Martine Aubry a immédiatement contrattaqué, faisant parler d’elle une journée de plus, mais évitant ainsi sans doute que les on-dit n’enflent indéfiniment. Sans surprise, François Hollande a été interrogé sur les rumeurs concernant sa "rivale". Question inepte, puisqu’on l’imagine mal répondre qu’il y croit, mais question également vicieuse : François Hollande a alors dû défendre Martine Aubry, non uniquement comme il l’aurait fait, magnanime, avec n’importe quel adversaire, mais comme une camarade, attaquée par les plus extrêmes de l’autre bord. Et les différences entre Hollande et Aubry s’effacent encore un peu, le temps de gros titres sur bonnet blanc qui vole au secours de blanc bonnet.
Pourtant, les divergences existent bel et bien entre les candidats. Mais quand les plus petits sont étouffés par la barrière médiatique, les plus grands sont paralysés par leur volonté de ne pas nuire à l’unité des socialistes et les médias qui cherchent, à chaque déclaration, la nouvelle polémique. Entre François Hollande et Martine Aubry qui marchent sur des œufs, et Baylet, Valls et Montebourg qui n’arrivent pas à percer dans l’opinion, il reste bien un espace qui pourrait jouer en faveur de Ségolène Royal. Cette dernière en est consciente et vient de réinvestir les locaux de Solférino
A lire dans la rubrique "Les idées de la primaire" :
- "Il fallait bien que jeunesse nous lasse", par Clémence Artur.
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