Cette étude sur le système d’enseignement italien interroge les méthodes et les façons d’enseigner la philosophie.

Issu d’une mission de l’Inspection générale de philosophie, l’ouvrage de Jean-Louis Poirier analyse l’enseignement de la philosophie en Italie. On ne peut séparer, en effet, la constitution d’une discipline de la manière dont elle a été enseignée et transmise. L’auteur rappelle d’abord les racines culturelles philosophiques italiennes. Il évoque l’histoire de cette matière au XXe siècle ; il précise les modalités concrètes de cet enseignement ; enfin, il le confronte à l’enseignement français.

Humanités
Selon J.-L. Poirier, l’enseignement de la philosophie en Italie est ancré dans l’idée d’humanités. Un tel concept désigne la continuité avec les racines latines et romanes, essentielles pour la culture italienne. C’est un héritage antique, médiéval et renaissant. Le Risorgimento en a fait sa légende dorée, le fascisme l’a également récupéré.

Si les humanités comportent un lien organique à l’antiquité grecque et latine, elles se déclinent en des conceptions très différentes de la culture : révolutionnaire (Gramsci) ; catholique et conservatrice ; ou même fasciste (Gentile). Le concept d’humanités nous parvient donc à travers de multiples médiations susceptibles d’être interrogées.

La figure de Giovanni Gentile, longuement évoquée par l’auteur, est assez exemplaire de cette ambiguïté. Philosophe et ministre fasciste, figure hégémonique de la culture de son époque, Gentile est également rédacteur d’un Manifeste des intellectuels fascistes qui provoque la polarisation des intellectuels italiens. Or, c’est bien lui qui a défini les lignes fondamentales de l’enseignement de la philosophie en Italie jusqu’à nos jours. Il en établit ainsi les programmes – qui seront légèrement modernisés en 1992, par la commission Brocca, permettant l’entrée timide d’un ou deux penseurs du XXe siècle. La continuité inamovible de cette tradition classique, en plus d’un certain immobilisme critique, comporte quelques conséquences. Alors qu’en France la philosophie est enseignée par thèmes, l’enseignement suit en Italie une progression strictement historique. De plus, cet enseignement est fortement relié à l’histoire et aux lettres classiques (latin, grec) matières obligatoires dans le lycée littéraire classique (liceo classico).

Historicité
Dans une telle perspective, l’histoire et la philosophie ne peuvent être scindées. D’ailleurs, les professeurs de philosophie du lycée enseignent souvent l’histoire, dans une forme de bivalence. En ce sens, on ajoutera que l’enseignement de la littérature subit le même sort : il prend forme d’“histoire de la littérature”. Il peut être couplé à l’histoire de l’art. Plus généralement, on peut rappeler qu’à l’université la philologie est toujours au centre des disciplines littéraires.

Il faut ajouter enfin une différence dans l’organisation des classes de lycée. Apanage de la Terminale française – en particulier dans la filière L – l’enseignement de la philosophie est en Italie distribué en trois ans, et dans l’ordre chronologique.
Par exemple, la première année on prend connaissance de Platon, Aristote, Plotin, Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin. L’année suivante est consacrée à la philosophie moderne. La dernière à la philosophie contemporaine   .

Confrontations
On l’aura compris, il ne s’agit non seulement pour l’auteur d’étudier un système étranger, mais d’interroger en même temps le système français. En France, explique J.-L. Poirier, l’enseignement de la philosophie se conçoit comme une incitation à la pensée critique et réfléchie. L’élève doit devenir un véritable apprenti philosophe, libre de s’appuyer sur sa propre expérience, de choisir ses références et ses exemples, philosophiques ou non.

Le modèle absolu reste le cogito cartésien, moment d’abord négatif par le doute hyperbolique, puis positif par la constitution d’une conscience subjective souveraine. Le style de l’enseignement français serait également très marqué par des philosophes français comme Alain. On remarquera néanmoins que les deux systèmes sont très proches dans le choix de leur canon, et qu’ils font la part belle à l’idéalisme allemand, choisissant, selon les sensibilités, Kant ou Hegel comme modèles insurmontables, se méfiant largement de tout ce qui pourrait avoir été dit, écrit ou pensé après eux.

Partant de la confrontation de ces modèles divergents, on pourrait arriver (en bons philosophes) à une synthèse permettant de réconcilier ces points de vue héritiers d’histoires nationales différentes. Ainsi l’auteur salue les (rares) projets italiens qui comportent des unités thématiques interdisciplinaires à côté de l’enseignement traditionnel. Bref, il ne s’agit pas de prendre parti pour un système ou pour un autre, mais bien plutôt d’analyser la constitution historique et conceptuelle d’une discipline.