Née au Maroc, Elisabeth Guigou a débarqué en Europe sur les routes défoncées d’Andalousie. L’ancienne Garde des Sceaux et ministre des Affaires européennes, venue débattre lundi 9 mai à la Cité des Livres de son livre d’entretiens Pour une Europe juste (Cherche Midi), a découvert l’Europe sur les chemins escarpés d’Espagne et d’Italie avant d’arriver en France. C’est ainsi que sa vision de l’unité européenne s’est ancrée au sud, autour du bassin méditerranéen. A ses yeux, une Europe forte politiquement devrait ressembler à ce que Jacques Delors appelait une "fédération d’Etats-nations", c’est-à-dire une Europe qui ne se substitue pas aux nations mais s’appuie sur leur diversité. A l’image de l’impulsion que François Mitterrand avait donnée à l’unité européenne, Elisabeth Guigou aimerait retrouver parmi les dirigeants du continent un volontarisme politique susceptible de  rendre l’Union européenne influente sur la scène internationale. Selon elle, c’est le couple Mitterrand-Kohl qui a permis à l’Europe politique d’exister lorsqu’il fit plier Margaret Thatcher en juin 1983 sur la participation du Royaume-Uni au budget de la Communauté économique européenne (CEE) et proposa un certain nombre de mesures qui aboutirent à la mise en place d’Erasmus ou du passeport européen, par exemple. 

 

Du couple Mitterrand-Kohl au couple Sarkozy-Merkel, nous sommes passés d’une Europe ambitieuse à une Europe fonctionnelle, qui tourne à vide et n’a aucune vision d’avenir. "Pour faire l’Europe, il faut défendre ses intérêts et savoir les dépasser." L’influence du continent serait donc marginalisée car il cristalliserait un certain nombre de peurs et d’angoisses à l’heure de la mondialisation. Celle-ci nous force à retrouver des solidarités régionales, et à regarder d’abord vers le sud, au lieu de se focaliser sur les géants chinois, indien ou brésilien. Pour Elisabeth Guigou, un partenariat euro-méditerranéen est indispensable pour mettre en place des politiques efficaces en matière d’énergie, de sécurité alimentaire, de mobilité étudiante et d’immigration. Ainsi, cette dernière ne peut être réduite à des expressions politiques simplistes. L’immigration doit être organisée et pensée dans ses différentes formes, y compris par un système adapté d’allers-retours entre le pays d’accueil et le pays d’origine. Les cartes de séjour délivrées actuellement en France ne permettent pas aux immigrants de voyager dans leurs pays d’origines pour voir leurs familles, par exemple. Par ailleurs, Elisabeth Guigou plaide pour un partenariat fort avec la Turquie, repoussant à des échéances lointaines la possibilité de négocier son adhésion à l’Union européenne. 

 

Enfin, la députée de Seine Saint-Denis, actuelle ambassadrice du projet du PS pour la présidentielle, déplore que l’abandon de l’Europe économique se soit ajouté à celui de l’Europe politique. L’union économique de l’Europe aurait dû prolonger la mise en place d’une union monétaire fédérale après le Traité de Maastricht. Pourtant, la droite a délaissé tous les projets d’envergure pour faire émerger cette union en laissant aux ministres des finances successifs le soin de promouvoir des politiques de réductions des dépenses publiques. L’Europe telle qu’elle s’est développée depuis vingt ans a subi "la vision libérale des gouvernements de droite". Une Europe juste ne verra donc le jour qu’à condition d’être solide économiquement et fortement politisée. Les prochaines élections européennes doivent confronter des projets politiques distincts, qu’ils soient libéral, chrétien-démocrate ou socialiste. Pour tourner la page désespérante de l’Europe de Barroso et d’Ashton

 
 

La Cité des Livres reçoit : 

 

- Robert Badinter, le 16 mai, autour de Les épines et les roses (Fayard). 

 

- Philippe Herzog, le 23 mai, autour de Une tâche infinie. Fragments d'un projet politique européen (Editions du Rocher). 

 

- Michel Wieviorka, le 14 juin, autour de Pour une prochaine gauche (Robert Laffont).