Ce dictionnaire devrait attirer l’attention des citoyennes et des citoyens sur une institution qui, pour une part, organise le champ culturel en leur nom. 

Comme le souligne avec pertinence, en tête d’ouvrage, Julien Anfruns, directeur général du Conseil International des musées, "à l’heure où de nouveaux musées et de nouvelles politiques patrimoniales se développent en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine, à l’heure où les musées d’Europe, d’Amérique du Nord et de bien d’autres parties du monde sont mis au défi des contraintes économiques", mais aussi, ajoutons-le, culturelles (d’autant que nous assistons à leur rapprochement avec le monde des loisirs), un tel ouvrage se met à la hauteur des enjeux. Certes, il vise en premier lieu les professionnels et la communauté muséale internationale, mais à ce groupe professionnel on peut adjoindre, sans difficulté, les chercheurs en sciences sociales, les étudiants et les honnêtes gens intrigués par la compréhension de la politique des musées souvent conduites au nom de tous. Ce n’est pas pour rien que le nom de "dictionnaire" est accompagné par "encyclopédique" par allusion à la pédagogie "populaire" de Denis Diderot et d’Alembert, allusion qui se prolonge dans l’organisation interne de l’ouvrage : rebonds d’une notion à l’autre, dérivés, corrélats, analyses, bibliographie remarquable. De même que tout un "Discours préliminaire" vient orienter le lecteur dans cette structure logique et dans les options qui la caractérisent. 

 

Un danger réel guette-t-il et menace-t-il le musée institutionnel ? Les nouveaux pôles d’intérêt des jeunes générations, en l’espèce des nouveaux médias, ne se substituent-ils pas dans leur tête à la visite des musées (p. 300) ? Est-ce à dire que les musées ont peu d’années de vie encore devant eux ? De toute manière, s’il n’est pas certain que les musées vont demeurer longtemps un des principaux vecteurs de la culture, il ne reste pas moins vrai qu’il est temps de s’intéresser profondément à eux. 

 

D’ailleurs, paradoxalement, on ne peut qu’être frappé de nos jours par la surenchère de l’offre muséale. Offre de plus en plus grandiose, et voyante. Les visiteurs y sont sensibles. Ils se rendent massivement dans les grands musées du monde. Ils forment des queues impressionnantes à l’entrée de tel ou tel musée. Force est bien d’admettre, avec Régis Debray, que les musées ne se sont jamais mieux portés. 53 millions de visiteurs des musées français en 2000. 

 

Bien sûr, on peut n’être pas dupe de l’interprétation à conférer à ces constats. Entre problèmes sociaux qui n’ont pas disparu (qui accède ainsi à cette culture ?), goût pour l’art et les musées qui demeure un privilège de classe (les analyses de Pierre Bourdieu sont abondamment citées), déclin des grands récits et recherche désespérée de sens, offres de loisirs multipliées, les musées n’ont pas l’air d’occuper une position assurée. L’un des rédacteurs de ce dictionnaire affirme d’ailleurs (p. 82) que, plutôt que des instruments d’une dérive vers la commercialisation de la culture, les musées d’aujourd’hui semblent devenus à leur façon des substituts tardifs de l’école et de l’Eglise. C’est désormais pour y chercher des explications (sur l’univers, sur l’homme, sur la science, …) ou des directives d’action (dans les écomusées), que les visiteurs se rendent dans les musées. Et ceux-ci ont la lourde charge de prendre le relais de la formation permanente, dans la mesure où les adultes cherchent des formations de rechange. Il convient à cet égard de s’interroger, et cet ouvrage le réalise fort bien, sur le paradoxe en fonction duquel le nombre de musées a doublé récemment en l’espace de trois décennies, passant de 22 000, en France, en 1975, à 50 000 à l’heure actuelle.

 

Encore convient-il de répondre à la question de savoir de quoi il s’agit dans cette question des musées. D’abord d’une institution, d’une construction sociale et historique qui est destinée à organiser et ordonner un certain état de choses. Si une institution propose une solution à un problème au moment où il est posé, il ne faut évidemment pas croire que la solution proposée est unique. D’autant que, précisent les auteurs, si la tendance se satisfait dans l’institution, l’institution ne s’explique pas par la tendance (p. 203). Ce qui signifie que le musée n’est pas la seule solution du problème de la transmission culturelle (identitaire, nationale, cognitive), mais une de ses solutions. 

