Un ouvrage documentaire pour célébrer les 30 d’existence de la fête de la musique. Tout en la suivant d’année en année, il propose une exploration imagée et informative sur cette fête.  

Dans la veine des ouvrages généraux, destinés au grand public, qui célèbrent tel ou tel événement culturel, celui-ci tient largement sa place. Il est presque conçu comme une (future) exposition consacrée à la fête de la musique, sa genèse, son expansion et l’état des lieux au début du XXI° siècle. Il est même susceptible de renvoyer les plus anciens à quelques nostalgies et les plus jeunes à un attrait renouvelé.


Ouvrage de grand format, il nous propose surtout une compilation de documents tout à fait passionnants, archivés (IMEC), retrouvés par l’auteur, collectés sans doute par lui au long des années et mis en page par un bon graphiste. Entre photographies, articles de presse ou de revues reproduits et commentaires, il retrace le parcours d’une fête de la musique dont l’auteur ne cache pas qu’elle représente moins pour lui un moment d’instrumentalisation des arts qu’un moment de "communion" des populations dans la pudeur et la joie (p. 78). En feuilletant les pages de l’ouvrage, en portant un regard attentif aux photographies, ce livre nous aide à passer d’année en année – de 1982 à 2011 - en retenant des points spécifiques, pour chacune des fêtes passées, ces points étant représentatifs d’un certain esprit de la musique et parfois de l’époque de référence. Ainsi nous traversons autant les années Mitterrand de plein exercice, que les années de cohabitation (et les velléités d’abandon de la fête, même si, finalement, l’alternance n’a pas eu d’incidence sur elle), et les années Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy.

Insistons d’abord sur les documents. Affiches (par Combas, Brétécher, Di Rosa, ...), missives, tracts, articles, et photographies viennent témoigner du transport de la musique en plein air, de la création d’une musique de plein air, musique donc de solstice d’été, musique vivante, spontanée et gratuite, pratiquée dans les rues, sur les places, dans les jardins publics et les cours d’immeubles. Cette iconographie – dont une grande partie appartient au fonds documentaire de Jack Lang – fait plus qu’illustrer un événement particulier. Elle donne le goût de cette festivité, elle sert de mémoire pour ceux qui auraient traversé la période sans archiver eux-mêmes ces documents, elle stimule aussi le goût de l’archive pour ceux qui auraient suivi d’autres événements. En amorce de l’ouvrage, Edgar Morin écrit de la fête de la musique qu’elle a ouvert une ère de repoétisation de nos existences par les spectacles. La fête de la musique demeure par conséquent pour lui le fruit d’une décision centrale du ministère de la Culture de 1982. Le sociologue a d’ailleurs raison de souligner d’emblée que la fête de la musique a pour propriété de relier le solstice d’été, la ferveur collective et une sorte de fête de la Saint-Jean laïcisée, à la situation de l’époque... Il est clair que cette fête a introduit dans le calendrier des Français une référence non religieuse, aidant à redessinant ainsi une cartographie de l’année plus républicaine.


