On a cru à un pavé dans la mare lorsque Ségolène Royal a déclaré à la mi-juillet vouloir rassembler « jusqu’aux gaullistes ». La primaire de la gauche n'est pas encore passée que l’on songerait déjà à inviter les droitistes à la fête ? Pourtant, Ségolène Royal, suivie de près par Manuel Valls, ne fait que relancer une idée qu’elle défend depuis 2007 : la gauche française n’est pas incompatible avec le centre ou la droite républicaine. Elle peut partager les mêmes valeurs sociales, tout en discutant intelligemment des moyens à mettre en œuvre pour les défendre.

Pourtant, à bien considérer l’échiquier politique, l’alliance ne semble pas aller de soi. S’agit-il d’une évidence politique, d'une évolution inexorable de notre système de partis, ou d’une tentative vaine de rejouer, encore et toujours, le jeu malchanceux des alliances républicaines contre "l’Ennemi" ?

Gaullistes et sociaux-démocrates?

Ségolène Royal souhaite, en cas de victoire, rassembler d’abord les socialistes, puis l’extrême gauche, les écologistes, et enfin la "droite gaulliste" : cette droite à laquelle on colle un adjectif consensuel, qui fait d’elle une couleur politique fréquentable. La droite gaulliste se voudrait profondément républicaine, garante de l’intérêt général, en tous points opposée à la droite "bling-bling" (selon l’expression consacrée par Marianne) et clivante, dont Nicolas Sarkozy se fait le porte-drapeau. Dans le cadre d’une économie de marché qui amoindrit les différences de programme économique entre les deux grands "catch-all" partis français, la droite républicaine se montrerait donc politiquement compatible avec la gauche modérée que constitue aujourd’hui le Parti socialiste dans son tournant social-démocrate. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, les mains tendues par Ségolène Royal et plus récemment Manuel Valls ne sont pas prêtes de rencontrer celles de leurs concurrents "gaullistes", alors qu’elles mêmes ne parviennent pas à se joindre…

Petit retour en arrière : Grenoble, mi-janvier. Le forum Libération (co-organisé par Marianne et le Nouvel Obs) s’ouvre sur un débat entre Ségolène Royal et Dominique de Villepin, portant sur les institutions de la République. Chacun déclame de grandes phrases enivrantes aux accents de programme électoral, jaugeant de sa popularité à l’applaudimètre. Rien d’étonnant, mais un malaise subsiste : à aucun moment, nous ne percevons de différences d’idées entre les énarques. A tel point que Laurent Joffrin finira par demander si une alliance ne serait pas souhaitable entre les deux partis. Silence gêné d’un côté comme de l’autre, jusqu’à ce que Ségolène Royal ironise : "je ne vais pas refaire ce que j’ai déjà fait entre les deux tours".

C’est pourtant bien ce qu’elle fait aujourd’hui. La droite peut-elle y répondre favorablement sans signer sa mort politique ? L’élection présidentielle se fait au débat d’idées, fantasme-t-on. Elle se fait d’abord et surtout à l’image. Une alliance entre Ségolène Royal et les gaullistes donnerait plus de poids à la leader socialiste, mais nuirait définitivement à la visibilité et à l’existence politique propre de ce mouvement de droite, déjà difficilement saisissable.

L'impossible alliance

C’est pourquoi ce rapprochement, même s’il peut sembler envisageable à certains acteurs sur le long terme, ne peut avoir lieu sereinement lors d’une campagne électorale. Il aura alors toujours l’arrière-goût de la magouille électorale, du front "anti", qui permet de gagner une élection mais pas de tenir un pays. La tentation est grande de constituer un front qui réunirait tout ce que la France compte de personnel politique antisarkozyste. Mais réunir gauche et droite républicaines contre une seule et même tendance politique ne peut faire office de programme. Être opposé à Sarkozy ne saurait suffire à effacer les différences, ne seraient-ce qu’idéologiques, entre les partis.

Les mésententes qui ont conduit à la chute des cartels des gauches en 1924 et 1932 étaient directement liées à des questions idéologiques. Les socialistes, coincés entre les communistes toujours prompts à les traiter de social-traîtres et les radicaux qui pratiquaient une politique beaucoup moins portée à gauche, se sont maintes fois retrouvés pieds et poings liés. Difficile aujourd’hui d’imaginer un gouvernement dans lequel Dominique de Villepin, Nicolas Hulot et Jean-Luc Mélenchon pourraient s’attabler ensemble et trouver des solutions communes à des problèmes auxquels ils ne trouvent pas les mêmes fondements.

Une alliance au second tour est inévitable pour vaincre la droite. Mais il paraît difficile, dans la configuration partisane actuelle, d’imaginer une coalition entre des partis qui n’ont même pas souhaité faire primaire commune

 

A lire dans la rubrique "Les idées de la primaire" : 

- "Il fallait bien que jeunesse nous lasse", par Clémence Artur. 

- "L'équilibrisme des grands, le silence des petits", par Clémence Artur.