 

Et solution de quoi ? Pour le comprendre, revenons, en ce qui regarde la France (qui n’est évidemment pas le seul cas étudié, même si ce dictionnaire est rédigé en langue française), à la Révolution française (pp. 92, 546). Ce modèle révolutionnaire veut faire table rase du passé monarchique et donner à tous accès aux objets qui peuvent organiser la référence commune. Encore la Révolution va-t-elle plus loin en soulignant la double appartenance des collections publiques : à la nation et à l’humanité entière. De ce point de vue, le musée est né officiellement en s’inscrivant dans le système politico-juridique sous la forme d’une institution républicaine et démocratique chargée à la fois de la préservation du patrimoine contre les "vandales", de la formation des citoyennes et des citoyens, en parallèle de l’école, et de leur synthèse dans l’idée de nation. Même si elle sépare les musées d’art auxquels elle assigne la fonction de déployer l’identité symbolique et les musées destinés à la connaissance et à l’action (le conservatoire des Arts et métiers est toujours géré par l’Eduction nationale et non par le ministère de la Culture), la Révolution instaure des partis pris dont nous sommes encore comptables. 

 

Afin de mettre tout cela au jour, l’ouvrage se déploie en deux parties : la première comporte des articles encyclopédiques (Architecture, Collection, Communication... jusqu’à Recherche, Société). Chaque article est lui-même divisé en trois moments : définition, analyse, bibliographie. L’ordre alphabétique exigeait une ouverture sur "Architecture". Mais après tout, chaque article peut très bien contenir tous les autres. Dans cette rubrique, en effet, il est fait état des exigences propres du musée au regard de ce que proposent les architectes. Du coup, occasion est offerte de rappeler que les musées ne sont pas nés dans des architectures à eux destinés, mais ont été imposés à des bâtiments patrimoniaux. Or, ils ont besoin de conditions spécifiques de localisation, doivent englober des espaces d’exposition, mais aussi des réserves, des bureaux, des ateliers de construction et de restauration, des auditoriums, des laboratoires, des ateliers pédagogiques, des espaces de vente, ainsi que des salles d’exposition temporaire. C’est dire si l’architecture de musée est finalement de souci récent (les Trésors en Grèce ancienne ne sont pas visitables). Et la question : "monument, hangar, sculpture ou signal urbain ?", à l’adresse du musée demeure une question à débattre. L’article portant sur "Collection" est de facture plus classique. La collection n’étant pas un simple rassemblement, il importe de statuer sur les classements, la protection...  Chacun des autres articles est de même facture et passionnant. S’y trouvent déclinées des litanies inhabituelles pour ceux qui ne connaissent pas la question en profondeur : exposition, expologie, expôts, exposème, expographie ou musée, muséal, muséologie, muséographie, muséalie… Le lecteur s’y retrouvera aisément. 

 

La seconde partie retient un "Dictionnaire de muséologie", sans doute plus technique et plutôt destiné à réguler le langage des muséologues, autour des termes les plus régulièrement utilisés et indexés (Accréditation, Accrochage, Accueil... Trustee, Type, Typologie).

 

Deux choses reviennent constamment dans les articles et il est intéressant de le noter. La première relève d’un parti pris des éditeurs : la référence assez répétitive à McLuhan, et aux travaux portant sur la communication. Il faudrait à ce sujet retracer la genèse de la pensée du musée pour vérifier si ce centrage est essentiel ou non. Mais plus importante, la seconde a plus de titres à revenir avec constance. Il s’agit de la question du spectateur de musée et du public. N’oublions pas que l’ouverture du musée du Louvre, en 1793, semble amener un changement radical de la conception du public des musées. La date du premier anniversaire de la suspension du roi a été choisie pour faire entrer le public au sein de son ancien palais. Le patrimoine auquel le muséum central des Arts rend hommage appartient à la nation. Il est l’œuvre de tous les citoyens, libres et égaux en droit. Donc libres de visiter le Louvre. L’autonomie du visiteur est simultanément acquise et valorisée. La différence essentielle entre les collections royales et le Louvre nouveau porte moins, précise Dominique Poulot, sur le principe même de l’ouverture que sur les modalités réelles de sa visite qui rompent avec le caractère collectif et rapide du parcours traditionnel dans la demeure aristocratique. Il n’est pas de musée sans un public auquel il s’adresse. Il ne peut se réduire à une sorte de coffre-fort exclusivement consacré à protéger la valeur inestimable de ce qu’il recèle. 