Rappelons, grâce aux archives mises à notre disposition, moins ce que fut le 21 juin 1982 – pour l’atmosphère, quelques pages donnent la parole à des acteurs non officiels – que les appréciations portées sur un événement culturel qui n’exclut pas de passer aussi pour politique. "Idée géniale ou saugrenue ?" se demande Le Monde (21 Juin 1982) ; Le Figaro se trompe d’actualité en célébrant le Football (22 juin 1982) ; Marc Fumaroli fulmine : "démagogie païenne", "perversion de la démocratie", quand certains ne se privent pas d’amalgamer la fête de la musique avec les opération pétainistes comme la fête des mères. Certains tentent de mettre au jour des dégâts collatéraux de la fête (actes de vandalisme, blessés, mais on cherche tout de même pas de morts pour la mettre à mort) afin de susciter de vives réactions à son encontre. Et en invoquant la philosophie, on va jusqu’à convoquer Friedrich Nietzsche. Pierre Billard écrit en substance que les "princes qui nous gouvernent ... ont décidé d’équilibrer la gestion apollinienne du pouvoir par la célébration dionysiaque des valeurs".
Opération gadget ? C’est à voir ! Les documents concernant les conditions d’instauration de cette fête lui prêtent tout de même un autre sens. Ce que nous devons à Maurice Fleuret, à Christian Dupavillon, et au soutien de leur ministre, Jack Lang, va au-delà du gadget. D’ailleurs, Maurice Fleuret en fin stratège saura imposer moins l’objet musique que l’acte musique. C’est dire l’importance du geste.
De toute manière, à l’époque, l’idée tombe à pic. Les Français sont prêts à recevoir ce projet. Et certes, du côté des autorités, il a fallu argumenter, discuter, faire partager une conviction (auprès de chaque ministère, de chaque autorité locale)... et surtout rester ouvert à toutes les musiques. Les mouvements musicaux conservateurs tenaient en effet là leur revanche. Ils étaient d’autant plus assurés d’avoir raison contre cette fête qu’à l’époque la gauche passait encore pour incapable de gouverner. Nicolas Frize ne dit pas autre chose : "La fête de la musique avait, à son lancement, ouvert une voie (un appel aux voix), suscité un désir (à saisir), créé un besoin d’égalité (nous sommes tous musiciens), précipité la musique dans un autre registre, la sortant de ses salles, de ses créateurs officiels et de ses mondanités". Quant au sociologue Jean Duvignaud, il écrit fort clairement :" Il y a dans la fête quelque chose de plus. Une cassure dans la calme succession des jours, une rupture dans le confort intellectuel qui voudrait que tout, toujours, recommence. Une explosion, oui, enfin quelque chose de plus que n’apporte pas la vie quotidienne".


L’auteur précise comment cette fête est devenue, en 1985, Fête européenne de la musique. Non sans que cela contribue aux ambitions européennes de François Mitterrand sur la scène communautaire. Un art capable d’abolir les frontières et de fédérer un imaginaire commun ne pouvait que passer pour un moteur de l’Europe de la Culture.
Il n’est pas dupe non plus de certaines dérives commerciales. Depuis 1987, la fête sert de rampe de lancement aux tubes de l’été. Les sponsors se font remarquer. La logique marketing commande. Didier Lockwood s’insurge d’ailleurs contre cette dérive, dans La Croix du 21 juin 2006.  Cela n’empêche pas la fête en question de se mondialiser au fur et à mesure de la prolongation de sa durée (aujourd’hui, elle est fêtée dans 117 pays). Moyennant quoi, chacun sent bien aussi qu’un commentaire des plus faciles est prêt à s’imposer : la musique adoucit les mœurs. Pourtant, ce slogan ne dit rien du tout. On devrait plutôt commenter chaque point : pourquoi le choix d’une fête, pourquoi réduire son objet à la musique (il y aura bientôt des fêtes pour les autres arts), pourquoi dans la rue, ... ? Autant de questions que l’ouvrage effleure sans pour autant les traiter (mais ce n’est pas directement son objet). L’auteur nous canalise bien sur l’enchantement et la magie de la fête, quelles que soient par ailleurs ses réticences vis-à-vis de la politique du ministère Lang (cf. son Politiques culturelles, la fin d’un mythe, Paris, Gallimard, 2005).


Mais qu’est-ce donc qui interroge vraiment dans ce projet, en 1982, et ces réalisations, déployées sur 30 ans maintenant ? C’est évidemment bien moins le résultat (positif) que les ressorts et la portée de cette fête. Ses mobiles ont été longtemps répétés : plus de 5 millions de Françaises et de Français font de la musique, mais on ne s’en rend pas compte (problème de visibilité donc). Il reste qu’il convient de se demander comment penser l’action publique de ce type, car la fête de la musique, finalement, qui ne constitue pas une politique musicale en elle-même, servira aussi à mettre en œuvre une politique musicale amateurs ?
Quelques-uns songent à comparer la fête de la musique et le 14 Juillet, au désavantage de ce dernier. Mais l’une est une fête et l’autre une commémoration. Le registre diffère. La question de la comparaison n’est pas pertinente.
Il reste que ce n’est pas encore tout à fait l’ouvrage savant qu’on attend sur la fête de la musique. Il n’est pas assez systématique pour cela, même s’il puise aussi des renseignements au département des études et prospectives du ministère de la Culture. L’auteur se contente, en marge d’une telle demande à réaliser dans le futur par des chercheurs en sciences sociales, de conclure en faisant appel à Vincent Delerm, qui répond joliment à la question de savoir quelle est son approche de la fête en question