Qui n’a pas vu cette couverture du journal newyorkais, montrant un DSK qui se passe la langue sur les lèvres, assorti de ces lettres capitales : "LE PERV" ? La une du Daily News, aussi virulente soit-elle, n’est pas isolée. La presse anglo-saxonne s’interroge sur le silence des journalistes français concernant le "cas DSK", posant ainsi plus largement la question du respect de la vie privée en France.

Un respect excessif selon le New York Times, qui revient sur ces "secrets d’Etat", censés ne concerner que la vie privée des hommes politiques, mais dont on apprenait bien plus tard qu’ils avaient eu un impact (direct ou indirect) sur la vie politique. Les journalistes français doivent-ils davantage enquêter sur la vie privée de nos dirigeants ? Il est évident que journalistes et politiques, souvent issus des mêmes milieux sociaux et parfois des mêmes générations, se connaissent et en savent beaucoup les uns sur les autres. Par respect pour la vie privée, mais aussi pour éviter tout chantage et pots de vins, il est entendu que les premiers ne dévoilent pas la vie privée des seconds. Pis, cela choquerait les Français. La vie privée devient dès lors un instrument de communication des hommes politiques, à utiliser avec parcimonie. Mais donnez leur la main, ils vous prennent le bras : lorsque les journalistes commencent à s’attarder un peu trop longuement sur les aventures d’untel (le cas est typique avec la surexposition médiatique des deux principaux candidats de la présidentielle 2007), les hommes politiques peuvent toujours porter plainte pour atteinte à la vie privée, selon l’article 9 du code civil. Et ce, quel que soit leur passé médiatique.

Difficile de changer la loi, mais encore plus difficile de changer les mœurs. Les médias anglo-saxons ne se contentent pas de critiquer le droit à la vie privée, qu’ils jugent inepte : ils dénoncent également la bienveillance avec laquelle les journalistes, et plus globalement l’ensemble de la société française, regardent "les hommes à femmes" en politique. The Guardian explique ainsi qu’une telle réputation peut servir un homme politique en France, alors qu’elle aurait tendance à le desservir en Angleterre. Une tradition française qui peut expliquer le silence consensuel des journalistes quant aux affaires de mœurs des dirigeants français, tant que ces mœurs en question ne portent pas atteinte à la sécurité de l’Etat, et que leur révélation ne constitue pas un intérêt public.

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L’emballement médiatique autour de "l’affaire DSK" est-il lui aussi une spécificité française ? Est-ce que des années de silence (contraint ou bienveillant) mènent nécessairement à un déchaînement médiatique autour d’une affaire rendue publique ? L’enquête ouverte à l’encontre de Dominique Strauss-Kahn mérite, bien évidemment, une large couverture dans les médias : l’homme est directeur du Fonds Monétaire International, mais était également en lice pour la présidentielle à venir. Cependant, depuis ce week-end, les éditions spéciales succèdent aux témoignages plus ou moins pertinents, masquant de fait d’autres actualités, nationales ou internationales. Télévision, radio, Internet ou presse écrite, les médias français font tous leur une sur la plainte dont fait l’objet DSK, tirant à la ligne sur un sujet dont on ne connaît finalement pas grand chose.

Voilà comment nous pouvons aujourd’hui lire sur lemonde.fr le témoignage d’un jeune Français qui a passé 20 jours dans la prison de Rikers Island. De quoi attirer le lecteur avec la description d’un centre pénitentiaire "connu pour sa violence". Une information qui n’en est pas une, puisque Dominique Strauss-Kahn a une cellule particulière, et ne devrait pas croiser ses codétenus. Voilà comment les journaux ressortent leurs vieux articles sur "Dominique Strauss-Kahn et les femmes", comme pour montrer qu’eux ne participaient pas à l’omerta. Voilà également comment le site Internet du Nouvel Observateur publie une liste nécessairement non exhaustive des réactions du monde politique, une succession d’appels à la "prudence" et à la "retenue", qui fait du clic, mais n’apprend rien de nouveau.

Devons-nous regretter ce sacro-saint silence français autour de la vie privée des personnalités publiques ? Si à chaque révélation, qu’elle soit une simple rumeur lancée sur Internet ou une grave mise en accusation d’un homme politique, les médias se lancent dans la surenchère, peut-être effectivement devrions-nous penser à défaire le bâillon qui retient les journalistes de s’intéresser de plus près à la vie privée de nos hommes publics.

Mais cela serait également ouvrir la voie à une nouvelle forme de journalisme, allant encore plus loin dans le commentaire, et plus fort dans la critique. A l’image de cet article du Daily Mail dans lequel nous pouvons lire : "Il semblerait que DSK souffre d’une maladie appelée l’hypersexualité, définie, dans le dictionnaire médical comme un désir sexuel incontrôlable, pathologique et excessif". Nul doute qu’une telle affirmation, dans un quotidien, ne saurait passer sans être condamnée. A tort ou à raison?