 

Cependant, on s’est peu soucié, avant la fin du XIXe siècle, de la réception de l’exposition par les visiteurs. C’est pourtant ce public qui va engendrer le plus de perfectionnement dans les méthodes de présentation. Dès les années 1910, l’attention de certains observateurs américains se penche sur le comportement des visiteurs dans l’exposition et sur la "fatigue muséale" qui est progressivement prise en compte dans l’aménagement des expositions. Confort physique et intellectuel vont de pair. Il faut donc ajouter des sièges, ou des zones de détente. On commence à s’interroger aussi sur la longueur des visites et le cheminement des expositions. On comprend aussi que le visiteur se transforme lui-même en entrant dans une exposition, expérimentant la réalité de l’exposition d’une manière différente, imprégné par les interprétations et les valeurs de ce qui est visible. En pénétrant dans cet espace de signification, il sait qu’il est dans un musée et pas dans le monde réel et que tout ce qu’il va voir, dire ou faire appartient à la logique de l’exposition et non à la vie de tous les jours. Le visiteur est censé décoder ce que les concepteurs ont préalablement encodé. Même si, par certains autres aspects, il peut s’échapper de l’exposition, la refuser, résister à sa manipulation, pour en faire sa propre lecture. Visiter l’exposition, précisent les auteurs, c’est négocier son rapport à l’exposé. 

 

Il reste que les musées sont sensibles aux problématiques développées ailleurs. Par exemple au développement de la participation active du spectateur, par la poly-sensorialité, et l’abandon de la story line, c’est-à-dire de la trame narrative ou du fil conducteur. Il est vrai que progressivement, nous sommes arrivés à concevoir des musées non linéaires, dans lesquels les visiteurs construisent eux-mêmes leur parcours sans se référer à un sens de visite et à des cartels préexistants, et où ils peuvent exercer pleinement leur activité sensorielle. 

 

Mais constater cela revient aussi à affirmer que les anciens musées (disons les classiques) ont privilégié la transmission au détriment de la communication réciproque. Ils ont fini par être des outils d’endoctrinement. De là l’idée de concevoir des musées de l’échange (écomusées, musées des objets ou des professions) qui seraient apparentés aux maisons de la culture. Ces derniers privilégient la communication avec le public, la médiation, un principe d’interactivité, en rendant l’initiative à la population, devenue responsable de la gestion de sa culture. 

 

Reste à dire un mot sur la muséologie. On peut s’amuser des déterminations universitaires, mais elles ont parfois du bon. En découpant un objet dans le tissu des activités sociales, elles peuvent y consacrer des études et surtout inviter des témoins d’horizon différents à examiner sa teneur. Ainsi va cet ouvrage qui convoque plusieurs sciences sociales pour dépouiller les missions et la place des musées dans nos sociétés. Du coup, le lecteur passe, avec logique et pertinence, de l’architecture des musées au projet de leur constitution, des expériences muséales aux ambitions de rénovations de nos jours. Pour adopter un moment les termes mêmes de l’éditeur, généralisons ce commentaire en précisant que l’ouvrage est composé de 21 articles encyclopédiques, présentant les notions qui façonnent le paysage muséal contemporain ; de 500 termes de muséologie expliqués au lecteur incompétent et reprécisé pour le lecteur informé ; et de 3 parcours visuels (disons une iconographie). Neuf chercheurs ont apporté leur contribution au déroulement du propos. Enfin, l’iconographie est tout à fait à même d’aider le lecteur à comprendre l’ampleur de la question posée. Elle est suffisamment à jour pour permettre de réfléchir au devenir des musées durant les dix dernières années. 

 

Achevons ce propos en précisant que ce type d’ouvrage montre qu’à l’évidence les institutions culturelles méritent qu’on s’arrête sur leur sort et que des ouvrages aussi synthétiques et aisés à lire soient diffusés auprès d’un large public. Il est clair que la culture n’est pas l’occupationnel. Cet ouvrage élève alors la muséologie au rang des autres recherches qui désormais possèdent pratiquement toutes leur dictionnaire. Seule difficulté sans doute : le risque de normativité induit la codification parfois un peu rigide des termes employés