Itinéraire de Louis Moreau Gottschalk, pianiste illustre du XIXe siècle quelque peu retombé dans l'oubli.

 

Auteur d’un précédent ouvrage consacré à Alma Mahler, la journaliste et écrivain Catherine Sauvat entreprend cette fois le choix d’attirer l’attention du grand public sur la vie du pianiste et compositeur Louis Moreau Gottschalk (1829-1869), auteur de symphonies (éditées chez Naxos en 2007) mais principalement de pièces pianistiques remises à l’honneur depuis les années 1990 si l’on en croit la multiplication des enregistrements sur CD   . Gottschalk figure parmi ces artistes ayant atteint une renommée exceptionnelle de leur vivant (en tant que virtuose et auteur d’œuvres à succès) mais que la postérité tarde à estimer et à redécouvrir, lui qui fut pourtant la première grande figure de la musique "classique" américaine et un préfigurateur du jazz.

 

Catherine Sauvat s’emploie habilement à dresser un tableau en dix chapitres des principaux épisodes de la carrière de Gottschalk, carrière qui s’étend sur une vingtaine d’années, à cheval entre les deux moitiés du XIXe siècle. Fournissant ses sources ainsi qu’une chronologie (une carte aurait été souhaitable en guise de supplément), l’auteur glisse régulièrement dans son récit des fiches biographiques rigoureuses qui aident à comprendre l’identité des personnages qui ponctuent l’itinéraire du musicien. Tout comme Serge Berthier qui, en 1985, conçut son livre autour du thème des voyages du pianiste virtuose   , Catherine Sauvat a envisagé de retracer les pérégrinations de l’artiste, lui dont la vie se résuma à un incessant parcours entre les Amériques et l’Europe. 

 

Attachée à démontrer l’importance du compositeur aux yeux de ses contemporains, l’auteur se passe de considérations musicologiques en évitant le piège de toute surinterprétation psychologisante. Elle entre certes dans des considérations multiples, plus ou moins anecdotiques, mais se refuse à tomber dans les facilités de l’imagination. La précision des propos révèle le souci constant de ne pas s’écarter des sources, à savoir les pocket books laissés par Gottschalk, les mémoires et témoignages de diverses personnalités (dont Léon Escudier) ainsi que les articles de presse et les biographies anglo-saxonnes.

 

Sans prétendre à l’exhaustivité, ce présent ouvrage met en lumière quelques aspects fort intéressants de la carrière de Gottschalk. Son "nomadisme", caractéristique d’un XIXe siècle qui découvre la vitesse et la révolution des transports, débute lorsqu’encore très jeune, il quitte sa ville natale, La Nouvelle-Orléans, pour poursuivre sa formation de pianiste à Paris. Alors qu’il partage avec Saint-Saëns le même professeur, Camille Stamaty, il rencontre dans la capitale française les plus grandes figures littéraires et musicales, à savoir Hugo, Chopin et Berlioz qui saluent son talent. Encouragé par le fameux Thalberg, le jeune Gottschalk marque de sa présence plusieurs salons mondains nécessaires à l’établissement de sa réputation. Son premier concert à la salle Pleyel le 17 avril 1849 (Saint-Saëns et Bizet y assistent) inaugure une longue série de représentations, lui que l’on surnomme bien plus tard "l’homme aux  10.000 concerts". C’est d’abord à travers l’Europe que le compositeur voyage. Il se rend en premier lieu en Suisse, puis en Espagne où il est introduit auprès de la cour royale, à Madrid. Sa tournée américaine débute en 1852 où, à l’exception de Boston, il remporte d’immenses succès. Après s’être fait connaître dans les Caraïbes, aux Antilles puis à Cuba (en 1860), Gottschalk remet les pieds sur le continent nord-américain, au Canada et en Californie. A partir de 1865, il poursuit une longue tournée en Amérique latine où il finit par mourir le 18 décembre 1869.

 

Outre l’itinérance du musicien, ce livre permet de mettre en exergue quelques éléments fort utiles dès lors que l’on s’intéresse à l’histoire de la condition du musicien au XIXe siècle. Il évoque les difficultés rencontrées par ce dernier face à certains épisodes climatiques (les tempêtes de neige aux Etats-Unis), politiques (la guerre de Sécession), sanitaires (les épidémies de choléra en Amérique du Sud), épisodes qui soulignent toute l’historicité de la vie d’artiste. Largement plus historique que musicologique comme nous le laissions entendre, cet ouvrage de Catherine Sauvat aide par ailleurs à comprendre à quel point l’œuvre de Gottschalk se situe à l’interface de plusieurs cultures, celle de l’Europe romantique, celle de la créolité (sa mère est originaire de Saint-Domingue) et d’une américanité naissante. Fruit d’un métissage culturel assumé, l’on cerne bien à travers cette lecture que Gottschalk fut l’un des acteurs de la médiation musicale entre l’ancien et le nouveau monde. Catherine Sauvat parvient à nous l’expliquer sobrement et avec rigueur