"La plupart des choses dont j’ai parlé jusqu’à présent comme beaucoup de celles dont je vais désormais parler sont fortement soutenues par l’administration Obama". Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces mots ne sont autres que ceux de Mitch Daniels, candidat pressenti à la présidentielle américaine de 2012 et favori de l’intelligentsia républicaine. Dans un discours prononcé ce mercredi 4 mai à l’American Enterprise Institute et visible sur Youtube, le gouverneur de l’Indiana a multiplié les éloges envers ses adversaires politiques, d’une façon particulièrement inhabituelle ces jours-ci dans le camp républicain : "Je salue le président et le secrétaire (Arne) Duncan (secrétaire d’Etat à l’éducation). Ils ont raison dans ce domaine (la politique éducative, ndlr)." Et dans les autres domaines ? Daniels salue aussi la direction de l’opération "bien faite, bien menée" qui a abouti à la mort de Ben Laden. Serait-il alors le chantre d’une improbable réconciliation ou d’un partenariat avoué entre les deux grands partis américains ?

Pour Dana Milkband, analyste politique au Washington Post, il n’en est rien. D’après sa chronique du 5 mai qui décrypte le discours du candidat putatif, le constat est clair : "le gouverneur de l’Indiana suit un manuel d’instruction bien écrit" et qui a déjà fait ses preuves dans le passé. En effet, d’après Milkband, cette reconnaissance ouverte envers une politique éducative fédérale tournée vers plus de "justice sociale" – expression qui ferait frémir plus d’un républicain – ne serait pas sans rappeler la première campagne de l’ancien patron de Daniels à la Maison blanche, Georges W. Bush. Celui-ci avait alors cherché – avec un certain succès – à revêtir le costume d’un ""conservateur compatissant" principalement motivé par son intérêt pour les enfants noirs pauvres et les écoles publiques", avant que ses actes en tant que président ne révèlent son conservatisme très conventionnel. Les Européens eux-mêmes ont bien saisi l’efficacité de ce conservatisme compassionnel, adopté au Royaume-Uni par David Cameron et promu par Jean-François Copé en France.

Aujourd’hui encore plus qu’il y a douze ans, cette stratégie présente deux intérêts majeurs. Face à l’offre et aux propos des autres candidats à la candidature républicaine comme ceux du Tea Party (voir notre dossier publié en avril), un tel brouillage des cartes – qui s’accorde du reste difficilement avec les faits – serait d’abord "une affaire d’emballage : il est l’alternative touchante à un champ républicain effrayant." Et si un tel positionnement lui permet de se démarquer alors qu’il rentre tardivement dans la bataille, il devrait également lui permettre de capter l’attention – et les votes – des républicains modérés.

A l’issue de sa communication, Mitch Daniels a avoué à demi-mot sa volonté de se présenter aux primaires et sa confiance en ses chances de les emporter. La formule utilisée – qu’il serait difficile de traduire tant elle fait écho à un imaginaire populaire très américain – n’était que le dernier avatar d’une série de tours langagiers successifs qui font de son discours une véritable pièce de rhétorique, enchaînant et mêlant harmonieusement humour et idées, convictions et humilité, sensibilité populaire, assurance et affabilité. Sa reconnaissance du travail de l’administration Obama aurait pu passer, en première lecture, pour une concession malhabile imputable à une sincérité excessive. L’analyse serrée du discours telle qu’elle est menée par Dana Milbank démontre qu’on aurait tort de se satisfaire d’une telle condescendance


•    Dana Milbank, “Mitch Daniels, an alternative to scary”, The Washington Post, 2011