Co-auteur de l’ouvrage Les gourous de la com’ aux éditions La Découverte, Michael Moreau dresse une analyse de ceux dont l’influence ne cesse de grandir et qui joueront à n’en pas douter, un rôle déterminant en 2012 : les conseillers en communication.
Nonfiction.fr- Vous parlez de personnage de l’ombre, de conseillers qui vivent à coté des puissants. Qui sont ces gourous de la com ?
Michael Moreau- Dans ce livre, nous mettons notamment en avant trois personnages peu connus du grand public mais qui détiennent pourtant un rôle prépondérant dans la vie politique et économique française : Anne Méaux, la patronne de l'agence de communication Image 7, Michel Calzaroni de l'agence DGM, et Stéphane Fouks, le co-président d'Euro RSCG Worldwide. A eux trois réunis, ces conseillers concurrents dirigent l'image de plus des trois-quarts des patrons du CAC 40 mais aussi de nombreux leaders politiques de gauche et de droite. Dans les années 1980, ils ont créé un métier qui n'existait pas vraiment avant eux : le coaching personnalisé de chefs d'entreprise et d'élus. Puis ils n'ont cessé de gagner en influence. Aujourd'hui, Stéphane Fouks est par exemple celui qui "construit" l'image de Dominique Strauss-Kahn, tente de faire monter le désir dans l'opinion autour de lui, tout en gérant la communication de grands groupes comme BNP Paribas ou EDF. Anne Méaux, elle, fut à la fois la conseillère de Rachida Dati durant les derniers mois de son ministère, d'Eric Woerth pendant la réforme des retraites et l'affaire L'Oréal de l'été dernier ou encore des laboratoires Servier pendant la crise du Médiator, même si là le contrat a été rompu au bout de deux mois, et elle continue de coacher Anne Lauvergon, la patronne d'Areva, en campagne pour la reconduction de son mandat qui arrive à échance en juin 2011. Détenir autant de clients politiques et économiques provoque parfois des conflits d'intérêt.
Nonfiction.fr- Vous les présentez comme influents. Sont-ils aussi déterminants que vous le prétendez sur le fond des politiques ?
Michael Moreau- Oui, en politique aussi, les "gourous" peuvent dépasser leur rôle de simple conseiller en communication pour intervenir dans la stratégie et les décisions. On le voit par exemple aujourd'hui avec l'influence d'un Patrick Buisson, l'un des conseillers en com' de Nicolas Sarkozy qui est à l'origine du débat sur la laïcité ou, plus anciennement, de la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale en 2007, donc des mesures très concrètes ! Il accompagne Nicolas Sarkozy depuis 2004 et a joué un rôle central dans sa campagne présidentielle de 2007. Le Président l'a d'ailleurs décoré quatre mois seulement après son élection, avec ces mots : "Si je suis là, c'est grâce à lui". Les conseillers en com' de Nicolas Sarkozy nous ont également raconté différentes stratégies qu'ils mettent en place, comme ce qu'ils appellent eux-même la "saturation des médias" ou les "fumigènes", qui consistent à lancer un débat dans l'opinion pour séduire une cible électorale mais sans que cela ne se traduise toujours par une mesure concrète. Par exemple, dès 2005, Nicolas Sarkozy avait lancé un "fumigène" en se déclarant favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales, sans qu'il n'ait ensuite jamais repris l'idée dans aucun programme. Son annonce n'avait donc essentiellement qu'un but de com' ! Mais attention, à gauche aussi, les "gourous" peuvent avoir de l'influence. Lors de l'une de nos rencontres avec Stéphane Fouks par exemple, il nous a raconté comment il oeuvrait selon lui en coulisses pour tenter que Manuel Valls et Dominique Strauss-Kahn, qu'il conseille tous deux, ne se présentent pas l'un contre l'autre aux primaires socialistes mais se rallient avant.
Nonfiction.fr- Pour vous, dans les mois à venir et à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, le rôle de ces gourous de la com’ devrait s’amplifier. Existe-t-il des hommes politiques encore réfractaires à l’utilisation de ces conseillers ?
Michael Moreau- Oui, des leaders continuent de se méfier de la communication, et de jouer la carte anti-Sarko, voire anti-DSK qui bénéficie donc de la machine Euro RSCG derrière lui. Martine Aubry par exemple revendique n'avoir aucune agence derrière elle pour "fabriquer" son image et affirme n'avoir même jamais fait de média-training. Globalement, la com' est bien plus mise en avant et assumée à droite. Lorsque nous avons demandé le budget com' de l'UMP, le directeur de cabinet de Xavier Bertrand, alors secrétaire général du parti, nous a même répondu : "Je ne peux pas vous dire, car ça concerne tout ! A l'UMP, tout est communication : l'organisation du Campus, les meetings, les sites Internet..." Il n'a pas fallu beaucoup insister non plus pour que Xavier Bertrand nous raconte préparer minutieusement ses interventions médiatiques à l'aide de professeurs de chant et de théâtre. A gauche, il y a souvent un peu plus de distance avec la com'. D'ailleurs, le Parti socialiste, par exemple, n'a une directrice de la communication, Marie-Emmanuelle Assidon, que depuis mai 2009. Auparavant, lorsque François Hollande était Premier secrétaire, ce poste n'existait même pas !
Nonfiction.fr- Peut on remporter une élection présidentielle sans avoir " son" gourou de la com’ ?
Michael Moreau- Sûrement. Car aujourd'hui, il y a aussi une lassitude de certains électeurs pour la com' à outrance, d'où le succès d'une émission télévisée comme le "Petit Journal" sur Canal+ ou la profusion d'articles de presse qui tentent de traquer et de décrypter les stratégies de communication des politiques. La sur-communication a participé à discréditer une partie du personnel politique, et le public semble en demande croissante de connaître l'envers des discours. Depuis la crise économique de 2008 également, la discrétion semble être redevenue une vertu. Nicolas Sarkozy lui-même paraît se rendre compte des limites de la "parole omniprésente" qu'il avait instaurée en 2007, alors que Jacques Pilhan, qui fut à la fois le conseiller en com' de François Mitterrand puis de Jacques Chirac, avait théorisé la "parole rare". Depuis le remaniement de l'automne 2010, il tente de "représidentialiser" sa fonction. Ça rappelle le slogan de Valéry Giscard d'Estaing pendant sa campagne de 1981 : "Il faut un président à la France"
Propos receuillis par Julien Miro